André Neher

André Neher naît en Alsace, à Obernai, le 22 octobre 1914, dans une famille juive sioniste, cultivée et respectueuse des traditions. Son père, Albert Abraham Neher, inculque à ses enfants, Suzel, Richard, Hélène et André, l’amour du texte biblique, mais aussi celui d’une France à laquelle il se sent très attaché, sa famille appartenant à cette communauté juive installée en Alsace depuis des siècles.

Ayant déménagé avec les siens à Strasbourg en 1927, Neher étudie l’allemand, qu’il enseignera au collège de Sarrebourg en 1936. Il poursuit son approfondissement du judaïsme à la synagogue orthodoxe de Strasbourg, puis à la yeshivah de Montreux en Suisse. Mobilisé en 1939, puis réformé, il rejoint sa famille réfugiée à Brive-la-Gaillarde, en Corrèze, après la débâcle, et y enseigne, avant d’être chassé de l’enseignement en 1940 du fait des lois sur le statut des Juifs. Il demeurera toutefois avec les siens et pendant quatre années, à Lanteuil, dans une situation des plus précaires et difficiles, même si le souvenir de « Mahanayim », nom qu’ils donnèrent à leur lieu d’accueil, le château de La Praderie, reste celui d’intenses années de lectures et d’études. « Avec les membres de ma famille, expulsés comme moi de la Cité des Hommes que nous savions provisoire, nous avons créé, dans le temps et dans l’espace, une micro-cité de Dieu, l’École clandestine de Lanteuil, en Corrèze, à 10 km de Brive-la-­Gaillarde et nous avons appelé notre demeure Mahanayim […] ‘La Double Demeure’ […] parce que nous y avons vécu, précisément, d’une manière constante et consciente, dans une dimension double : celle de l’angoisse et de l’espérance, celle de la persécution et celle du temps biblique dont la plénitude recouvrait chacun de nos instants. » (André Neher, Le dur bonheur d’être Juif, Paris : Le Centurion, 1978, p. 13).

Tout juste après la guerre, la famille déménage à Lyon où Albert, malade depuis juin 1944, est soigné par son gendre, le docteur Gaston Revel, revenu du maquis du Grésivaudan, et par le docteur André Bernheim, père de la jeune Renée Bernheim (née en 1922) qui avait abandonné ses études pour rejoindre la Résistance dès 1942. C’est à Lyon qu’Albert Neher décède en 1945 et c’est à Lyon également qu’André Neher publiera, avec son frère Richard, son premier texte, issu d’une conférence : Transcendance et immanence (Éditions Yechouroun, 1946). En 1947, Neher épouse Renée Bernheim, avec qui il partagera désormais sa vie, ses recherches et ses espoirs, de Strasbourg à Jérusalem. Après la publication de sa thèse (Amos ou l’essence du prophétisme, Paris : Vrin, 1950) et d’« énigmatiques » Notes sur Qohélét aux éditions de Minuit (1951), Neher est nommé professeur « sans chaire » à l’Université de Strasbourg en 1955, mais ce n’est que deux ans plus tard que sera créée à son intention une « chaire de littérature juive ancienne et moderne », la première en France. C’est à cette époque qu’il participe activement à la création des Colloques des intellectuels juifs de langue française, dont le premier accueille en 1957 une leçon inaugurale de Vladimir Jankélévitch. Neher milite également alors pour l’enseignement de l’hébreu comme langue vivante au sein de l’université française et crée un Centre de Recherches et d’Études hébraïques, qui publiera à la fois des ouvrages de pensée juive – les siens comme ceux de ses élèves Benjamin ‘Benno’ Gross ou Théo Dreyfus – mais également des méthodes de langue ou de traduction de l’hébreu, comme son étonnant De l’hébreu au français. Manuel de l’hébraïsant : la traduction (1969) où, à côté de commentaires de traductions des textes de la Genèse, conçus comme des exercices de version, on trouve aussi des pages de Shaï Agnon, Gershom Scholem ou du quotidien israélien Maariv. La période strasbourgeoise est d’une grande intensité. Avec Renée, qui enseigne les Lettres classiques à l’école Aqiba dirigée par Benno Gross, l’universitaire Neher, qui est aussi un « homme d’action », ne ménage pas ses efforts pour accueillir en France les populations juives d’Afrique du Nord, après l’indépendance de l’Algérie. Tous deux sont aussi très actifs au sein d’associations d’amitiés judéo-chrétiennes. Neher publie de nombreux ouvrages sur la prophétie (L’essence du prophétisme, 1955 ; Moïse ou la vocation juive, 1956 ; Jérémie, 1960) et autour de la figure du Maharal de Prague, qu’il contribue à faire connaître (Le puits de l’exil, 1966), tandis que Renée rassemble en quatre volumes les Faits et documents – de la Renaissance à nos Jours – d’une Histoire juive. C’est ensemble qu’ils publieront une Histoire biblique du peuple d’Israël en deux volumes chez l’éditeur Adrien Maisonneuve en 1962. En décembre 1966, Neher accueille à l’université de Strasbourg le prix Nobel de Littérature, Shaï Agnon, et il semble que cette rencontre avec l’écrivain israélien ne soit pas étrangère au départ du couple Neher en Israël, juste après la guerre des Six jours en juin 1967. S’accomplit ainsi la vision de Mahanayim. Ils seront suivis presque immédiatement par d’autres intellectuels juifs français, dont Eliane Amado Lévy-Valensi ou Léon ‘Manitou’ Ashkénazi (en 1968), puis par les strasbourgeois Benno Gross et Theo Dreyfus (1969), fondant à nouveau et à Jérusalem ce que l’on a appelé, presque improprement, « l’école de pensée juive de Paris », née sous l’impulsion de Jacob Gordin et à laquelle a appartenu également Emmanuel Levinas. En 1970, paraît une œuvre capitale : L’exil de la parole (Seuil) qui fut traduite dans plusieurs langues et qui fait résonner le silence biblique et le silence d’Auschwitz, comme le précise son sous-titre. Suivront alors d’autres ouvrages sur Jérusalem, le Maharal encore, des volumes d’entretiens et de souvenirs, de très nombreux articles et jusqu’à son Faust et le Maharal de Prague, que publieront les Presses universitaires de France en 1987. André Neher disparaît le 23 octobre 1988, laissant une œuvre d’une très grande richesse, dont le pauvre XXIe siècle devrait mieux se souvenir. À la précision de l’étude, Neher mêle la puissance du commentaire et de l’expression, qui donne à son œuvre cette dimension particulière qui l’apparente aux grands midrachim. Chercheur, il l’est à part entière, mais avant tout par ce qu’il a trouvé et ce qu’il a donné. Avec la « Fondation André Neher » créée sous les auspices de la Fondation du Judaïsme français, Renée (Rina) redoublera d’effort pour faire connaître et reconnaître l’œuvre de son mari, jusqu’à sa propre disparition en décembre 2005 à Jérusalem. Depuis, la Fondation Renée et André Neher veille à conserver la mémoire et l’enseignement de cette femme et de cet homme, dont on pourrait penser qu’ils furent « destinés l’un à l’autre depuis les six jours de la Création » (d’après Sanhédrin 107a).

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