l'éclat

David Biale : Gershom Scholem. Cabale et contre-histoire.

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2. «Ce qui a toujours été et reste évident pour moi, c'est simplement le fait que la Palestine est nécessaire, et cela me suffisait, quelles que fussent les attentes des uns et des autres.» Lettre à Benjamin du 1er août 1931, dans G.Scholem, Walter Benjamin: histoire d'une amitié, Paris, 1979, p.195.


Publié pour la première fois en 1979, puis réédité trois ans plus tard chez Harvard University Press, ce livre de David Biale paraît seulement aujourd'hui en français. Notre édition est conforme à la deuxième édition américaine. Nous n'avons ajouté que l'appendice.

Gershom Scholem est mort en 1982 à Jérusalem. Près de vingt ans ont passé et son œuvre a fait l'objet de nombreuses éditions, traductions et commentaires dans le monde entier. Nous disposons également aujourd'hui d'une édition de sa correspondance et de son journal de jeunesse. Toutefois il ne nous a pas semblé utile de suggérer à l'auteur une «mise à jour» de ce livre déjà classique. On n'écrit pas la même chose à trente ans et à cinquante ans. Mais la raison essentielle en est que les documents portés depuis à notre connaissance ne font que confirmer la plupart des thèses énoncées en 1979 par David Biale, et qui permettaient dès alors de mieux prendre la mesure des nombreuses implications de cette œuvre immense.

«Publier les œuvres maîtresses de l'ancienne littérature cabalistique est la meilleure garantie de son secret», écrivait Gershom Scholem dans les «Dix propositions anhistoriques sur la cabale». Cette phrase est à elle seule le résumé d'une vie. Mais si la divulgation garantit le secret, le secret sauvegardé devient, en retour, ce lien privilégié entre des hommes et des femmes qui participent de cette divulgation. Ce lien c'est le sionisme paradoxal de Scholem, qui visait à établir les fondations d'un ciel pour une terre juive, reprenant l'ordre de Genèse 1,1 : d'abord «hashamaïm», puis «véeth haaretz». Et c'est le grand mérite de David Biale d'avoir montré que c'est sur cette «dialectique du secret» que repose toute l'entreprise de Scholem, qui lui vaut de figurer non seulement parmi les grands savants du judaïsme, mais également parmi ses plus grands penseurs.

L'essai sur les «Dix propositions anhistoriques» que nous donnons en appendice est un contrepoint très enrichissant du livre de 1979. Écrit trois ans après la mort de Scholem, il reprend la «méthode» scholémienne d'analyse des textes, l'appliquant à Scholem lui-même.Texte et commentaire jouent ici en parfaite harmonie et se voilent très subtilement de ce qu'ils dévoilent.

Scholem a un démon (ou un ange). Ce démon (ou cet ange), c'est la langue
1. Tant dans son livre que dans cet essai plus tardif, Biale insiste sur ce point essentiel entre théologie et politique, qui reste une des questions principales à laquelle est confronté celui ou celle qui s'apprête à pénétrer dans le domaine de la mystique juive, comme celui ou celle qui se décide, en ces temps peu cléments, à prendre le chemin de la terre d'Israël. Scholem a été celui-ci et celui-là. Il a montré à quel point il était nécessaire à celui-ci d'être aussi celui-là, comme était «nécessaire2» également l'existence d'une terre pour ce ciel.

À sa mesure, le livre de David Biale est pionnier. Il a permis de défricher une terre difficile et rocailleuse. Il l'a fait dans un esprit de «discussion créatrice», sans jamais perdre de vue cet «art d'écrire» propre aux œuvres qui sont l'engagement de toute une vie et dont il n'est pas toujours facile de démêler les fils. C'est pourquoi la compréhension de l'œuvre historique de Scholem en tant que contribution essentielle à la pensée juive moderne commence avec ce livre de David Biale. Elle n'est pas à son terme.
































1. «...Quant à nous, nous vivons à l'intérieur de notre langue, pareils, pour la plupart d'entre nous, à des aveugles qui marchent au-dessus d'un abîme», écrit-il dans «À propos de notre langue : une confession. Pour Franz Rosenzweig» (1926), publié pour la première fois et traduit en français par Stéphane Mosès dans les Archives des Sciences sociales des Religions, IX, 1 (juillet-septembre 1985), p. 83-84 (puis repris dans son livre L'Ange de l'histoire :Rosenzweig, Benjamin, Scholem, Paris, 1992).Voir également à ce propos D. Biale, «Gershom Scholem between German and Jewish nationalism», dans The German-Jewish dialogue reconsidered : a symposium in honour of George L.Mosse, New York, 1996, p. 183 sqq.