l'éclat

lyber

2-84162-003-4

176 p.

14 euros.

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Déclinaisons de l'Europe
Massimo Cacciari

traduit de l'italien et présenté par Michel Valensi

Note du traducteur

Avertissement de l'auteur

I Géophilosophie de l'Europe
Années décisives
Les deux Cavales

II Guerre et mer
Platon réaliste
Le discours de l'hybris.
Thalassocraties
Le rire

III Les Héros
Juges et héros
Venise perdue
Le duel

IV L'Hôte ingrat
L'hôte ingrat
Le déracinement du nomos
Le déclin des ‘monstres sacrés'

V. La patrie absente
Violence et harmonie
Tolérance et intolérance
Conjecture de paix

Epilogue

 

IV

L'hôte ingrat

 

 

I. L'hôte ingrat

 

«Le nihilisme est devant la porte: d'où nous vient-il ce plus inquiétant de tous les hôtes [dieser unheimlichste aller Gäste]?» (Nietzsche, Fragments posthumes 1885-1887, 2 [127]). Sans nul doute de l'âge tragique de l'Europe (ibid., 5 [50]), de l'âge du combat contre le nihilisme et de son affirmation définitive: il n'y a pas de vérité, mais uniquement une volonté de vérité; la valeur d'une chose n'est autre que le symptôme de la force de celui qui en établit la valeur. Et c'est pourquoi les Méliens ne pouvaient en affirmer aucune. L'âge du nihilisme accompli marque l'accomplissement d'un destin, dont l'histór véritable avait déjà vu l'origine.

Dans Der Nomos der Erde1, Nietzsche (le Nietzsche ‘thucydien') n'est jamais cité. Pourtant son diagnostic hante chaque phrase: et c'est une des nombreuses ‘notes' de ce grand livre que les juristes ne sauront jamais ‘entendre'. Le Nomos de Schmitt et le Nietzsche de Heidegger constituent un diptyque inséparable. À leur antipode, il y a L'Étoile de la rédemption de Rosenzweig2. Pour qui veut bien faire naufrage en cette époque, ces quelques étoiles fixes sont nécessaires. Mais Schmitt n'apparaît-il pas, pourtant, comme le défenseur désespéré de l'ordre ancien, nostalgiquement tourné vers le jus publicum europeanum, que la logique du nihilisme tend précisément à dissoudre? N'est-il pas l'un de ces guerriers de l'âge tragique, au cours duquel la puissance de nihilisme extrême ne semblait pas encore irrévocable? Nous aurons l'occasion de revenir sur la légende d'un Schmitt ‘étatolâtre', mais ce qui devrait apparaître clairement à la lecture, fût-elle superficielle, du Nomos, c'est l'absence dans ce livre de la moindre attitude ré-actionnaire, de la moindre velléité impuissante de ré-former l'ancien Droit des États européens. Ce qui ne veut pas dire pour autant que Schmitt ‘renie' ce passé, ni que le grand juriste éprouve quelque ‘remords' à son évocation ou encore le conçoive comme un ‘péché' ou une erreur; cela signifie qu'avec une «rigueur grandiose»1, non seulement il analyse le simple fait de la fin de ses valeurs, mais qu'il en reconnaît également la ‘mortalité' originelle et intrinsèque. L'historía de Schmitt est la connaissance même de ces antinomies qui, dès l'origine, constituaient le Nomos européen, le destinant à son déclin. Ce Nomos, très certainement ‘aimé', fut impitoyablement soumis au scalpel des anatomistes et minutieusement observé par un Ernst Jünger – et également, dans une certaine mesure, par un Gottfried Benn. C'est, en tout cas, selon Schmitt, ce que doit ou devrait faire tout intellectuel (qui est, pour lui, véritablement hístor): comme Epiméthée, il s'en vient toujours post festum2, pour constater la fracture (et non pour la ‘guérir': proximité et éloignement extrêmes avec l'Ange de Walter Benjamin). C'est dans le fait de ne pouvoir comprendre par avance que consiste, précisément, sa terrible responsabilité : son être reus, son ‘appartenance' à la res qu'il analyse, ne s'autorisant aucune nostalgie, aucun espoir ni, à plus forte raison, aucune prophétie. Le Nomos der Erde doit être lu comme une grande narration sur la tragédie de l'Europe, «séjour d'Hadès» (Euripide, Hécube, 483) – narration de quelqu'un qui sait et qui témoigne, avec un pathos d'autant plus intense qu'il parvient à conserver un regard lucide et désenchanté. La représentation sacrée-et-profane que propose Schmitt suit le ‘rythme' suivant: Première station du ‘calvaire' du Nomos: une fois définis les termes fondamentaux du rapport entre Ordre et Racine, entre Ordnung et Ortung1, il en analyse la crise dans l'‘époque globale' contemporaine jusqu'à ces épaves du jus gentium, que sont les ensembles sans ordre et sans détermination, «ein strukturloses Chaos»2, inflations de pactes contradictoires, vides et éphémères dudit Droit international actuel.

Deuxième station : puisque Nomos signifie, à l'origine, partition (némein) d'un territoire, d'un pâturage (nomós) conquis préalablement, la conséquence d'une Land-nahme, d'une appropriation de la terre, les transformations de la relation entre Ordre et Lieu doivent être associées à celles sur la forme et le sens de la guerre. Comme le Nomos, la guerre finit par être éradiquée3. Quand on parvient à la ‘guerre mondiale' (ou à la guerre civile mondiale), aucune forme rigoureuse n'est plus en mesure de conférer une ‘norme' à la guerre, de la définir en termes précis. La guerre mondiale est inévitablement guerre totale. Toute possibilité de définir l'idée de juste cause est dissoute; les traits du justus hostis et du rebellis se confondent dans le plus pur occasionnalisme. L'ami et l'ennemi ne sont plus que des positions de la volonté de puissance: l'ennemi est celui qui s'oppose à l'arché du plus fort.

Troisième station : l'État, produit principal de l'esprit européen, mais produit historiquement déterminé1, agent premier de la sécularisation, liquidateur du Nomos antique, mais plus encore de celui de la respublica christiana médiévale, se fonde et se légitime sur la capacité de neutraliser la guerre civile et de rationaliser celle externe; d'éliminer tout court la stásis (selon l'antique et classique conception qui veut que stásis soit destruction du Politique) et de conduire le pólemos selon des principes de justice universels (et donc, d'un point de vue classique, sans hybris). D'un conflit entre des idées irréductibles (qui finalement apparaissent toujours comme religions), le pólemos doit ‘se convertir' en lutte entre des puissances, pour des objectifs raisonnables de puissance, entre des États souverains qui se reconnaissent réciproquement comme justi hostes. Le nouveau jus gentium devra ainsi être fondé sur le jus souverain de chaque État particulier; depuis le Nomos commun médiéval (que ne mettaient jamais toutefois substantiellement en péril les innombrables guerres) jusqu'au Droit international moderne comme droit entre les différents États, ensemble de normes et de pactes, tous ‘artificiels', tous à terme, qui devraient en régler les relations.

Mais ces frontières sont bouleversées par la Mobilmachung, la mobilisation universelle contemporaine2.

La liberté commerciale, financière et économique qui fait de chaque lieu et de chaque temps une ‘globale Zeit', une ‘époque globale', est en conflit ouvert et apparemment sans solution, avec le positivisme du droit lié à l'État. Sans Nomos, enraciné de manière positive, tout droit public vit une existence spectrale. Le ‘calvaire' du Nomos semble donc se conclure sur ce diagnostic: il est impossible de ré-former le grand édifice de l'État – mais il est également impossible de concevoir un Nomos «raumlos», sans espace, sans frontières, illimité et in-forme, proche de celui que semblerait imposer le caractère ‘éradiqué' de l'esprit contemporain et auquel toute ‘mesure' est étrangère (autre thème évidemment nietzschéen). Schmitt pense donc, clairement, au-delà de l'État ou, plus précisément encore, sur l'ultime méridien de l'État. Mais sur un tel méridien, il ne peut que rencontrer le plus inquiétant, le plus dépaysant des hôtes, le nihilisme extrême. Dès lors, il se situe, avec Heidegger et Jünger1, là-même où l'histoire de l'État européen s'accomplit et amorce sa crise irréversible. Les signes de ce commencement sont éloquents. Qu'ils cachent également l'aube d'un nouveau jus gentium, Schmitt ne l'affirme pas, même si, quelquefois, il semble évoquer cette possibilité2. Ce qu'il démontre, surtout, c'est l'impossibilité d'en faire le projet ou de le prévoir. Et sa démonstration prend le contre-pied de tous les romantismes politiques3, de toutes les nouvelles utopies néo-illuministes liées à la fin du Politique, à la neutralisation universelle, à la Paix perpétuelle. Il se tient sur le méridien du nihilisme, et abandonne aux nostalgiques (tant ceux des départs que ceux des demeures perdues) les bavardages inconsistants sur son dépassement; mais il abandonne également au désenchantement enchanté des apologètes, les louanges du nihilisme comme meilleur des mondes possibles. Reus jusqu'au bout: hôte ingrat.

 

 

 

II. Le déracinement du nomos

 

Mais avant de pénétrer dans les apories de la Mobilmachung totale, il est nécessaire de revenir sur la relation entre Nomos et Lieu, qui se révèle, dès l'origine, plus problématique et plus complexe que ne l'affirme Schmitt. L'enracinement du Nomos dans l'espace de la polis (nómos póleos : on pourrait dire que les deux termes s'accompagnent ‘rituellement') et sa valeur effective dans ces limites, n'apparaissent, originellement, que comme effets de ce qu'il est lui-même image du Nomos divin, lequel est unique et «peut autant qu'il veut et suffit à chaque chose et les excède toutes» dit Héraclite (DK B 114). Les nombreux nómoi de l'homme ne pourraient garantir d'eux-mêmes aucun ordre – ni aucune Ortung, aucune localisation – s'ils ne provenaient pas du Nomos divin. Leur véritable racine est donc celle qui les rattache à la Dike cosmique1. Arbor inversa – arbre inverse. Et s'il en est ainsi, le fait d'obéir aux lois de la cité signifiera, par là-même, que les dieux (de la cité) existent: nomízein theoús (qui est déjà une formule hérodotéenne). Il ne peut y avoir de Nomos si ce nomízein, cette “conviction”, fait défaut. Elle seule peut nous convaincre du fait que les lois ont une racine inaltérable.

Les dieux écartés, les lois arrachées: l'impius est avant tout ánomos. Le lien, décisif dans toute l'œuvre de Platon, est encore très fort chez Aristote (Politique III, 1287 a), témoignant de sa résistance, bien au-delà de sa force effective. «Ne te mets pas en peine, Euthydème, tu sais bien de quelle manière le dieu qui est à Delphes répond à ceux qui lui demandent comment faut-il se comporter pour plaire aux dieux. En se conformant aux lois de la cité [nómoi póleos]» (Xénophon, Mémorables, iv, 3, 16).

Dans le Nomos, l'idée de la prise de possession originelle de la terre où l'on menera ‘paître', et de sa partition, s'accompagne, donc, de celle d'une Justice toute-puissante par rapport à cet acte. Le Nomos vaut effectivement toujours en tant que theîos, portant en soi la trace d'un Ordre divin1. L'efficacité terrestre du Nomos, sur laquelle insiste l'historía schmittienne, s'appuie sur la loi de Dikè. C'est Dikè qui, par l'intermédiaire de son «ange» Némésis (Platon, Lois, iv, 717 d), punit impitoyablement ceux qui transgressent le Nomos, conférant à ses commandements un pouvoir contraignant. Et Némésis est, jusqu'en son nom même, quasiment une personnification du Nomos. Détaché d'un tel contexte mythico-religieux, le Nomos apparaîtra finalement comme un artifice de l'homme, un produit de son expérience, prismatique, certes, mais également trompeuse. Déjà chez Héraclite et Parménide la relation entre Dikè et Nomos apparaît problématique: et, en effet, si les mortels sont toujours indécis, à deux têtes, endormis, si l'ethos de l'homme ne possède pas la sagesse (ouk échei gnómas) que seul le divin possède (Héraclite DK B 78), comment peut-on dire de la loi de la cité, qui reste nécessairement liée à l'ethos, qu'elle est theîon, don divin? Ethos indique le séjour, la forme durable de la demeure; Nomos lui est directement lié, puisque némein veut également dire habiter (non seulement prendre possession et se partager la terre, mais aussi savoir l'habiter)2. Or si le mortel n'a que des opinions, il ne sait pas, ni ne pourra savoir habiter – et il ne saura pas même reconduire ses propres lois à leur racine divine. Il demeurera sur terre, mais non plus sous le ciel, ni avec les dieux. Les nómoi de la cité apparaissent, alors, irrémédiablement contradictoires. Aucune unité supérieure n'y transparaît. Aucune paix qui puisse être de leur fait. Aussi, pour les nommer, le terme Nomos ne pourra plus convenir, et l'on aura plutôt recours à celui de psephísmata : décisions, décrets obtenus par des offrandes, l'artifice absolument álogos du vœu, par le jet d'un petit caillou (psêphos) dans une urne. C'est ainsi, désormais, que la loi se nomme à Athènes, à l'époque où le vieux Platon rédige ses Lois. Et seul l'ethos du sage, et non plus celui de la cité, reconnaît encore la racine céleste de la loi. Mais le sage est toujours plus contraint de fuir la polis – un monde désormais en proie à Tychè, au hasard, à la loterie – et de reconnaître que le monde du combat politique est tel désormais, sans plus d'espoir qu'il soit autrement. Le thème des raisons qui font que le sage se tient à l'écart de la politique qui dominera dans la spéculation hellénistique et qui sera au cœur du De otio de Sénèque, apparaît déjà chez Platon: République vi, 496 c-e.

Le déracinement du Nomos concerne donc essentiellement la perte de sa racine divine. Perte à laquelle fait suite celle de sa racine terrestre. Cette histoire, dans cette connexion, précède l'époque hellénistique; elle est déjà vivante dans la problématique de la première philosophie et se manifeste pleinement dans la sophistique du ve siècle, chez Critias par exemple, mais aussi, comme on l'a vu, chez des auteurs tel que le Pseudo-Xénophon. L'hellénisme en accomplit le parcours. L'Entortung du Nomos apparaît, quasiment, comme un destin déterminé dès l'origine. Alors qu'au nómos póleos s'oppose le nómos physeos, au lieu déterminé de la polis l'espace universel de l'écoumène, au temps de la polis la ‘globale Zeit' du cosmopolitisme, dont le sage veut être l'exemple, le Nomos a définitivement perdu sa racine ancienne. Stoïcisme, épicurisme et scepticisme semblent être des alliés parfaits dans cette opération de déracinement. Pensée anti-tragique par excellence: la tragédie, en effet, avait représenté devant la polis tout entière, et au plein de sa saison, l'énigme des nómoi en guerre les uns avec les autres – guerre entre nómoi et timaí divines, et pas seulement entre les différentes lois des cités des hommes. L'ethos de l'homme était apparu comme le lieu de ce conflit – et il en était sorti meurtri, pénétré de doutes terribles sur sa propre racine et terrorisé à l'idée des punitions que Némésis aurait pu lui infliger. Déjà, dans la tragédie, l'homme commence à devenir nomade dans et hors de sa polis. En vérité, Nomás était le berger qui habitait le nómos, le pâturage. Habiter la loi – voilà qui protégerait de tout risque d'hybris, voilà qui serait une paix divine. Mais, déjà, la tragédie évoque cette idée comme un impossible et le ‘nomade' cosmopolite de l'hellénisme en oubliera jusqu'à son existence.

Le caractère ‘impolitique' du sage hellénistique, précisément dans la mesure où il accomplit l'Entortung du Nomos, représente – très pur exemple d'hétérogenèse des fins – un facteur essentiel de la ‘grande politique' romaine. La construction du droit romain advient, par principe, supra nationes, prétendant valoir comme l'unique espace-temps de l'Empire. La ‘localisation' de la loi demeure une référence sacrale, toujours plus dépourvue d'efficacité véritable; on dit, certes, «jus quo urbs Roma utitur»: «le droit qui a cours à Rome» –, mais ce qui compte effectivement c'est la ‘projection' universelle de ce jus, la possibilité de le prononcer partout, en s'appuyant non seulement sur la puissance qu'il représente, mais aussi sur sa structure rationnelle interne. Ce qui compte c'est l'affirmation du droit romain au-delà de toute caractérisation locale, de toute tradition spécifique, de toute limite temporelle: in omne aevum, le jus de Rome sera victorieusement ‘lancé'1.

L'analyse du droit romain, et donc de cet événement décisif pour toute l'histoire de l'Europe que représente son ‘assomption' par la chrétienté, manque dans le Nomos der Erde. L'Empire et sa loi cosmopolite semblent providentiellement compatibles avec la religion chrétienne – l'ennemi mortel, au contraire, est la romana religio. Tertullien est le grand artisan de cette opération, par laquelle la religion est éradiquée de la civitas et la civitas dépossédée de ses dieux, et par laquelle la loi romaine a éliminé toute signification divine pour ne conserver que celle terrestre (mais c'est, désormais, une terre qui coïncide avec l'écoumène). Il ne s'agit nullement d'attitudes utilitaristes, dictées par les besoins de la lutte. Ces idées sur la fonction impériale et sur la ‘sécularisation' complète de la loi correspondent à des valeurs fondamentales de la chrétienté. Jamais, pour affirmer sa propre foi en Dieu, le chrétien ne pourrait avoir recours à des expressions analogues au Nomos, jamais il ne pourrait dire ‘nomízein theón'. Une réserve insurmontable pèse a priori sur toute affirmation nomothétique: la relation (absolument ‘inouïe' pour un Grec) entre loi et péché, entre Nomos et hamartía. Non seulement aucune loi ne pourra jamais rendre ‘parfaits', non seulement la loi ne pourra jamais ‘justifier' et, donc, sauver; mais toute loi (hormis cette loi qui les accomplit toutes dans le mandatum novum de l'absolu, indéclinable amour) est indissoluble de la sklerokardía, de la dureté du cœur qui empêche l'écoute et l'obéissance1. Notre âge, celui de l'Europe chrétienne, ne tient pas son origine de l'affirmation d'un nouveau droit – le jus demeure celui impérial romain – mais de la crise de sa propre idée. Pour parvenir à la cité véritable, la cité céleste (Hébreux, 7, 18, Philippiens, 3, 20; 1 Pierre, 2, 11) la loi est non seulement faible (asthenés), mais également inutile (anophelés). Si la justice venait de la loi, le Christ serait mort en vain et la chrétienté n'aurait aucune raison d'être (Galates, 2, 21). Il est impossible que la loi soit la racine; notre accord avec elle relève uniquement d'un pacte, fondé essentiellement sur des critères de convenance. Nous vivons en ce monde comme si nous étions assujettis à la loi, mais en réalité nous sommes parfaitement libres à son égard, en tant que fils de Dieu et ses héritiers. Si nous vivons sous la loi, c'est «dans le but de gagner ceux qui sont sous la loi» à notre propre liberté (I Corinthiens, 9, 20). À notre Époque, toute image de racine, toute idée de justissimus tellus devra toujours être en rapport dialectique, avec l'invincible Vérité qui habite l'‘endon ánthropos', l'‘homme intérieur', icône de la civitas Dei. Et ce sera souvent une dialectique tragique.

La domus ex fide tire également avantage de la paix simplement terrestre que garantit la loi de l'Empire. Mais il s'agit, précisément, d'un calcul totalement désacralisé. C'est un bien, certes, que d'obéir aux lois (si la loi elle-même ne commande pas d'obéir aux «religiones leges», parce que le mandatum novum s'oppose à tout culte des dieux de la cité), mais tout en sachant que c'est en tant que prisonnier, en tant que l'on est encore contraint de voyager «apud terrenam civitatem», que l'on obéit. En étant ici-bas voyageur, le fidèle est déjà image de ce parfait déracinement de tout Nomos terrestre qui s'accomplira dans la caelestis Civitas. Mais Augustin, dans des pages fondamentales (De Civitate Dei, xix, 12-17), montre aussi qu'il comprend à quel point ce déracinement représente cette force que l'on ne peut retenir et qui permet au christianisme d'‘appeler' à soi chaque personne, chaque lieu, chaque temps. L'hybris de l'évangélisation ne s'est jamais exprimée avec une dureté aussi classique, aussi ‘romaine': «Cette cité du ciel, tandis qu'elle est encore voyageuse sur la terre, appelle à soi des citoyens de toutes catégories, rassemble une société en chemin qui parle toutes les langues, sans se préoccuper d'aucune manière des différentes habitudes, des différentes lois, des différentes institutions, par lesquelles la paix terrestre s'obtient ou se maintient (non curans quidquid in moribus, legibus institutisque diversum est)». Non curans quidquid ... diversum est : la Vérité ne s'en préoccupe pas, il n'est pas de son ressort de préserver cela; le différent, la différence ne lui appartient pas. Cela ne signifie pas qu'elle invalide ou annule ces usages et ces lois – mais ‘simplement' que ceux-ci ne valent que comme autant d'instruments, de moyens, d'artifices qui rendent autant que possible le voyage ‘pacifique'. Il ne faut pas les combattre1 – il ne faut pas s'en préoccuper. Aporie, paradoxe, qui marquera toute cette Époque. Comment ne pas les combattre, dès lors même que nous en sommes essentiellement libérés? Si leur lien perd toute racine authentique, s'il est déraciné, n'est-il pas en cela combattu? Un destin de ‘révolution ininterrompue' s'inaugure pour ces usages et ces lois dont l'‘homme nouveau' n'a plus ‘cure'.

La seule et véritable forme politique concevable sous cet horizon chrétien semble être celle du katéchon1. Le terme, qui date de la Deuxième Épître aux Thessaloniciens (2, 6 sq.), indique la Puissance qui fait obstacle à la pleine épiphanie de l'Anomos, de l'Adversaire. Hippolyte, déjà, interprétait le katéchon en termes politiques, comme image de l'Empire2, et Schmitt reprend cette interprétation: pour lui le katéchon est également l'Empire médiéval, dont la fonction consisterait à ‘maintenir' le Siècle sous sa ‘forme', en attente de sa Fin, à l'abri des ‘séductions' diaboliques. Jusqu'au quatorzième siècle, la figure du Roi aurait représenté le gardien des ‘droits' de l'homme in statu viatoris, et la légitimité de sa souveraineté ne serait apparue que dans ces limites précises. Ce que Schmitt, pourtant, ne voit pas, c'est que pour exercer une telle fonction, le katéchon doit assimiler, intérioriser sa propre Anomia, sa propre ‘adversité'; pour la ‘contenir', il ne peut que la ‘détenir' en soi. Sa Loi n'est que l'enclave où habite le filius perditionis – et que la puissance de ce dernier finira inexorablement par ‘désenclaver'3. Alors, non seulement le caractère précaire et artificiel de cette opération de ‘contenance' est évident, mais bien plus, l'impossibilité pour le chrétien de la reconnaître véritablement, la confirmant in toto comme le lien originel entre loi et péché. Non seulement l'ordre du katéchon apparaît finalement impuissant (et c'est également pour cette raison qu'il est impossible de s'y fier), mais il est aussi intrinsèquement lié au principe qu'il devrait combattre, parce qu'il l'héberge (le filius perditionis est hostis et hospes du katéchon). Certes, le Moyen Âge connaît aussi des tentatives ‘héroïques' pour fonder l'autonomie de l'Imperium, pour en concevoir l'origine divine (il suffit de penser aux duo ultima de Dante), mais la loi de la cité terrestre ne parviendra à la définition de son ordre propre qu'en renonçant à toute justification transcendante, et donc en renonçant à représenter véritablement cet espace dans lequel l'homme peut pleinement habiter. Constriction et convenance se substituent à la racine terrestre et divine. Mais être enraciné dans le Nomos, être-en-forme dans l'ordre de la loi, s'était déjà révélé comme ‘ce qui est impossible' pour l'homme de cet Époque. Et cela ne vaut pas seulement pour le chrétien. Pour le judaïsme, également, la loi ne se rapporte qu'à une terre promise1. La terre d'Israël certes, est bien réelle, mais sa réalité doit toujours être considérée d'un point de vue eschatologique. Pour Israël, le véritable, l'insurmontable lieu de la Loi n'est pas la terre, mais la Parole. Yehudah Halevi a conçu toute sa nostalgie pour la terre d'Israël comme nostalgie pour le ‘lieu' de la Parole, lieu de la langue biblique. Et la demeure de l'Islam n'est pas plus ‘territorialisable': le devoir de l'Islam consiste à étendre toujours plus loin sa propre demeure, dépassant toute différence en son sein: non curans quidquid in moribus, legibus institutisque diversum est. Une stásis éternelle semble séparer Isaac, Edom et Ismaël, la famille d'Abraham – mais ceux-ci sont intimement liés dans l'entreprise de déracinement des nómoi des hommes. La ‘globale Zeit' moderne contemporaine, dont Schmitt parle, apparaît alors comme l'accomplissement de l'esprit européo-méditerranéen post-classique tout entier, plutôt que comme le produit des conflits entre les États modernes sécularisés.

 

 

III. Le déclin des ‘monstres glacés'

 

Neutraliser1 la formidable réserve eschatologique que la tradition judéo-chrétienne fait peser sur tout droit terrestre; imposer le silence aux théologiens ‘in munere alieno', avec pour conséquence la fin de toute justification de la guerre et de la Landnahme, de la conquête; contenir l'aspect multiple des individus et des intérêts sous un seul droit, en une seule Loi parfaitement définie et absolument souveraine dans son espace (et cette Loi devra, alors, également décider du caractère multiple des idées religieuses) – telles sont les fonctions fondamentales de la nouvelle et grande construction de l'esprit européen, de l'État deus artificialis, creator (et non plus seulement defensor) de la paix. Pour Schmitt, Hobbes reflète le plus brillamment une telle construction. Mais précisément parce que, chez lui, il est déjà possible de percevoir la maladie mortelle de ce dieu.

La neutralisation de la lutte entre les idées, de la guerre de religion, ne peut être équivalente à l'élimination des simples conflits d'intérêts à propos desquels il semble que l'on puisse décider raisonnablement. Mais plus encore, l'État s'affirme, positivement, comme le garant de leur continuation dans le cadre de la loi. L'obéissance à la loi, la reconnaissance de l'autorité absolue du souverain sont l'effet d'un pacte2, selon lequel l'État offre au citoyen un service véritable, qui consiste en une intransigeante tutelle de sa sécurité. Cette dernière est conçue comme le bien premier, à la seule ombre duquel l'individu peut réaliser sa propre ‘particularité'. S'il est vrai que le Grand Homme, l'État, n'est pas réductible à la somme des individus qui le composent et de leurs contrats privés, il ne fait pas de doute non plus que l'État se justifie uniquement en tant qu'il est fondé sur des pactes, sur une convention. Les différents individus, étant convenus librement de discuter de leur propre destin, après la désastreuse expérience de la guerre de tous contre tous, conviennent de l'utilité de se structurer en État. L'État, qui devrait les dominer, est produit par eux. Et ce n'est que dans la mesure où il les sert qu'il peut continuer à les dominer. Construction paradoxale par excellence: une figure, une Grande Forme, qui s'annonce comme divine, se met immédiatement à nu d'elle-même, se révèle comme idole – et, comme telle seulement, peut ‘fonctionner'.

Cette construction repose sur une utopie: la transformation progressive de l'État en machine parfaite, auto-régulatrice, Machina machinarum, dotée d'un fonctionnement objectif et inexorable, détentrice d'une autorité absolue précisément parce qu'absolument dé-personnalisée et dé-politisée. Cette utopie, aussi, vient de loin – au moins de l'idée du «despóstes nómos», et, d'une certaine manière, les gardiens-philosophes de Platon la représentent également. Mais, elle revient ici en des termes absolument désacralisés et déracinés de tout ethos, et totalement oublieuse de cette tension tragique entre la loi divine et la loi humaine, entre la loi écrite et la loi non écrite, qui est au cœur de l'idée grecque du Nomos. C'est un pas métaphysique important dans la conception moderne de l'État, mais c'est, dans la même mesure, un pas essentiellement contradictoire. En effet, un mécanisme est, par nature, incapable de totalité: il ne pourra jamais subsumer en soi «internus cultus et ipsa pietas uniuscuiusque juris» (Spinoza). La liberté de pensée, la libertas philosophandi, la liberté intérieure de vénérer son dieu, est ainsi radicalement, radicitus, séparée du culte extérieur, dont on est redevable, par contrat, à l'État1. La souveraineté de l'État sera légitime tant qu'elle ne menacera d'aucune manière le for intérieur. L'État est une simple puissance externe, neutre et agnostique par rapport aux valeurs, et plus encore: absolument impuissante à leur égard. Mais comment le Grand Homme pourra-t-il avoir de la puissance, s'il se déclare impuissant à l'égard de l'origine la plus profonde de toute dissension et de tout conflit? Comment pourra-t-il les neutraliser? Quelle importance pourra jamais assumer le culte extérieur auquel il prétend? Et quelle paix garantir? Infiniment moindre encore que l'obéissance du chrétien antique à l'égard des lois de l'Empire. Qu'est-ce que l'âme d'un individu sinon la pietas, la ferveur qui le lie à sa foi? Si l'État n'a pas de pietas, il n'a pas d'âme. Il ne sera que le monstre glacé nietzschéen. Son caractère mortel est ainsi évident dès lors qu'il apparaît. Son nom même, le nom par lequel il est appelé dans toutes les langues européennes, témoigne non seulement de sa mortalité, mais, bien plus, de son être en tant qu'il est passé, son essere-stato [avoir été]1.

Le libéralisme consécutif contourne le ‘scandale' en affirmant que, entre la dimension du droit étatique et celle intérieure de la foi et des valeurs, il n'y a pas de contradiction, mais ‘simplement' une distinction. Le libéralisme est essentiellement ‘dialectique des distincts', mais une dialectique qui, d'aucune manière, ne peut penser les distincts, comme nous avons tenté de le faire ici, en tant que tels absolument, et donc inséparables non seulement de leur ‘être en conflit' mais aussi de la possibilité de leur ‘abandon' inhospitalier. Pour le libéralisme, les distincts sont traités selon un principe d'indifférente équi-valence. Ce qui n'est pas seulement totalement irréaliste, mais est en soi impensable. Il apparaît évident, en effet, que tandis que la sphère intérieure est détentrice de valeurs qui ne peuvent s'échanger, celle extérieure (la religio externe qui devrait rester l'apanage de toute ‘regio') n'a à voir qu'avec des évaluations, des positions et des affirmations toutes relatives, et pour autant sujettes, par nature, à des calculs d'opportunité et de convenance. Il n'existe aucune équi-valence entre les deux dimensions, telle qu'elle puisse garantir leur coexistence pacifique, mais plutôt un différentiel originel de puissance qui rend inévitable le conflit. Le problème devient alors le suivant: la machine juridico-institutionnelle de l'État agnostique pourra-t-elle neutraliser cette dimension intérieure, cette liberté incoercible, en la réduisant véritablement à une affaire privée? et donc à une dimension qui, non seulement ne lui appartient pas, mais représente exactement son contraire! L'État pourra-t-il devenir une Machine si puissante qu'elle puisse séculariser intégralement toute position de valeur, ‘métamorphoser' toute valeur en évaluation?

C'est une issue que nous ne pourrions concevoir qu'en démontrant qu'aucune fonction fondamentale de l'État, de la Grande Machine, n'est, par nature, contrainte à interagir avec la sphère de la production des valeurs. Si l'État s'avérait parfaitement ‘convertible' en harmonie de rapports juridiques et économiques (ou, en d'autres termes, esthético-économiques) entre des individus privés, alors les valeurs pourraient être tout d'abord isolées, puis exclues de l'espace de la loi, comme le furent les poètes épico-tragiques de la parfaite politeía. Nous pourrions mieux illustrer cette idée, qui appartient au fond le plus intime de la conscience libérale, en nous reportant une nouvelle fois aux images du rapport terre-mer. La terre ferme de la loi, la justissima tellus de la ratio économico-juridique, est préservée par tous les moyens de l'océan des vaines espérances, des mirages, des simples ‘idées' qui, de toutes parts l'entourent. La terre ferme de l'intellect calculant, elle, est bien fondée: l'espace indéfini des idées irréductibles au phénomène est, au contraire, mer. Mer vers laquelle nous pousse la nostalgie invincible pour l'inconnu, l'amour pour le Lointain que l'on atteint jamais. Mais cette Sehnsucht, cette aspiration empêche toute construction stable, et finit même par dissoudre la construction par excellence: l'État de droit. Il y a une analogie parfaite entre le drame du rapport entre formes de l'intellect et idée de la raison, qui est au cœur de la première Critique de Kant, et celui qui mêle et oppose l'État à l'‘imprévisible' de la production des valeurs. Car telle est la question: de même que l'intellect ‘sain' ne peut éliminer les idées (et devra même en reconnaître la souveraineté dans la domaine de la prâxis), l'État ne peut bannir sur quelque nef des fous, quelque Narrenschiff, ces valeurs qu'il ne parvient pas, selon ses propres principes, à dominer. Il n'est pas simplement entouré par leur océan en tempête, mais en est traversé de part en part. En effet, l'autorité qui lui permet de décréter la loi et de la faire respecter, n'est concevable que sur la base d'un acte politique, à son tour irréductible à des normes déjà données – un acte qui vaut aussi, intrinsèquement, comme idéologie, valeur, mythe1. Ce n'est que si la dimension des valeurs n'avait aucune affinité essentielle avec le Politique, que l'on pourrait imaginer un processus parfait de sécularisation de la Grande Machine. Mais puisque, au contraire, le Politique ne sera jamais simplement ‘allocation' de ressources, mais toujours également lutte «pour s'assurer une cohorte stable de fidèles»2, et donc aura toujours en soi une composante mythico-idéologique, l'État jamais ne se dé-cidera, comme terre ferme stable, de la mer (ou du désert) des idées invérifiables et des valeurs non calculables. Non seulement, donc, l'État ne pourra prétendre à aucune ‘totalité' (ne sera jamais vraiment absolu, et donc, ab-solutum, absous de la production des valeurs), mais quand bien même le prétendrait-il, il cesserait aussi de pouvoir se penser de manière adéquate: il ne pourrait en effet, nullement penser cette décision3 qui l'a constitué – et qui à chaque instant le re-constitue, puisque toutes les lois sont soit conçues comme produit déterminé de sa volonté, soit devront en appeler précisément à cette dimension religieuse-transcendante, que l'on veut liquider.

Le Nomos de l'État moderne apparaît, donc, de par son absence de racine, antinomique. Le long de ses blessures opèrent les forces qui l'incitent à se dissoudre. D'un côté, celles utopiques et propres à la «tyrannie des valeurs»1. Elles échappent à tout calcul juridico-économique et à toute prédiction, et pourtant sans elles, comme on l'a vu, est impensable cette décision qui donne vie à l'État de droit sécularisé, comme n'importe quelle décision politique. De l'autre, les forces de ladite ‘société civile', dont les ‘lois' visent objectivement à dé-construire la forme étatique en un ensemble de contrats privés, d'échanges entre des individus et des intérêts privés. Le long du processus de la parlementarisation de l'État moderne, les deux tendances sont en synergie. Tyrannie des valeurs et fragmentation de la forme politique s'expriment en même temps dans la naissance des partis modernes. Ceux-ci sont, tout à la fois, points de vue partiels, porteurs d'intérêts ‘individuels', et représentants de valeurs idéologiques non échangeables en dernière instance2. Le parti moderne de masse tend toujours à assumer la forme intrinsèquement antinomique du parti total. Ces partis sont les premiers artisans de la dé-construction du Nomos étatique dans l'activité des Parlements non effectivement légiférants, mais se contentant de ratifier des décisions prises ailleurs, anti-chambres des bureaux réels du pouvoir. Le ‘monstre' du parti total délégitime constamment, dans les faits, la souveraineté du Parlement, dès lors même qu'il s'en drape et l'invoque par des formules archaïques. À son tour, un Parlement réduit à une scène vide de compromis paralysants, induit constamment des tendances autoritaires-plébiscitaires – et donc, travaille à sa propre mort, parfait Sein-zum-Tode : Être pour la mort.

Le long de ce processus – dont l'Europe est en train de vivre la fin – dans ce qui reste à vivre de ce millénaire – sans savoir la penser, et même en confondant les symptômes avec les causes – fait naufrage l'idée libérale de la ‘conversion' de l'État en un ensemble de rapports juridiques formels, en Administration (le Betrieb de Weber), puisque l'idée-utopie de la neutralisation possible du Politique par rapport aux dimensions administratives et, surtout, économiques, a fait faillite. La contradiction conceptuelle de fond de toute l'idée libérale consiste, précisément, en cela: qu'il puisse y avoir un État (qui est désormais État-des-partis), renonçant sinon à la conduite, du moins au contrôle de l'économie, à une époque dominée par les valeurs économiques. Un tel état ne serait plus viable en tant que tel, il se suiciderait politiquement. En outre, à notre époque, l'autre grand aspect de l'idée libérale – la division des pouvoirs (produit par la logique des distincts)–, semble destiné à une existence fantomatique. Un parlement fonctionnant toujours moins ‘déléguera' nécessairement des pouvoirs législatifs à l'exécutif – et, en même temps, les secrétariats des partis et des différents lobbies qui se cachent derrière l'activité parlementaire, tentent par tous les moyens de déterminer les choix de l'exécutif. Dans ce cadre, la position du pouvoir juridique sera caractérisée par un occasionnalisme à outrance, du fait également de l'‘illisibilité' croissante des lois qui sont le produit de jeux de compromis fastidieux et occultes et de veto réciproque. Aucune décision politique ne semble véritablement en mesure de donner vie à une nouvelle constitution (au sens d'une Verfassung1, et donc comme authentique acte d'une volonté populaire, d'un ethos), car l'idée même de constitution est liée à l'existence reconnue d'un espace déterminé, à la possibilité d'un Nomos territorialement défini.

C'est précisément une telle possibilité qui semble définitivement décliner. L'écroulement, par pans entiers, de la Grande Machine s'assortit de sa crise du fait de la formidable pression ‘universaliste' du marché mondial. L'économie internationale se ‘libère' du droit inter-états européen, fondé sur l'existence des États effectivement souverains. La dernière expression de l'État moderne, le «cuius regio, ejus œconomia», a été balayée par l'écroulement des systèmes socialistes. Le langage victorieux de l'économie et de la technique exige un seul espace, un seul concept d'espace, comme forme a priori, ‘libre' de toute différence de lieu (et donc aussi de la distinction entre les anciens éléments: terre, mer, air). Il exige un seul esprit, non curans quidquid in moribus, legibus institutisque diversum est. Et, comme nous l'avons vu, le sens de la guerre s'adapte parfaitement à cette transformation époquale.

Mais aucune internationalisation du vieux Jus publicum ne lui fait suite. Le «centre sacral de la terre»1 qu'était l'Europe, ne semble pas en mesure d'‘inventer' de nouvelles institutions capables de donner forme aux nouveaux rapports économiques et aux nouveaux conflits qui en découlent. Cette forme du katéchon représentée par l'État est sur le point de décliner, mais à sa place, ne se font jour que des expressions de romantisme politique, des nostalgies libérales de neutralisation et de dépolitisation, ou même d'occasionnelles et pathétiques tentatives de rappeler à la vie des idées de ‘guerres justes'. Entre temps, l'atomisation micro-corporative des intérêts et des cultures elles-mêmes, la liquidation de tout ethos, sont parvenues à un point tel qu'elles rendent obsolètes les partis de masse. Cette forme politique extrême, tout autant que contradictoire et ‘misérable', représentée par le parti total, est désormais déboulonnée.

L'historía schmittienne se conclut en termes hamlétiens1. Dans la tragédie du simple présent historique effectif, de l'avènement nu. La ‘narration' développée jusqu'ici (elle appartient sans aucun doute encore à l'époque des ‘grandes narrations') ne permet pas de prévoir l'avènement de quelque deus adveniens. Aucun dieu ex machina – et donc ex Machina machinarum, depuis l'antre du Léviathan, – ne s'y annonce.

Mais Hamlet n'est pas un héros romantique. En absence d'Ordnung et Ortung («The time is out of joint»), il décide pourtant («O cursed spite/ That ever I was born to set it right!»). Et également Der Nomos der Erde est, peut-être, une livre tout aussi en suspens et qui se conclut par ce silence (imposé aujourd'hui aussi aux juristes, comme il le fut jadis aux théologiens), unique ‘lieu' où il est possible de se souvenir «de nous-mêmes, et de notre origine divine»2. En réalité, il fait allusion à un diagnostic, fondé sur l'indiscutable tendance de l'époque à l'unité globale. Le dualisme de la guerre froide n'était que la transition vers une telle unité, transition depuis l'époque de l'opposition idéologique radicale jusqu'à la ‘résolution' du conflit en concurrence pour le contrôle des marchés. En effet, l'image du monde qui animait les deux empires était absolument semblable. Tous deux héritiers de la séparation définitive entre ordre et lieu, tous deux liquidateurs des caractères de la «vorglobale Zeit» au nom des évaluations de la Technique, leur affrontement (qui fut mené avec tous les moyens raisonnablement utilisables) ne pouvait se conclure que par l'affirmation du seul ‘duelliste' en mesure de représenter une telle image du monde de la manière la plus cohérente, la plus économique. Il ne s'est pas agi d'un combat entre l'ancien et le nouveau, ni substantiellement entre des idéologies incompatibles, puisque la pratique et les décisions politiques des deux puissances témoignaient du même déclin de l'État souverain Européen, de la crise irréversible de ses institutions et de ses formes de représentation, de la même volonté de s'imposer et de se substituer aux nationes. La tendance fondamentale à l'unité dominait dans le processus même de la guerre froide. Ce fut essentiellement une lutte des plus dures pour établir quelle puissance aurait guidé l'époque globale, qui était le but et la valeur de chacune d'elles.

La «phase actiaque»1 est désormais achevée. Le ‘survivant' saura-t-il obtempérer à son propre ‘devoir', c'est-à-dire fonder son empire sur un nouveau jus gentium ? Ou sa domination ne sera-t-elle rien d'autre que l'expression du déclin de l'antique Nomos, une domination de fait, qui s'exprime en une succession d'actions et de décisions, masquées tour à tour par des justifications les plus fortuites? Sa domination ne sera-t-elle rien d'autre que la domination du seul langage qui semble avoir survécu: celui de la ‘liberté' de commerce, de l'économie et de la technique universels? ou saura-t-il donner-forme au destin de déracinement du Nomos? établir un jus gentium qui puisse valoir précisément pour les nomades de l'époque globale?

Il ne nous est pas donné de le savoir. Et l'intellectuel épiméthéen ne peut le prédire. Mais l'hôte ingrat, inquiétant, dépaysant, que nous avons jusqu'à présent écouté, peut dire ceci: la tendance universelle à l'unité radicalise et ne contredit pas les caractères et le langage du nihilisme européen. Ses apologètes aiment se la représenter comme incarnation du parfait Léviathan, creator pacis, neutralisation du conflit ‘barbare' entre les idées, calculabilité pleine des valeurs, réduction du ‘danger' du Politique aux normes de l'administration. Aucune tyrannie des valeurs ne fut jamais plus violente. C'est vraiment l'épiphanie de la forme harmonique du faire, dans toute son ‘intolérance'. Pour elle, tout doit être relatif – hormis sa propre fin: la neutralisation des valeurs. Tout doit apparaître échangeable et sujet à contrats – hormis l'universelle domination de ce qui susceptible de contrats ou d'échange. Tout doit se réduire à l'équivalent-indifférent – mais non l'universelle équivalence. Cette forme ‘relativiste' de la tyrannie des valeurs représente l'accomplissement authentique de celle utopique-révolutionnaire. Les utopies révolutionnaires (et c'est un chapitre décisif que Schmitt n'affronte pas dans le Nomos) avaient contribué fortement à annihiler l'ancien droit européen, affirmant que l'autre en tant qu'autre constituait l'agresseur à éliminer, si l'on voulait sérieusement construire une paix véritable pour un seul espace et pour tout le genre humain. «Ce n'est qu'à travers l'abolition du non-égal»1 que la pensée révolutionnaire pense pouvoir parvenir à une réelle égalité. L'idée de communauté comme immanente au distinct – tel est ce qui représente, pour l'utopie effective de l'État moderne et pour la culture de l'«époque globale» qui en est l'héritière et l'exécutrice, le premier ennemi, et peut-être même plus encore: l'impensable et l'impossible en soi.

Il est vrai qu'à l'époque ‘relativiste'2 de la tyrannie des valeurs, la guerre contre l'autre en tant qu'autre ne semble plus de mise. Mais la guerre n'est, précisément, qu'une des dimensions de la téchne politiké. Et seule la plus enchantée des utopies libérales peut séparer abstraitement la conviction obtenue manu militari de celle que l'on obtient par la force de la parole, du contrôle et de la maîtrise de la parole. L'empire possède tous les moyens suffisants pour ‘inciter' pacifiquement le non-égal au suicide – solution que les plus forcenés des jacobins auraient préféré sans aucun doute à la guerre de combat et à la guerre froide. Et entre temps – du fait de l'impuissance de l'empire survivant à construire une nouveau jus gentium –, le pólemos peut s'affirmer comme la force normale de la relation entre les autres. Unité globale d'espace et de temps et désagrégation ‘polémique' pure apparaissent ainsi comme les traits de notre époque post-actiaque.

Sur ce méridien doit s'arrêter l'intellectuel-Epiméthée. Mais les événements, eux, ne s'arrêtent pas, ni ne s'arrêtent les attentes, les questions, les espérances, fussent-elles aveugles, de l'impossible à partir duquel toujours continue de se produire le possible et ses propres langages. Et c'est aussi cela que Schmitt nous a appris – à les écouter et à les supporter : «Horche und leide». Et c'est pour cette raison profonde qu'il nous faut le saluer comme il saluait lui-même Thomas Hobbes: jam non frustra doces! Ton enseignement n'est jamais vain, Carl Schmitt! Mais si l'Europe pouvait trouver en soi un propre encore in-ouï, la force d'un nouveau commencement, capable de parler à la Grande Île qui en a parfaitement réalisé l'Utopie universaliste et omnivore – si l'Europe était en mesure de penser comme ethos commun le conflit des distincts, avec tout le risque que cela suppose – cette question cherche sa réponse au-delà de l'historía schmittienne, au-delà du destin de l'État moderne, de toutes les grandes formes politiques de notre tradition, et de la forme politique propre du catholicisme romain. Nous ne savons ni où aller, ni où le Dieu nous commande d'établir nos nouveaux comptoirs. Mais le contre-coup de l'histoire européenne a déjà été porté.

 NOTES

1. Somme de la pensée historique et philosophique de Carl Schmitt, publiée en 1950 par Greven Verlag à Cologne. [N.d.t. Les références de pages du Nomos renvoient – faute d'édition française lors de la parution de ce livre – à l'édition italienne “a cura di” E. Castrucci et F. Volpi, Il Nomos della terra, Adelphi, Milan, 1991. Pour les autres textes de Carl Schmitt, nous avons également maintenu les références aux différentes éditions italiennes, sauf en cas d'édition française en volume.]
2. J'ai évoqué ces ‘liaisons dangeureuses' dans Icônes de la Loi (Milan, 1985), tr. fr. M. Raiola, C. Bourgois, Paris, 1990, pp. 35-42.
1. D. Cantimori, « La politica di Carl Schmitt » in Studi Germanici, 1, 1935 ; désormais in D. Cantimori, Politica e storia contemporanea. Scritti 1927-1942, Torino, 1991, pp. 237-252.
2. C. Schmitt, Ex Captivitate Salus, Erfahrungen der Zeit 1945-47, Köln, 1950. Ce livre, d'un « homme sans défense mais nullement annihilé », parut la même année que Le Nomos.1. Der Nomos, éd. cit., pp. 54-71.
2. Ibid., p. 297.
3. Ibid., pp. 335-367.
1. Ibid., pp. 163-178. Cf. aussi Staat als ein konkreter, an eine geschichtliche Epoche gebundener Begriff (1941), republié ensuite in Verfassungsgeschichtliche Aufsätze aus den Jahren 1924-1954, Berlin 1958.
2. L'expression de Jünger (Die totale Mobilmachung, Berlin 1931) est reprise par Schmitt dans Der Nomos, p. 302 et ailleurs.
1. Cf. M. Cacciari, Drân. Méridiens de la décision dans la pensée contemporaine, op. cit., pp. 21-36.
2. Par exemple à la fin de Terre et Mer (tr. cit.) : « L'antique Nomos s'amenuise certainement et avec lui le système d'ensemble de mesures, de normes et de rapports qui nous ont été transmis. Mais ce qui reste n'est pas pour autant simplement manque de mesure ou ennemi du Nomos ».
3. Politische Romantik (München, 1919) [tr. fr. Pierre Lin, Nouvelle Librairie Nationale, Paris, 1928] est à l'ensemble de l'œuvre de Schmitt ce que L'Idéologie allemande ou La misère de la philosophie sont à celle de Marx : il s'agit de la déclaration, jamais désavouée, de son ennemi in philosophicis.1. La tension la plus forte pour les lois, dont l'Olympe est le seul Père, s'exprime dans le second stasimon de l'Œdipe Roi.
1. La mémoire en est gardée jusqu'à Périclès. Cf. V. Ehrenberg, Sofocle e Pericle, (Brescia, 1958). Mais sur le Theîos Nómos, la recherche fondamentale reste celle de M. Gigante déjà citée note 1, p. 26.
2. Il serait intéressant de pouvoir confronter le Nomos schmittien et l'idée de l'‘habiter', du wohnen, chez Heidegger. 1. L'imperium de Rome est « objet d'anxiété », pour les hommes « qui avaient contribué à son affirmation définitive ». L'empire, l'arché, suscite l'angoisse : comment soutenir l'unité de tant de ‘parties', de tant de nationes ? Il semblerait presque que le processus de désagrégation de la grande forme impériale soit inséparable de son affirmation. Les nations ‘travaillent' dans l'Empire contre l'Empire (S. Mazzarino, La fine del mondo antico, op. cit., pp. 22-23, 165). L'inclinatio de l'Empire est le renouvellement dans un sens national, l'ouverture tourmentée, riche de crises et d'incertitudes de l'Occident à la liberté des nationes, en opposition à l'unité, essentiellement ‘centripète', de Byzance qui résiste (S. Mazzarino, Stilicone, Milan, 1990, pp. 232-234). Ici aussi, l'héritière de l'unité supra-nationale de l'Empire est l'unité de l'Église (Hippolyte dans son Commentaire à Daniel, parle de l'Empire comme singeant l'unité chrétienne, la seule véritable). Et il en va de même pour Augustin et Orose: seule la liberté chrétienne peut ‘légitimement' dépasser les limites des éthne, c'est dans l'hymne à Dieu que les barbares et les Romains peuvent chanter à une seule voix (Orose, Adversus paganos, vii, 39, 9). Tous, indistinctement, sont invités à la vie par la très douce harmonie – «dulcissimo modulamine» – de la trompette de la milice chrétienne. Mais ceux qui refusent de l'entendre, sont livrés, sans autre forme de procès, à la mort (vii, 39 12).
seule voix (Orose, Adversus paganos, vii, 39, 9). Tous, indistinctement, sont invités à la vie par la très douce harmonie – « dulcissimo modulamine » – de la trompette de la milice chrétienne. Mais ceux qui refusent de l'entendre, sont livrés, sans autre forme de procès, à la mort (vii, 39 12).
1. « Moyses ad duritiam cordis vestri [pròs tèn sklerokardían hymôn] permisit vobis dimettere uxores vestras » (« Moïse, à cause de votre dureté, vous a permis de renvoyer vos femmes ») Matthieu 19, 8 ; « ad duritiam cordis vestri scripsit vobis praeceptum istud [tèn entòlen taúten]» (« c'est à cause de votre dureté qu'il vous a écrit ce commandement ») Marc 10, 5.
1. Mais, que cela soit clair, seulement dans la mesure où les coutumes et les lois se présentent en un sens parfaitement désacralisées, c'est-à-dire comme des constructions simplement politiques, sans quoi elles devront être déracinées comme n'importe quel autre culte païen, dès lors qu'elles ne font preuve que de l'« impetus errabundae opinionis » « la fatalité qui découle des erreurs » (De civitate Dei, vii, 17) de l'antique polythéisme idolâtre. Exemplaire de cette formidable vis dissacratoria augustinienne, est précisément son attaque du culte de la Terre, de cette justissima tellus virgilienne où le Nomos avait ses racines ; pourquoi la considérer comme une déesse? « An quia fecunda est » « Peut-être parce qu'elle est féconde »? Mais alors, il vaut mieux dire que les hommes sont des dieux « eux qui accroissent sa fécondité par leurs soins »: « qui eam fecundiorem faciunt excolendo ». On n'adore la terre qu'en la labourant (vii, 23). Ce qui semblait à Sophocle comme le merveilleux et terrible de l'homme, la stásis de son monde avec la Terre-mère, cesse d'être aussi digne d'interrogation. Mais le nœud n'a pas été dénoué comme celui de Gordias par l'impatient élève d'Aristote : entre la tragédie sophocléenne et la ‘solution' augustinienne courent les siècles du déracinement de la fin de l'Antiquité, hellénistique, du Nomos, de l'illuminisme juridique romain, de la formation de l'idée universelle d'Imperium.
1. Der Nomos, trad. cit., pp. 42-47. La référence au katéchon revient dans de nombreux autres écrits de Schmitt, comme par exemple, « La lotta per i grandi spazi e l'illusione americana » in Lo stato, 13, 1942; « Die Einheit der Welt », in Merkur, 1, 1952 [tr. fr. J. L. Pesteil, «L'Unité du Monde» in Du Politique, publié sous la direction d'Alain de Benoist, Pardès Paris, 1990].
2. Hippolyte, De Antichristo, 63, 2.
3. M. Cacciari, Dell'Inizio, op. cit., pp. 621-638. La position de Schmitt sur la relation entre katéchon et Église catholique est incertaine. Mais si, comme il l'affirme dans Römischer Katholizismus und politische Form (1925), l'Église restera toujours proche de celui qui développe une grande politique, elle devra aussi assumer les traits ‘impériaux' propres au katéchon et, donc, toutes les contradictions qui lui sont immanentes.
1. Ces arguments ne sont pas traités dans le Nomos, mais Schmitt voit toujours dans la tradition juive un puissant facteur de désagrégation du Nomos. Sa position devrait être lue parallèlement à celle de Nietzsche : cf. chap. II, iv «le rire».
1. Sur ce concept fondamental, cf. « La notion de politique » et « L'ère des neutralisations et des dépolitisations », désormais in C. Schmitt, La notion de politique, tr. fr. M.-L. Steinhauser, Calman-Lévy, Paris, 1972.
2. C. Schmitt, Scritti su Thomas Hobbes, a cura di C. Galli, Milan, 1986, p. 54.1. Ibid., p. 106.
1. N.d.t. Essere stato, qui est l'infinitif passé du verbe être, peut également se traduire en italien par « être-état », ce qui explique la formule de Cacciari. Cf. note 1, p. 35.1. C. Schmitt, « Die politische Theorie des Mythus », in Positionen und Begriff in Kampf mit Weimar, Genf, Versailles, 1923-1939, Hamburg, 1940.
2. G. Miglio, «Oltre Schmitt» in La politica oltre lo Stato : Carl Schmitt, a cura di G. Duso, Venezia, 1981, p. 45.
3. Sur ce concept fondamental chez Schmitt et sur le contexte historico-politique et philosophique, cf. G. Duso, « Tra constituzione e decisione », in La politica oltre lo Stato: Carl Schmitt, cit. ; E. Castrucci, La forma e la decisione, Milano, 1985 ; C. Galli, Modernità, Bologna, 1988, p. 175 sq.
1. C. Schmitt, «die Tyrannie der Werte» in Säkularisation und Utopie. Ernst Forsthoff zum 65 Geburtstag, Stuttgart-Berlin, 1967.
2. Cf. en particulier C. Schmitt, « Legalität und Legimität » [tr. fr. W. de Gueydan de Roussel, in Du politique, op. cit.] et « Weiterentwicklung des totalen Staats in Deutschland » in Verfassungsgeschichtliche Aufsätze..., cit., « Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus », in Positionen und Begriffe in Kampf..., cit.
1. Cf. G. Duso, La rappresentanza: un problema di filosofia politica, Milano, 1988; M. Fistarol, «Gli organi del potere. Prospettive giuridiche e istituzionali in Carl Schmitt», in AA. VV., I limiti della politica, a cura di U. Curi, Milano, 1991.
1. Der Nomos..., trad. cit., p. 272.
1. Autre masque schmittien : cf. C. Schmitt, Hamlet oder Hekuba, Düsseldorf-Köln, 1956 [tr. fr. Hamlet ou Hécube, L'Arche, Paris, 1992].
2. Ex captivitate Salus, trad. it. cit., p. 78.
1. Cf. C. Schmitt, Donoso Cortès in gesamteuropäischen Interpretation, Köln, 1950 [tr. fr. J. Ollivier, in Les deux Étendards, 2, 1989]. [N.d.t.: C'est en référence à la dernière grande bataille navale d'Actium entre Octave et Antoine qui marquera, de fait, la fin de la République romaine.]
1. R. Schnur, Rivoluzione et guerra civile, Milano, 1986, p. 85.
2. La critique de la ‘tyrannie relativiste' produit typique de l'Occident, est au centre de l'œuvre de Louis Dumont. Il ne peut exister de reconnaissance ‘indifférente' des différences, parce que cela impliquerait, précisément, que l'on ne tienne pas compte des différences. Mais il est possible de ne pas ‘tenir compte' de quelque chose dans la seule mesure où est présupposée la supériorité hiérarchique du point de vue qui considère cette chose indifférente. L'illustration in re de cette critique impliquerait une analyse comparative des différentes traditions, qu'il est impossible de mener à terme ici. Mon approche philosophique de ce problème sera argumentée dans le prochain chapitre et dans l'épilogue.