l'éclat

 

 



 
Paolo Virno

Différence et interruption


 Maurizio Ferraris s'entretient avec Paolo Virno à propos de Et ainsi de suite. La régression à l'infini et comment l'interrompre

Cet entretien a paru en italien dans le quotidien La Reppublica, à l'occasion de la parution de E cosi via all'infinito, aux éditions Bollati-Boringhieri, Turin 2010. Il est traduit par Michel Valensi

Et ainsi de suite

PARUTION SEPTEMBRE 2013
Traduit de l’italien par Didier Renault
Traduit avec le concours du Centre National du Livre
«Philosophie imaginaire»
ISBN 978-2-84162-331-0

200 p., 19 euros

 

 

 

M. F. – En cette période de fête tout le monde devait avoir sous la main ton dernier livre, Et ainsi de suite La régression à l’infini et comment l’interrompre, parce que tout le monde pourrait faire l’expérience ‘en direct’ de ton interprétation du rite comme thérapie homéopathique ou paradoxale de la régression à l’infini, de l’illimité, de l’amorphe, du répétitif (c’est-à-dire aussi de cet ‘etcætera’ sur lequel Husserl a écrit ou du ‘vertige de la liste’ dont a récemment parlé Umberto Eco). Une thérapie dont le développement, sa sophistication, mais aussi, dans un certain sens, sa perversion, correspond au désir philosophique d’axiomes et de fondements. Le rite donne forme au flux, il le rythme, et c’est cette seule espérance qui nous permet de faire face à la lassitude des fêtes. Le nouvel an, par exemple, est une césure, et ce que nous faisons en débouchant le champagne n’est rien d’autre en réalité qu’une tentative de donner forme à l’informe.

P. V. – Le rite, même le plus rudimentaire, a quelque chose en commun avec la recherche philosophique d’un fondement, d’un principe inconditionné au-delà duquel on ne peut pas remonter. Dans les deux cas, mais différemment bien sûr, est tracée ou rétablie une ligne de partage entre humain et non-humain, significations bien définies et discours vides, unité du ‘je’ et sa désagrégation. Je pense au principe de non-contradiction (« une chose ne peut pas en même temps être et ne pas être »), par exemple : d’après Aristote, si nous pouvions transgresser ce principe, nous serions semblables à une plante ou à un coq. Le fondement met en avant l’écart qui nous sépare des formes de vie sans langage articulé. Les rites, eux aussi, reparcourent symboliquement l’anthropogenèse, en réaffirmant les traits caractéristiques de notre espèce. Si ce n’est qu’à la différence du fondement des philosophes, le rite montre que ces traits caractéristiques sont fragiles, qu’ils peuvent s’étioler jusqu’à disparaître. Ernesto De Martino, l’un des rares philosophes de quelque importance du vingtième siècle italien, a nommé « perte de la présence » l’évanescence des prérogatives qui font qu’un animal humain est un animal humain (unité de l’auto-conscience, compétence linguistique, ouverture au monde, etc.). D’après lui, les rites affrontent la « perte de la présence » par un double  mouvement: dans un premier temps ils amplifient la crise en radicalisant le chaos et l’indétermination sémantique qu’elle porte en elle ; puis, au terme de cette incursion dans la vie dépourvue de logos, ils fixent de nouveau la ligne qui sépare l’humain du non-humain, confirment la « présence » qui avait vacillé, et rétablissent la pleine validité des significations définies. Il est intéressant de constater à quel point les rites sont truffés de logique et la logique truffée d’éléments rituels.
Je dois dire toutefois que dans ce livre j’ai traité de la question du rite et de la recherche d’un fondement d’une manière quelque peu oblique et instrumentale : ce sont deux exemples, parmi tant d’autres possibles, des procédures par lesquelles nous parvenons à maîtriser la régression à l’infini, le « et ainsi de suite » sans conclusion dans lequel s’abîment quelquefois notre pensée et nos passions. Il suffit de penser à l’enfant qui demande la raison de tel ou tel événement, et puis la raison de cette raison, et puis encore la raison de cette seconde raison plus fondamentale encore, etc. donnant lieu ainsi à une vertigineuse hiérarchie ascendante de « pourquoi? ». L’identification d’une premier principe ou la célébration du nouvel an qui réévoque périodiquement le début de l’expérience proprement humaine, sont des manières par lesquelles nous interrompons cette marche à rebours.

M. F. – Mais pourquoi as-tu accordé une telle importance à la régression à l’infini ?

P. V. – Parce que c’est un de ces phénomènes que ma grand-mère appelait « du persil à toutes les sauces »: elle apparaît partout, dans la logique mais aussi dans la relation complexe entre biologie et culture, dans les recoins de la vie émotive comme dans le fonctionnement des institutions politiques. Il me semble que la régression à l’infini est un universel anthropologique, comme les structures de la parenté dont a parlé Lévi-Strauss, ou la pratique du don, analysée par Marcel Mauss. C’est un mécanisme à la fois très raréfié et très envahissant. Bien sûr, nous avons toujours à faire à l’illimité et l’informe, mais dans le cas du ‘et ainsi de suite’ il s’agit d’un illimité et d’un informe qui s’enracinent dans ce qui nous est le plus intime: le langage verbal, la pensée organisée par les mots. Seul un philosophe auto-satisfait peut soutenir que le logos sert à apaiser l’incertitude et à favoriser notre adaptation au milieu. Il suffit d’examiner la régression à l’infini pour se rendre compte que souvent le langage désoriente, paralyse, ruine l’adaptation.
Nous nous heurtons à un interminable ‘et ainsi de suite’ quand la solution d’un problème ne fait que reproposer le même problème, fût-ce à un niveau plus abstrait ; quand le dépassement d’une limite a pour issue inévitable la reconfirmation de cette même limite. J’ai honte de m’être comporté comme un imbécile, mais ensuite j’ai honte d’éprouver de la honte, et, pourquoi pas, il m’arrive même d’avoir honte de la honte d’avoir honte, et ainsi de suite. Ou par exemple un cas sur lequel la philosophie moderne s’est cassée la tête : j’essaie de décrire mon Moi ; pour le faire, je dois pourtant décrire aussi le Moi qui se livre à cette tentative de description d’un Moi ; je développerai une deuxième description qui comprenne aussi le Moi qui tente de décrire, mais cela ne suffit pas, parce qu’il y a toujours un Moi qui tente de décrire un Moi qui tente de décrire, etc. etc. Ces spirales régressives sont une sorte de « ritournelle », à la fois familière et inquiétante, qui accompagne et, dans une certaine mesure, conditionne toute expérience. À leur base il y a ce qui est, pour Chomsky, le trait distinctif du langage humain : ce qu’il appelle la « récursivité », c’est-à-dire la capacité d’appliquer une procédure aux résultats obtenus par sa précédente application.  

M. F. - “ Ici gisent mes chiens / mes inutiles chiens / stupides et impudiques, / nouveaux toujours et anciens / fidèles et infidèles / à la Paresse leur maître / et non pas à moi, homme de rien. / Ils grignotent sous-terre / dans l’ombre sans fin / rongent les os leurs os /, ne cessent de ronger leurs os / vidés de leur moelle /et je pourrais en faire / le flûteau de Pan / comme de sept roseaux / je pourrais sans cire et sans lin / en faire la flute de Pan /si Pan est le tout et/ si la mort est le tout. / Chaque homme dans le berceau / suçote et mouille son doigt / chaque homme enseveli / est le chien de son néant. » En lisant ton livre, où abondent les renvois à la pulsion de mort je me remémorais ces vers que D’Annunzio a écrit avant de mourir. Il me semble qu’il y a un grand nombre de thèmes essentiels dans ton travail : la vie et la pensée humaines sont faites de répétitions, notre véritable grande muse est l’imitation, et la répétition continue jusqu’à l’infini, ou au moins jusqu’à l’indéfini, comme le suggère Derrida avec la notion de ‘différance’, au sens du ‘différé’, du ‘renvoi’. Ce que naïvement nous considérons comme originalité, créativité, sens et authenticité n’est qu’une variation, un pli de la répétition. Cette description à grands traits de ton travail te paraît-elle fondée?

P. V. – Oui. En utilisant des concepts de Benjamin, on pourrait dire que la seule unicité digne d’intérêt est celle qui a pour fonds la reproductibilité technique.  Le vrai conflit n’est pas entre répétition et originalité, mais entre différentes formes de répétition. Prenons, par exemple, la compulsion à la répétition dont parle Freud. Chaque reproduction du même geste par le névrosé obsessionnel est identique à toutes les autres ; la centième fois que je me lave les mains n’est pas différente de la première. Dans cet ‘encore une fois’ il n’y  a pas d’ordre hiérarchique, ni de stratification architecturale ; on a affaire à des épisodes équivalents et interchangeables. D’après Freud, la nature véritable de nos pulsions émerge avec la compulsion à la répétition: rejeter la variation qui est sollicitée par les stimuli de l’environnement ; revenir au point de départ où il n’y avait pas encore l’inquiétude et le désordre de la vie. La répétition propre à la régression à l’infini est totalement différente. Dans ce cas chaque étape successive (le nouveau ‘pourquoi’ de l’enfant, la honte d’éprouver de la honte, etc.) se place à un niveau logique plus élevé que l’étape précédente : comme dans le cas d’une spirale aux volutes toujours plus larges. Dans la régression cohabitent, imbriqués l’un dans l’autre, l’identique et l’inédit. Le même problème ou la même limite sont reproposés, mais à un niveau plus élevé et englobant. La régression à l’infini est un ‘document’ anthropologique d’une extraordinaire importance du simple fait qu’il nous informe sur l’entrelacs, typique de notre espèce, entre le caractère irréversible des processus de développement et l’éternel retour du même, entre l’innovation et l’‘encore une fois’. L’animal linguistique est défini par la coexistence, et même par l’implication réciproque, de ces deux possibilités. La régression indique comment l’une déborde dans l’autre : c’est précisément cette irréversibilité qui permet le retour du même, c’est précisément le retour du même qui dévoile à nouveau la voie à l’irréversibilité.

M. F. L’aspect sentimental de cette régression ou progression à l’infini (tu rappelles dans le livre que les deux sens sont interchangeables), c’est l’ennui, « ce monstre délicat » disant Baudelaire, ou selon ton expression « la fébrile indifférence », qui est précisément la conscience du mécanisme, la prise de conscience du caractère infiniment répétitif de toute chose. Je trouve que cette phénoménologie de l’ennui est très juste et très utile pour expliquer le malaise de la civilisation, surtout contemporaine, même si nous n’avons pas idée à quel point nos ancêtres pouvaient s’ennuyer. Je me demande si la présence si forte, aujourd’hui, de la dépression (et des moyens pharmaceutiques, plus ou moins classiques, pour la combattre) ne dépend pas du fait que c’est comme si venait au premier plan, probablement du fait du déploiement large de la technique, une certaine interactivité de la vie, comme si l’automate (qui est en nous) était finalement révélé.

P. V. – Dépasser une limite et puis se retrouver à nouveau face à elle, la dépasser encore pour la retrouver encore : telle est la régression à l’infini, mais c’est aussi l’ennui. La hiérarchie ascendante des niveaux logiques qui repropose à chaque fois de nouveau, que ce soit sous une forme simple ou sophistiquée, le même problème initial est source d’ennui. L’ennui n’est pas produit par une simple répétition, mais par une répétition qui montre une physionomie innovante et par une innovation qui aussitôt se renverse en répétition du déjà connu. Celui qui s’ennuie considère comme monotone précisément cet « usage infini des moyens finis » dont dépend pourtant, à en croire Chomsky, la créativité du langage verbal. Ce n’est pas quand la pratique et le discours ont perdu toute créativité que l’ennui a le dessus, mais quand il nous arrive de saisir l’aspect stéréotypé qu’assume quelquefois le plein déploiement de la créativité.
À propos de l’ennui, j’ai toujours été frappé par cette observation de Leopardi qui, sur la question, en connaissait un bout. Dans le Zibaldone, il écrit que « l’ennui est le désir du bonheur, laissé, pour ainsi dire, à l’état pur » : ni empêché, ni satisfait, privé même d’un objet sur lequel se concentrer. Et un désir de bonheur, je veux dire de satisfaction irrévocable, se retrouve peut-être aussi dans la régression à l’infini, qui est la structure logique de l’ennui.

M. F. – Dans ton livre tu définis l’habitude comme structure portante de la pratique humaine. Bergson disait qu’aucune habitude n’est inévitable, hormis l’habitude de prendre des habitudes. Je suis parfaitement d’accord avec toi, d’autant plus que cette lecture qui va contre la tendance générale d’une explication très à la mode aujourd’hui qui, dans la lignée de Searle, voit la réalité sociale comme le fruit d’une mystérieuse ‘intentionnalité collective’, une sorte de brume légère qui tomberait du ciel, comme une pentecôte sui generis. Alors qu’il est clair que si nous nous comportons comme nous nous comportons (et si nous trouvons du sens dans ce en quoi nous trouvons du sens) c’est précisément sur la base d’une série de comportement mimétiques et répétitifs qui se sédimentent dans notre mémoire, dans notre corps, dans nos gestes. C’est pourquoi l’esprit est le résultat de la lettre, l’intention celui de l’imitation, l’originalité celui de la répétition. Es-tu d’accord avec cette description ? Que penses-tu de l’hypothèse de l’intentionnalité collective ?

P. V. – L’intentionnalité collective (mais, dans une certaine mesure aussi, celle individuelle) me semble être une superstition. Ou, comme tu le dis toi-même, un succédané grossier de la pentecôte chrétienne. Les habitudes ont le grand avantage de mettre hors jeu la distinction entre intérieur et public, et donc, entre psychologie et sociologie : en elles vient à la lumière plutôt l’intériorité du public et la publicité de l’intérieur. Précisément comme les phénomènes transitionnels dont parle Winicott, elles échappent à l’alternative dedans/dehors, déterminant cet espace intermédiaire dans lequel se déroule une grande partie de notre vie. Il me semble que les habitudes, comme par ailleurs les idées, sont le résultat de l’interruption de la régression à l’infini. On peut les comparer aux traces laissées sur l’asphalte par les roues d’une automobile à la suite d’un coup de frein brusque. Je dirais que le ‘ça suffit comme ça’ par lequel nous brisons un ‘et ainsi de suite’ illimité détermine une cristallisation de la pensée et de la pratique. Les cristaux de la pensée sont les idées, les cristaux de la pratique sont les habitudes. Contrairement à ce que nous sommes portés à croire, idées et habitudes ne proviennent pas d’un mouvement, mais de son interruption. Même l’habitude est une forme de répétition. Mais elle se distingue nettement autant de la compulsion à la répétition étudiée par Freud que de la régression à l’infini. Prenons, par exemple, l’habitude d’être bons. Deux gestes bons, à la différence de deux lavages compulsifs des mains, ne sont pas identiques et interchangeables, mais varient en fonction des circonstances et des occasions : une coutume éthique n’est pas une compulsion à la répétition. Par ailleurs, les actions habituelles d’un homme bon se placent toutes au même niveau logique. Entre elles n’est pas en vigueur un ordre hiérarchique, contrairement à ce qui se passe pour l’‘et ainsi de suite’ : une coutume éthique exclue la régression à l’infini. L’habitude ressemble à une fonction mathématique, quelque chose comme f(x): il y a une composante fixe, mais incomplète, par exemple la disposition à séduire, et un argument variable, qui sera précisé au cas par cas, l’avènement concret, un dîner par exemple, dans lequel cette disposition se réalise de manière variable.

M. F. – J’ai vu plusieurs analogies entre …La régression à l’infini, et Différence et répétition de Deleuze, mais il y a une dissemblance essentielle. Pour toi, bien plus que pour Deleuze, « le phénomène originaire n’est pas la régression à l’infini, mais son interruption », le moment où la répétition et le « ainsi de suite » rencontrent une césure. C’est la thèse que tu défends dans le chapitre crucial du livre « théorie et techniques de l’interruption », qui pourrait faire croire à un lecteur naïf qu’il s’agit d’un traité d’art de la guerre appliqué aux talk-shows. C’est le point central. Nous vivons dans un flux constant, une répétition incessante, et à un certain point quelqu’un dit : ‘ça suffit’, ‘je ne joue plus’ et s’interrompt. Voilà l’origine de la culture, qui est donc en même temps provenance de la nature et discontinuité par rapport à elle. Est-ce ainsi ?

P. V. – Nous ne pourrions pas vivre une journée entière si nous restions soumis à la régression. Si nous parlons et si nous agissons de manière appropriée, c’est parce que le « et ainsi de suite » est interrompu. Il va de soi que l’interruption de la régression est quelque chose de très différent de la pure et simple absence de ce dernier. L’être vivant capable d’interrompre une hiérarchie inexorable de niveaux logiques n’est pas comparable à un être vivant exonéré d’emblée d’une telle hiérarchie. L’acte de la rupture se conforme, fût-ce négativement, au processus qui rompt, il a une étroite parenté avec lui, témoigne en toutes lettres de sa tâche constante. Dans un certain sens, ce n’est qu’à partir de l’interruption qu’il nous arrive de concevoir le mouvement correspondant, c’est-à-dire la régression proprement dite. Dans un récit, Wells parle d’un homme invisible dont la présence passerait totalement inaperçue, s’il n’était pas contraint de porter des habits. De manière analogue, de la régression à l’infini nous n’aurions pas d’expérience, ni aucune représentation, si nous ne pouvions pas faire référence à ces ‘habits’, qui sont eux perceptibles, et qui sont son interruption.
Dans ce livre j’ai tenté de décrire les différents procédés par lesquels nous brisons l’ainsi de suite qui surgit dans notre faculté de langage. Nous en avons évoqués certains dans cette entretien : le rite, l’identification d’un fondement. Mais la liste serait longue : l’histoire de la philosophie est un immense répertoire de « ça suffit comme ça » possibles. Je m’en tiens à une considération générale. L’interruption de la régression est le modèle de ce que nous appelons la ‘décision’. Décider veut dire simplement briser, rompre, couper court. Ni bras armé d’une volonté aristocratique, ni notaire du libre-arbitre, la décision est plutôt un humble mouvement d’adaptation, sans lequel nous ne parviendrions pas à avancer. Que faut-il décider, et donc interrompre? Une incertitude exorbitante, fomentée par tout ce qui est illimité, indistinct, impertinent. Exemple classique : dans les Euménides d’Eschyle, une chaîne de vengeance à première vue inexorable est brisée par la décision d’instituer à Athènes un tribunal qui jugera le matricide Oreste. Au même titre on peut considérer comme de véritables décisions les manières dont on rompt cette forme d’illimité, qui est l’interminable augmentation d’une hiérarchies de niveaux logiques. De plus : l’interruption de la régression à l’infini est la décision préliminaire, antefact et matrice de toutes les autres. Si nous ne parvenions pas à interrompre l’illimité que notre propre pensée engendre, nous ne pourrions rien faire pour endiguer ce qui provient de circonstances extérieures. J’ai l’impression que la décision pure dont parle Heidegger dans Être et temps, et que Carl Schmitt met au centre de ses réflexions sur la souveraineté d’État a beaucoup de choses à voir avec les opération que nous accomplissons pour apaiser la hantise de l’ainsi de suite, à l’infini. Je dis ceci pour valoriser nos opérations, et non pas l’interprétation particulière qu’en donne ces deux auteurs.

 

 

Paolo Virno