l'éclat

DAVID GRITZ
LEVINAS FACE AU BEAU


 

 

[n.d.e.]

 

Dans l'une des dernières notes de son mémoire: Levinas face au beau, David Gritz évoque Different Trains du musicien américain Steve Reich. Écrit en 1988, pour quatuor à cordes et bande magnétique, Different trains mêle des enregistrements de trains américains et européens des années 40 aux voix de rescapés de la Shoah et d'un ancien conducteur de locomotive, que le jeune Steve Reich, né en 1936, aurait pu croiser lors des nombreux voyages qu'il dut accomplir avec sa gouvernante de 1939 à 1942 entre Los Angeles et New York, à la suite du divorce de ses parents. Reich se demande alors dans quels trains différents il aurait pu monter s'il s'était trouvé à la même époque de l'autre côté de l'Atlantique. Different trains donne à entendre les "possibles" d'un enfant juif de part et d'autre de l'océan. Il témoigne également, "à la manière noire", de tous les Different trains qui ne virent pas le jour.

Levinas face au beau, donne à lire le "possible" d'un jeune étudiant en philosophie, achevant son mémoire de maîtrise à l'Université de Nanterre-Paris X sous la direction de Catherine Chalier, et décidant de poursuivre ses études à Jérusalem. Il laisse percevoir la clairvoyance et la détermination d'un jeune esprit particulièrement brillant, inaugurant par la question du "beau et du bien" le chemin d'une vie qu'il voulait philosophique.

Tout livre est un état intermédiaire d'une pensée qui se continue dans la vie et de son inachèvement dans l'écrit. Il témoigne d'une pensée interrompue par l'écrit. Mais, à ce titre, Levinas face au beau est autrement un "livre", parce que la vie elle-même de celui qui l'écrit s'interrompt tragiquement le 31 juillet 2002.

David Gritz a 24 ans lorsqu'il meurt, ainsi que six autres personnes, dans l'attentat de la cafétéria de l'Université hébraïque de Jérusalem qui fera également plus de quatre-vingt blessés.

Autrement et tragiquement un livre, parce qu'il témoigne du possible de cette pensée qui va s'élancer, comme de l'impossible, désormais, de son prolongement dans la vie.

Et en dépit du fait que Levinas face au beau est un mémoire de maîtrise, un exercice de pensée dans un cadre universitaire – même s'il fait preuve déjà d'une étonnante autonomie d'esprit (si l'on en juge par la distance prise à l'égard de certaines " autorités " des études lévinassiennes) –, la tâche d'un éditeur était d'en rendre possible la lecture par le plus grand nombre. Pour la valeur propre du texte lui-même – indéniable –, mais aussi comme témoignage d'autres écrits qui ne purent être ébauchés. Levinas face au beau, unique œuvre d'un fils unique, est une pierre posée sur le chemin de la philosophie, pour celles et ceux qui le parcourent encore.

M. V.