l'éclat

Patricia Farazzi, La vie obscure

photo: Jean-Claude Gautrand

D'un noir illimité
(roman)

Patricia Farazzi

Patricia Farazzi, La vie obscure
photo: Giovanni Panizon

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JANVIER 2013
320 pages

18 euros

Voir collection paraboles






8.

 

Bernadette se retourne vers lui, elle voit ses yeux, dans l’obscurité, ils sont grands ouverts. Il ne dort pas. Encore une de ces nuits dont il sortira en donnant le change par une gaieté factice, avec, pourtant, un pli amer au coin de la bouche et des cernes noires sous les yeux. «Ses beaux yeux andalous», comme elle dit, et lui, ça l’énerve. Mais maintenant, dans la nuit, ses yeux ne sont plus ni andalous, ni russes, ils sont inquiets ou tristes, comment savoir? Elle sait qu’il ne lui dira rien, alors elle plisse les yeux pour qu’il croie qu’elle dort. Elle respire tranquillement, elle sait très bien faire ça, mimer le sommeil. Demain, c’est l’anniversaire de leur rencontre, quelque chose d’important pour elle. Pour lui, elle ne sait pas. Il vient d’une autre planète. C’est exactement ce qu’elle avait pensé quand elle l’avait vu la première fois, dans ce supermarché où il se battait avec des boîtes de céréales. Le soleil l’a brûlé pendant sa chute, s’était-elle dit, et elle était restée à le regarder comme si elle n’allait plus jamais détourner le regard, comme si elle allait se planter là jusqu’à se dissoudre, et il avait ri et l’avait poussée doucement d’un doigt, ce qu’on fait avec une apparition. Il s’était moqué d’elle (du moins c’est ce qu’elle avait cru) dans une langue qu’elle ne connaissait pas, une langue gutturale. Et c’est sa voix qui l’avait transpercée. Une voix de feutre et de glace, à la fois. Elle avait 20 ans, depuis peu de jours, des 20 ans tout neufs et lui beaucoup plus, mais il avait l’air si jeune. «De la jeunesse à rattraper », lui avait-il dit, «j’ai commencé par la fin». Elle avait ouvert de grands yeux, elle ne savait pas encore faire semblant de tout comprendre: «La fin?» «J’ai commencé par l’épuisement», avait-il répondu. Ce qui était tout autant énigmatique. Comment peut-on commencer par s’épuiser et reprendre vie? Dans le café où ils étaient allés, il avait juste levé la main puis l’avait laissée retomber. Après, il l’avait emmenée par les rues et elle s’était laissée conduire, et chaque fois qu’elle le frôlait, une chaleur terrifiante envahissait ses membres, son sexe était irradié. Ça ne lui était jamais arrivé avec les autres. Pas comme ça. Ils s’étaient retrouvés devant un porche, dans le deuxième arrondissement. Il s’était arrêté et l’avait observée un instant. Puis, en silence, il avait ouvert la porte. Elle était montée devant lui, elle voulait qu’il admire ses fesses, elle en était fière. Déjà elle savait comment ça allait se passer. En silence. Elle, trébuchant sur ce corps brûlé de soleil, pleins de cicatrices, et lui, lent et calme, comme s’il savait qu’il avait tout son temps avec elle, qu’elle ne pourrait plus repartir de si tôt. Quand elle lui avait dit son nom, il avait ri, sans méchanceté, et en s’excusant. «C’est que tu comprends, moi je m’appelle Bernovski, alors Bernadette Bernovski, si on se marie, ça sera bizarre! Mais Bernie c’est bien, c’est comme si tu adoptais déjà mon nom.» Déjà? Quelque chose en elle avait hurlé au secours. Et pourtant ça ne lui semblait pas si dingue. Quand elle était ressortie le lendemain seule dans la rue, elle avait envie de crier, elle avait envie de retourner là-haut, de se cacher la tête sous son aisselle à lui et de ne plus jamais descendre cet escalier. Rester là, dans l’appartement sombre avec la ménorah et la hanoukkiah, des mots tout neufs qu’elle venait d’apprendre. Les photos de vieux juifs en caftans et de moins vieux avec des kippas. «Mon héritage» avait-il dit. «Mon père, un mort tout neuf », avait-il ajouté, en montrant une photo. Une autre photo, une femme riant aux éclats, les mains sur les hanches, «ma mère. Depuis longtemps partie». Et devant la photo d’un très jeune homme, il avait haussé les épaules, « mon frère. Un imbécile. Mort à la guerre. Je suis le seul survivant et pourtant...». Il n’avait rien ajouté, cette fois-là. «Tout ça et une entreprise d’import-export, qu’est-ce que je vais bien pouvoir en foutre?» et il avait souri.
Elle en avait fait du chemin depuis, appris tant de mots nouveaux, parcouru tant d’histoires. Des mois de bonheur, c’était il y a onze ans. Demain, elle emmènerait Lorraine chez sa sœur, après l’école, et elle recomposerait ce bonheur, grain à grain, ombre et lumière. Oui, des mois de bonheur, même si elle sentait que tapi quelque part dans son passé, quelque chose le guettait, prêt à ressurgir. Il n’en parlait pas, ou à demi-mot, et elle s’en fichait. Maintenant qu’elle avait tout fait avalé à ses parents, elle était prête à en rajouter une louche. Le plus dur était passé. Quelque chose d’incroyable, du jamais vu chez les de Saint-Hubert. La douce Bernadette, l’enfant chérie qui n’avait jamais causé le moindre souci à personne, élevée comme un bon cru, en tonneaux du meilleur bois, celui dont on fait les crucifix, prête pour le mariage en grandes pompes, avec banquet dans le parc de leur demeure en Bourgogne, un quasi-château, tennis et cheval, voile et piano, danse classique et langues étrangères, première de sa promo, tout pour réussir dans la diplomatie, y compris comme sage épouse d’ambassadeur. Une éducation d’un autre siècle. Et tout ça pourquoi? En concubinage avec un juif reprenant mollement l’affaire paternelle. C’est papa de Saint-Hubert qui avait donné l’idée à Sam de commercialiser en France les vins du Néguev. Excédé, le papa, par le manque d’intérêt de Samuel pour les affaires. «Le monde à l’envers» avait-il dit à son médecin, le seul à qui il osait en parler, à cause du secret professionnel. «Ne sont-ils pas censés être doués pour le commerce?» Le médecin avait acquiescé et lui avait prescrit un anti-dépresseur. Quand il devait présenter Sam à ses amis, dans de rares occasions, il bégayait à mi-voix un «Samuel Bernovski, le fiancé de Bernadette», et les autres n’osaient pas le faire répéter, plein de compassion pour sa souffrance.
Quant à maman, elle gardait un silence ulcéré. On n’avait pas fait dans la Résistance chez les de Palindre, sa famille, et loin d’en avoir honte, elle en tirait quelque fierté. Mais les rôles s’étaient distribués d’eux-mêmes et sans trop de casse. Samuel n’avait plus fichu les pieds au château, les De Saint-Hubert n’avaient jamais visité l’appartement du sentier. «Mais maman, il fait presque 120m2, tu te rends compte?» Rien à faire, c’était pas de ça dont elle rêvait pour sa fille. Samuel s’était mis à gagner sa vie, en abandonnant ses propres rêves d’écriture, de cinéma. Six mois encore et vogue le navire. Le mariage n’était pas envisagé. Trop compliqué. Pas question de marier leur fille en dehors des Saints Sacrements. Pas question pour Samuel de se convertir. Les rêves des uns et des autres en avaient pris un coup, sauf ceux de Bernie, qui était au septième ciel, découvrant enfin le siècle dans lequel elle vivait depuis plus de 20 ans et qui se terminait pourtant. Trop bien élevée pour poser des questions, elle attendait patiemment que Samuel cause. Qui était cette Nell dont il payait les factures? Qui était ce Jeff dont il avait payé l’enterrement? Sam finissait toujours par lâcher des informations, «des amis du passé… Je leur dois beaucoup, tu sais, ils m’ont toujours tiré du pétrin, ils m’ont soigné, ils m’ont écouté». Il tournait autour du pot. Et Bernadette recollait des morceaux d’informations. Jusqu’au jour où ils étaient tombés sur Arthur, au coin d’une rue, près d’une ancienne adresse de Sam, quand il l’emmenait visiter les lieux de sa jeunesse et des quartiers qu’elle n’avait jamais vus. Il était tombé des nues quand elle lui avait dit qu’elle ne connaissait pas les Buttes-Chaumont, ni Belleville, et encore moins Ménilmontant. «Jamais?» «Non jamais.» «T’as jamais fichu les pieds par là?» «Ja-mais!» «Dis donc, t’es pas curieuse!» «J’ai appris à ne pas l’être, mais ça vient.» Une apparition, juste à hauteur de ses yeux, elle avait cru que c’était un SDF, qu’il allait leur demander du fric, et elle avait accéléré le pas. Sam, lui, était resté tétanisé en face de ce type. L’un comme l’autre muets. Ils se regardaient sans sourire, sans bouger. Elle sentait un truc électrique entre eux. Sam n’avait jamais eu ces yeux. Elle avait soudain du mal à le reconnaître, et puis, ils étaient tombés dans les bras l’un de l’autre et le type avait commencé à pleurer. «Arthur!» avait dit Sam, et Arthur avait touché la joue de Sam, caressé ses cheveux, et l’avait embrassé sur la bouche, et il le serrait contre lui en pleurant. Bernadette était toute pâle, un pic à glace lui labourait l’estomac, descendait dans son ventre. Elle avait des frissons. C’était donc ça le grand secret de Sam? Il préférait les garçons? Avant? Mais avant quoi? Avant le Néguev? Avant elle? Et si ça revenait? Si son grand bonheur finissait dans les bras de ce vieux type mal rasé et sale? «Bernie, je te présente Arthur, Arturo di Stefano, dit Arthur Stefan, dit The King Arthur, le fils du grand Alberto di Stefano!» Elle était paralysée, sa joue tremblait, elle n’arrivait ni à parler, ni à sourire. Elle a tendu la main: «Bonjour monsieur!» Arthur a éclaté de rire, il a regardé Sam et dit: «Eh bien le temps a passé finalement, je suis un monsieur maintenant», et à Bernadette: «Madame!» et il lui a baisé la main.
Après, ils sont allés dans un café, et Arthur a récupéré son saxo, qu’il avait laissé en dépôt, et Sam a réglé ses dettes. C’était comme s’il n’allait jamais s’arrêter de payer pour tous les paumés de la terre, morts ou vivants. Et Arthur a parlé de sa vie. Les squats c’était fini, il habitait un trou, et ça le faisait marrer. «Un trou, Sam, un vrai! Mais tu sais, c’est un privilège. Tu te rends compte, je suis le seul à le connaître, et gratis en plus, pas d’électricité, pas de chauffage, pas de téléphone, et pas de voisins! ils nous ont assez fait chier, on pouvait même pas baiser tranquille. Toc toc, qui est là? La polizia! Tout le temps en train de nous rappeler l’heure qu’il était… “Zavez vu l’heure?” Tu te souviens de “Zavez-vu-l’heure”? Un grand type un peu chauve? Ah! oui, zavions vu l’heure! L’heure de se poudrer, marquise, l’heure de cristalliser nos songes, l’heure de faire vibrer nos artères, hein?» Et ils se touchaient sans arrêt. Et ça fait un bail, et t’as des nouvelles d’untel, et de Nell, et Jeff a fait le grand saut, et Gillette est mariée et machin est parti, et soudain, Arthur s’est figé, «et Dita?». Sam a fait comme s’il n’entendait pas. Puis, «Dita? comment tu veux que je le sache? c’est avec toi qu’elle vivait». «Dita? Vivre? Non Sam, Dita ne vivait pas, elle passait d’une mort à l’autre, tu en sais quelque chose, non?» Sam était blême, il a cherché sa main à elle, essayé de détourner la conversation, mais Arthur était lancé, «... elle vit encore quelque part et je ne vais pas tarder à la retrouver. Je ne la perds jamais vraiment, j’ai mes espions, tu sais, ils sont sur ses traces… Ça t’épate fillette?» a-t-il dit à Bernadette, «j’ai pas une dégaine à me payer des espions? T’inquiète, Arthur a plus d’un tour dans son saxophone». Sam a encore essayé de détourner la conversation sur le saxo, les dons d’Arthur, son talent, sa musique, mais c’était peine perdue. Arthur a tout balancé, c’était un prêté pour un rendu. Il se marrait en caressant Bernie qui reculait. «Et si j’en faisais autant hein? Si je rentrais avec mademoiselle, si je lui enfilais ma seringue, au propre comme au figuré d’ailleurs, et si elle ne pouvait plus s’en passer? Ni de moi ni de la poudre?» Et à Bernie: «Mais je lui en veux pas, à ton Jules! Il y avait tant d’amour entre nous tous, on ne pouvait rien se refuser. Seulement voilà, Dita, je l’aimais comme ça. C’est mon seul amour, Sam. Elle était folle, mais elle était pas junkie. Après toi, elle était tout ça à la fois. Mais on va la retrouver, et on va lui demander pardon ensemble. Même Bernadette va lui demander pardon. On va tous implorer son pardon, OK ?»

Il en était à son troisième cognac et il commençait à tanguer sur sa banquette. Puis il a sorti son sax et Bernadette n’a plus rien compris, parce que tout à coup, c’était un autre Arthur et qu’elle l’aimait soudain. Enfin pas lui, mais ce qui sortait de lui, et pourtant, elle ne connaissait rien au jazz, et encore moins au free jazz. Mais une partie d’elle était en lambeaux. Sam s’était drogué. Sam avait détruit la vie d’une Dita. Sam avait traîné avec des types comme ça. Où était Samuel Bernovski? Et elle? Comment allait-elle s’en sortir? Parce que si un instant, elle imaginait sa vie sans lui, c’était comme si elle sombrait dans un marécage peuplé de De Saint-Hubert et de De Palindre et de gens qu’elle ne comprenait plus. Et comme si Arthur avait deviné, il a arrêté de jouer, lui a souri, et il a dit «ça serait dur, hein? De revenir en arrière? Sans lui?». Et il a encore caressé la joue de Sam. «Difficile de s’en passer. Un monde sans Sam, imagine. Imagine une seconde, demain sans lui?» Puis il a rangé son saxo et en titubant il s’est levé. Juste avant de passer la porte, il est revenu sur ses pas et a glissé à Bernie, «Arthur le sorcier, consultation gratuite et sans contrepartie, une vie de mensonge passe comme un songe, don’t forget, I am not a King, I am a Wizard, je suis dans l’annuaire des étoiles. Viens quand tu veux». Et à Sam, «t’as repris l’appart de tes vieux, je passerai un jour prendre un bain». Et il est sorti.
Quelques instants plus tard, Bernadette a attrapé son sac et s’est enfuie. Sam n’a pas eu le temps de la rattraper, il devait payer les consommations. Quand il a rejoint la rue, il n’y avait plus de Bernie à l’horizon. Elle a couru jusqu’au boulevard de Belleville, c’était un vendredi, les boubous étaient de sortie, les kippas aussi. On sortait des mosquées et on entrait dans les synagogues. Et elle, une tache de perle et de sable, qui ne savait pas où elle était, ni ce qui se passait. Des jeunes, à peine plus jeunes qu’elle, ont barré sa route, «ouaouh! elle est bonne celle-là! Vise-moi ça! Faut pas pleurer princesse». Elle ne connaissait ni les codes ni les rues. Elle a continué à courir. Tout à coup elle était entourée de chinois. Ça puait à l’entrée des épiceries, le poisson séché ou quelque chose, elle ne savait pas quoi. Perdue dans la ville où elle était née, elle a ralenti, essoufflée, et elle s’est mouchée. Un taxi l’a emmenée chez une amie et elle a passé une semaine à renifler, à chouiner, à se dire qu’elle était conne… Pouvait-elle s’attendre à ce qu’un type qui avait vingt ans et des poussières de plus qu’elle, n’ait pas de passé? Au bout de dix jours, elle a filé chez Sam. Il était là, il n’avait jamais douté qu’elle allait revenir. Il lui a demandé pardon dans toutes les gammes et sur tous les tons, dit qu’il aurait dû lui parler de tout ça, mais à quoi bon, puisque c’était fini et bien fini. Ils avaient baisé comme des cinglés pendant trois jours et quand elle lui avait parlé de Dita, il avait dit que ça c’était pas exactement passé comme Arthur avait dit. Non, pas exactement. «Dita était complètement chtarbée, mais alors complètement, et j’ai pas eu besoin de la forcer pour qu’elle se shoote. Ah non! Pas besoin. Y’avait pas un truc qu’elle n’avait pas essayé. Elle a débarqué un soir, je créchais enfin seul à l’époque, une toute petite chambre. Nell était dieu sait où. C’était ma sœur, Nell, la seule qui me foutait la paix, qui savait me faire ralentir sans me faire la morale, la seule qui croyait à mes rêves, même si elle faisait un peu semblant, mais elle était loin, elle se tirait tout le temps. Une sacrée bougeotte. Je l’appelais le juif errant, ça la faisait marrer. Elle était mignonne, un visage de mime, un air androgyne, toujours affublée de fringues de garçon.» Bernie s’était agacée, «il ne s’agit pas de Nell, mais de Dita». «Dita, je l’avais oubliée celle-là, et elle n’était pas mignonne. Des frappés j’en ai connus à l’époque, y compris moi, mais comme elle, jamais. Elle a trouvé un prétexte pour débarquer chez moi, elle savait que je la kiffais pas, comme on dit maintenant, mais elle était rusée, elle a trouvé le seul truc qui allait me flatter, que je pourrais pas refuser. Elle voulait que je l’aide à écrire un scénario. Son histoire, tu parles! mon cul – pardon Bernie –, son histoire du moment, oui! Elle s’inventait une biographie tous les trois jours. Une histoire d’Afrique, d’enfant battue puis violée par son père, s’enfuyant dans la savane et inventant une religion devant une termitière. Elle m’a parlé des termites pendant des heures. Remarque, elle en connaissait un bout et ça, c’était pas du baratin. Mais là, elle me fichait la trouille, elle en parlait comme si elle envisageait de me convertir en termite, et en plus elle n’arrêtait pas de me dire qu’ils étaient aveugles, que c’était incroyable tout ce qu’ils faisaient sans voir, qu’ils ne sortaient jamais. Un truc flippant, claustro. Elle suait l’angoisse cette nana. Elle a commencé par sniffer toute ma poudre, après elle est allée en chercher. Et elle est partie suffisamment longtemps pour qu’à son retour je sois là à l’attendre comme le messie. J’étais salement accro, tu sais. Et ça a duré quelques semaines comme ça, on se shootait, elle bien plus que moi, elle avait une endurance inimaginable pour une fille squelettique, elle bouffait à peine. Après, elle repartait en chercher et j’étais cuit. Mais on n’a pas vraiment baisé, elle était bien trop folle pour moi. Sadomaso, ou pas loin en tout cas. Elle a détruit Arthur et elle m’aurait détruit aussi, mais d’un coup elle s’est lassée, et elle a disparu. Elle faisait ça tout le temps. Et je te jure, Bernie, j’ai pas pleuré.»
Bernie a pleuré, elle, la queue de la comète, les dernières larmes. Et elle a demandé pourquoi Arthur s’était laissé détruire. «J’en sais rien» a dit Sam, «peut-être à cause de la musique, ils avaient ça en commun. Elle jouait du violon, pas mal d’ailleurs, mais rien à voir avec Arthur, pas aussi douée. Ça et puis autre chose qui m’échappe, comme un envoûtement. Mais c’était pas mon truc. Moi, j’étais un junkie, les junks sont matérialistes, tu savais pas ça, hein?»
Tant de choses qu’elle ne savait pas.

 

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