éditions de l'éclat, philosophie

IBN ARABÎ
LE DÉVOILEMENT DES EFFETS DU VOYAGE


 

 

§ 61

le voyage du dévouement pour les siens.

Par un beau dévouement pour ma famille, j'ai trouvé
      mon Seigneur. Dans mon occupation,
                  [Il m'a dévoilé Sa sollicitude.
N'étaient les miens, je n'aurais pas été un serviteur rapproché,
       ni un de ceux qui ont reçu maîtrise et mérite.
Mon âme n'aurait pas suivi, si je lui avais interdit
      de s'occuper des créatures, la plus droite des voies.
Je me suis trouvé aux côtés du Choisi, à l'ombre de Son Trône,
      quand les Ansar venaient avec les envoyés.

Dieu – exalté soit-Il – dit (par la voix de Moïse): «J'ai aperçu un feu; peut-être vous en apporterai-je un tison ou trouverai-je par ce feu une guidance» (20: 10). Vois donc la force de la prophétie: Moïse trouva de fait la guidance. Cette parole montre que Moïse n'avait pas affirmé que ce qu'il avait vu était nécessairement un feu. Tout feu est lumière lorsqu'il brûle et les lumières sans aucun doute consument les corps combustibles et inflammables, ainsi que le rapporte la tradition authentique: «... Les fulgurations de Sa Face brûleraient les créatures qu'atteindrait Son regard»131. Les fulgurations sont des lumières et cette tradition nous apprend que les rayons de ces fulgurations exercent un effet comparable à la perception de l'œil.

131. Cf. Ibn Mâja, Sunan, muqaddima 13, hadîth n° 196.

§ 62
Sache qu'une même chose peut comporter des aspects différents. En tant qu'elle est comme ceci, elle se présente comme ceci; en tant qu'elle est comme cela, son statut diffère. La chose vue n'est pas identique à la chose sue et la chose sue n'est pas identique à la chose entendue, même si le moyen de la perception est une réalité unique en soi et distincte dans ses relations. Du point de vue de cette réalité unique, on peut dire qu'on entend, qu'on voit, qu'on parle, etc. par cette même réalité. Un certain spéculatif attribue à chaque mode une perception particulière différente de l'autre et considère donc la perception comme multiple. Nous ne sommes pas de cet avis et nous ne l'approuvons pas, nous ne le citons que pour que le lecteur sache que quelqu'un l'a professé. La différence des relations vient de ce à quoi elles se rapportent, non de ce qui s'y rapporte.

L'entité est unique et le statut divers.
      Le professent des hommes de spéculation.
Dieu est trop grand pour que l'on connaisse Ses desseins
      envers Ses créatures, mais Il propose signes et enseignements.
La divinité est trop majesteuse pour que l'intellect la conçoive,
      Sa mesure insurpassable n'est pas à la portée de l'être humain.
Elle a pourtant en nous, comme l'affirme la Parole divine
      des formes reconnues contenant d'autres formes132
      Qui s'inclinent133 devant la forme de Celui à qui l'on attribue des formes.
      Comme tu vois, à toute forme correspond une sourate.134

 

132. Sur le passage d'une forme divine à une autre, cf. Coran 25 : 60 : «Et lorsqu'il leur est dit : prosternez vous devant le Tout-Miséricordieux, ils répondent : et qu'est le Tout-Miséricordieux ?...».

133. Cf. Coran 20 : 111 : « Et les visages s'inclinent (s'humilient) devant le Vivant, le Subsistant...»

134. Ibn 'Arabî joue sur l'assonance entre sûra, la forme (avec un sâd, s emphatique) et sûra, sourate (avec un sîn, s non-emphatique) pour suggérer que la sourate manifeste une forme divine.

§ 63

Sache que tout le bien réside dans le dévouement pour autrui, dont fait partie le dévouement pour la famille. La noblesse d'une famille dépend de celui auquel elle se rattache. Ainsi la tradition rapporte que «les gens135 du Coran sont les gens de Dieu et Son élite»136. L'immense récompense de celui qui se dévoue pour Dieu n'a d'autre raison que son appartenance à Ses gens. Comprends donc ! Si la sollicitude divine pour les gens de la Maison prophétique muhammadienne est telle que Dieu nous l'a dit dans ce verset: «Dieu veut écarter de vous l'infamie (rijs), ô Gens de la Famille et vous purifier totalement.» (33: 33) ­ Al-Farrâ'137, interrogé sur ce qu'était le rijs, répondit: la souillure (qadhar) ­; si Dieu donc veut pour les gens de la Maison prophétique écarter l'infamie et les purifier, que penser des Gens du Coran qui sont Ses Gens et Son élite? Louange à Dieu qui m'a fait des leurs. Le moindre des degrés pour appartenir à Sa famille est de porter les lettres du Coran conservées dans la poitrine. Si, en plus, ce que l'homme porte ainsi devient son caractère, le réalise véritablement au point d'en être une de ses modalités138, alors vivat et encore vivat !

On m'a rapporté sur Abû l-'Abbâs al-Khashshâb139, compagnon d'Abû Madyan140 – Dieu l'agrée – à Fès, l'anecdote suivante. Un homme vint le trouver tenant dans sa main un livre sur la Voie. Il lui en lut une bonne partie, mais Abû l-'Abbâs restait silencieux. L'homme finit par lui dire:
– Maître, pourquoi ne me parles-tu pas à ce sujet ?
– C'est moi que tu dois lire, lui rétorqua Abû l-'Abbâs.
L'homme trouva la réponse un peu forte. Il se rendit auprès de notre maître Abu Madyan et lui dit:
– Ô notre maître, j'étais chez Abû l-'Abbâs al-Khashshâb et lui lisais un livre d'enseignement spirituel pour qu'il me le commente et il s'est contenté de me répondre: «C'est moi que tu dois lire!».
– Abû l-'Abbâs a dit vrai, répartit le Shaykh. De quoi traitait ce livre ?
– Du renoncement, du scrupule, de la confiance et de l'abandon en Dieu et de tout ce qu'exige la voie vers Dieu.
– Était-il question d'un état spirituel qui n'était pas celui d'Abû l-'Abbâs, demanda le Shaykh?
– Non, répondit l'homme.
– Si les états spirituels d'al-Khashshâb équivalent à tout ce que contient ce livre et que tu n'as pas trouvé dans ses états matière à exhortation ni acquis ses vertus, en quoi peut te profiter le fait de lire ce livre devant lui et de lui demander de te le commenter? Il t'a exhorté par son état spirituel et avec quelle éloquence!
L'homme s'en fut alors, tout honteux. Cette histoire m'a été rapportée par le hâjj 'Abdallâh al-Mawrûrî141, à Séville, dans une assemblée. Vois donc, mon ami, combien est excellente et admirable leur façon de suivre et d'enseigner la Voie. Que Dieu nous compte parmi eux et nous accorde de les rejoindre. C'est Lui qui s'en charge et en a le pouvoir.

 

135. Ahl désigne aussi bien la femme, la famille au sens restreint ou étendu, que ceux qui se rattachent à un lieu, une pratique, une conviction : les gens de ... Le terme traduit par «les siens» dans le titre du chapitre est 'â'ila : la famille dont on a la charge.

136. Cf. Ibn Mâja, Sunan, muqaddima 16 n° 215 ; Ibn Hanbal, Musnad III 127-8, 242.

137. Farra' : savant du deuxième siècle de l'Hégire (m. 207 H.), commentateur du Coran, spécialiste des lectures coraniques et philologue. Cette interprétation ne se trouve pas dans ses Ma'ânî l-qur'ân.

138. Trois degrés successifs d'identification au Coran sont ici définis : l'acquisition des vertus divines, correspondant aux Noms et aux Attributs (takhalluq), l'identification à sa réalité essentielle (tahaqquq), jusqu'au moment où le Coran devient l'un de ses attributs, expression possible de l'«Identité suprême» ; ceci si l'on considère que le sujet de wa kâna min sifâtihi est le Coran et non l'homme, contrairement à la traduction minimale proposée ci-dessus.

139. Ibn 'Arabî le cite dans la catégorie spirituelle des muhaddathûn, «ceux à qui Dieu parle», ce qui va dans le sens de cette anecdote. Cf. Futûhât II 21 chap. 73.

140. Un des grands maîtres du VI/XIIe siècle, né près de Séville vers 520/1126 et mort en 594/1197 à Tlemcen, dont il est devenu le saint patron (Sîdî Boumedien). Il opéra la synthèse de la spiritualité andalouse et maghrébine et forma un grand nombre de disciples dont certains partirent en Orient et diffusèrent sa voie spirituelle. Bien qu'il ne l'ait jamais rencontré physiquement, Ibn 'Arabî le considère comme l'un de ses maîtres. Sur ces relations avec lui, voir Claude Addas, Ibn 'Arabî, op. cit., index et «Abû Madyan and Ibn 'Arabi», in M. Ibn 'Arabi, a Commemorative Volume, op. cit., pp. 163-80.

141. Un autre disciple d'Abû Madyan. Ibn 'Arabî lui consacre une notice dans le Rûh al-quds, éd. Mahmûd M. Ghurâb, Damas 1986 p. 97-102 ; Les Soufis d'Andalousie, Paris, 1971 p. 91-101. Il le considère comme « le pôle de ceux qui se confient à Dieu » (qutb al-mutawakkilîn) ; cf. Futûhât IV 76 chap. 462.

§ 64
le voyage de la peur

J'ai fui de moi vers Lui,
      J'avais peur de Lui pour Lui.
Car mon âme ignore
      quel sera son ultime retour.

Dieu – exalté soit-Il – dit [par la voix de Moïse]: «Je vous ai fui lorsque j'ai eu peur de vous, puis mon Seigneur m'a conféré une autorité et m'a établi parmi les envoyés» (26: 21). Il dit aussi: «Il en sorti apeuré, aux aguets» (28: 21). 

Il n'est de jour écoulé, décrétant notre ultime retour
      sur lequel je n'ai pleuré.
J'ai vu bien des choses, toutes entre Ses mains,
      suivre la loi de mon instant, mais auprès de Lui,
                  [c'est Sa Loi qui s'exerce sur moi.

La peur fait partie de la station de la foi, ainsi que Dieu – exalté soit-Il – le dit: «N'ayez pas peur d'eux, mais ayez peur de Moi, si vous êtes croyants» (3: 175). Il est dit des anges: «Ils ont peur de leur Seigneur au-dessus d'eux et font ce qui leur est ordonné» (16: 50). À d'autres, Il adressa cet éloge: «Ils ont peur d'un jour où les cœurs et les regards seront renversés» (24: 37). À chaque plan d'existence correspond une peur spécifique, si tu réalises bien cela. Toute peur ne s'attache qu'à ce qui vient de Dieu et relève de l'existence contingente. On n'a peur que des êtres contingents existenciés par Dieu et c'est donc à l'Existenciateur que notre peur s'attache, selon Sa parole: «Mais ayez peur de Moi, si vous êtes croyants». Dieu a donc fait de la peur le résultat de la foi, qui doit s'en tenir à ce que Dieu a enseigné et à ce qu'a transmis le Véridique. En effet, la science sans la foi ne provoque pas la peur. De plus, comme il est prouvé que le monde est l'œuvre de Dieu – exalté soit-Il – et qu'Il est très-Savant et très-Sage, celui-ci est donc la plus belle des œuvres qu'ait produite un savant et rien n'indique sa corruption. Toutefois il passe d'un état et d'une demeure à l'autre et ceci n'a rien d'impossible. C'est ce passage qui provoque chez les initiés la peur de Dieu, car ils ne savent pas ce que Dieu veut d'eux ni où Il les transportera ni dans quelle qualité et degré Il les distinguera. Laissés dans l'incertitude, grande est leur peur de Dieu.

86. Le gardien du Paradis.

87. Wakîl : l'ange chargé de ce ciel.

88. Cf. Futûhât I 324 chap. 66 : sur ce verset, à propos d'Idrîs.

§ 65
Quant aux anges, leur peur est de descendre d'un rang vers un rang inférieur. Ne dit-on pas qu'Iblîs comptait parmi les adorateurs de Dieu les plus fervents ? Il n'obtint que bannissement et éloignement de la félicité qu'il espérait en échange de son adoration. Lorsque pour lui la parole du châtiment s'accomplit, il retourna vers le feu, son élément originel, et c'est par ce feu seul qu'il fut châtié. Gloire donc à Dieu, le Juge équitable. Les hommes de Dieu ont peur du remplacement de leur état par un autre. C'est ce qui les incite à surveiller à chaque souffle leurs états avec Dieu – Il est puissant et majestueux –, d'autant que Dieu dit: «Et si vous vous détournez, il vous remplacera par un peuple autre que vous qui ne sera pas semblable à vous» (47: 38), c'est-à-dire: dans l'opposition à l'ordre de Dieu que vous avez montré, il posera au contraire le pied le plus parfait et le plus ferme dans l'obéissance à Dieu.

N'était Dieu, la station n'aurait pas été connue,
      ni derrière ni devant n'aurait existé.

 

§ 66
Par Dieu nous sommes venus à l'existence, vers Lui nous avons été appelés et renvoyés: «N'est-ce vers Dieu que va le devenir des choses?» (42: 53). Quand Dieu m'établit dans la station de la peur, j'avais peur de regarder mon ombre, de crainte qu'elle ne soit un voile entre moi et Dieu. Dans ces conditions, ce monde ne saurait être une demeure sûre, même si l'homme y reçoit l'annonce de son bonheur futur, car ce monde est un lieu où la part de chacun peut diminuer. La raison en est l'imposition de la Loi. Dès que cesse cette imposition, discours du Législateur sous forme d'ordre et d'interdiction, la peur adventice quitte le serviteur. Seule reste la crainte révérencielle. Sa peur n'est plus que crainte révérencielle dans la contemplation divine. Le poète a décrit ainsi le sentiment de majesté que l'on éprouve en présence de certaines personnes:

Immobiles, comme si des oiseaux se tenaient sur leurs tête
      non par peur d'injustice, mais par peur majestueuse. 

Que Dieu nous compte parmi les gens de la crainte révérencielle, ceux qui Le magnifient. Il en est ainsi lorsque le pouvoir de la grandeur divine s'empare du cœur du serviteur que la Sollicitude porte vers les lieux de contemplation sacro-saints et divins.

89. Sur les mouvements lents et rapides des sphères, voir également Futûhât III 417 chap. 371.

§ 67

Sache que khafâ' 142 en arabe peut exprimer la manifestation, comme dans le vers d'Imru l-Qays143:

  ... Il les fit se montrer et sortir (khaffâ-hunna) de leurs trous.

Il fit se montrer, car les gerboises aménagent dans leur trou deux portes. Quand un chasseur se présente à l'une, elles sortent par l'autre. Ce trou s'appelle nâfiqâ' et pour cette raison l'hypocrite (munâfiq) se nomme ainsi. Celui-ci à deux visages, l'un avec lequel il fait face aux croyants et montre qu'il est avec eux et l'autre qu'il tourne vers les incroyants en leur montrant qu'il est avec eux. Dieu dit aussi de celui qui voudrait «un trou sous la terre» (6: 35): si les ennemis te poursuivent d'un côté, tu pourrais sortir de l'autre pour chercher le salut et leur échapper «et si Dieu l'avait voulu, Il les aurait réunis dans la guidance» (ibid.); vous seriez alors gens d'une seule porte. Les Hypocrites, au temps de l'Envoyé de Dieu – que Dieu répande sur lui la grâce et la paix – venaient trouver les croyants avec un visage leur montrant qu'ils étaient avec eux, tout en disant aux autres: «Nous ne faisons que nous moquer». Dieu annonce que Lui aussi «se moque d'eux» (2: 14 et 15) parce qu'ils n'ont pas conscience de ce qu'ils font envers les croyants. Ceci est un effet de la ruse divine, comme il est dit: «Ils ont ourdi une ruse et Nous en avons ourdi une autre, sans qu'ils en aient conscience» (27: 50). Car si l'on en a conscience, ce n'est plus une ruse.

 

142. Ce terme signifie le plus couramment « occultation ». Le rapport entre ce passage et ce qui précède et ce qui suit n'est pas explicite, si ce n'est que la ruse divine qui guette toujours le serviteur ne peut que l'inciter à un surcroît de peur et de méfiance.

143. Le plus célèbre poète de l'Arabie antéislamique. Le vers est cité intégralement par Ibn Manzûr, Lisân al-'Arab, XVIII 256.

§ 68
le voyage de la méfiance

Il m'a été révélé d'emmener de nuit
      mon âme et les miens dans le monde
                  [de la création et de l'ordre.
Car le Dieu, le Vrai, mon Seigneur a décrété
      la mort de l'ennemi de la religion
                  [dans le tourment de la mer.

Dieu – exalté soit-Il – dit, rapportant les paroles d'une certaine personne144: «Et tous, nous sommes méfiants» (26: 56). Or la méfiance est le résultat d'une peur. Dieu dit: «Montrez votre méfiance !» (4: 71), car celui qui montre de la méfiance envers une chose n'est pas surpris par elle. On est surpris le plus souvent du côté où l'on croyait être à l'abri. L'homme intelligent ne doit se sentir en sécurité que du côté assuré par Dieu, car Sa parole est vérité: «Le faux ne l'atteint ni par devant ni par derrière» (41: 42) et Il est le Véridique – gloire à Lui –. Cette méfiance est profitable, si la prédestination lui vient en aide. Comme il est dit: «méfiance ne sauve pas du destin»145, à moins que cette méfiance ne fasse elle-même partie de la prédestination; elle sera alors la cause du salut. Nous l'avons exprimé de façon extrême dans ce vers:

O méfiance de ma méfiance !
      Si seulement me servait ma méfiance.

 

144. Pharaon auquel fait allusion le vers précédent.

145. Variante du hadîth : « Méfiance ne saurait être utile contre le destin, mais l'invocation est utile pour ce qui est advenu et ce qui ne l'est pas. Pratiquez l'invocation, serviteurs de Dieu ! » (Ibn Hanbal, Musnad V 234).

§ 69

La méfiance la plus extrême est donc de se méfier de prendre la méfiance comme appui. Par miséricorde envers nous, Dieu – exalté soit-Il – nous a engagés à nous méfier de Lui, ce qui est le plus haut degré de la méfiance, en disant: «Et Dieu vous engage à vous méfier de Lui et Dieu est compatissant pour les serviteurs» (3: 30). Par compassion, Il nous a mis en garde contre Lui, car «il n'est rien qui Lui soit semblable» (42: 11); Il n'est jamais connu que par l'impuissance à Le connaître. Ceci revient à dire: il n'est pas tel et tel, tout en affirmant ce qu'Il a affirmé de Lui-même, ce que nous faisons par foi, non par notre intelligence ni notre spéculation. Nos intelligences ne peuvent qu'admettre de Sa part ce qui Lui revient. Il est le Vivant, «il n'est pas d'autre dieu que Lui, le Roi, le Très-Saint, la Paix, Celui qui accorde la sauvegarde, le Protecteur, le Tout-Puissant, le Réducteur, Celui qui proclame Sa grandeur», «Celui qui sait ce qui est caché et ce qui est visible, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux», «le Créateur, le Producteur des êtres, le Donateur des formes» (cf. 59: 22-24), le Très-Sage et autre qualités semblables. Nous croyons en tout ce qu'Il nous a enseigné à Son sujet, non d'après notre interprétation, mais selon la science qu'il en a: «Il n'est rien qui ne Lui soit semblable et Il est Celui qui entend, Celui qui voit» (42: 11). Il ne se laisse appréhender ni par l'intellect ni par la spéculation. Nous n'avons de science à Son sujet par voie affirmative que ce qu'Il nous a fait parvenir dans Ses livres ou par la voix des envoyés, Ses interprètes, rien de plus. Le mode de relation de Ses noms à Lui-même ne nous est pas connu, car la connaissance de la relation à une certaine chose dépend de la science qu'on a de cette chose, ce qui n'est pas ici le cas, car nous n'avons pas la science de cette relation spécifique. La pensée, la réflexion et celui qui réfléchit battent le fer à froid. Que Dieu nous compte, vous et nous, parmi ceux qui ont fait preuve d'intelligence et se sont tenus à ce qui leur est parvenu de Sa part ­ gloire à Lui ­ et à ce qui a été transmis à Son sujet.

 

§ 70
Sache que le voyage de la méfiance conduit du sensible vers l'intelligible, des délices vers le supplice, du voile protecteur vers la théophanie et de la mort vers la vie attachée aux êtres produits par notre connaissance du monde. Ce voyage mène à la science de la constitution humaine et de son origine du point de vue de sa corporéité, à la science du mouvement vertical, mais non du mouvement courbe et horizontal, même si ces derniers sont connus par voie de conséquence, à la science de toute station qui lui apporte un surcroît de grâce, à la vision en transparence au-delà de cette station et au rejaillissement sur soi-même de la lumière de tout ce qu'on voit et qui se présente à soi, en y trouvant plaisir et délice. Dans cette station et cette qualité, on prend connaissance de la science de la transmission par héritage; dans quelles conditions, de quoi et de qui hérite-t-on et qui est l'héritier? C'est à partir de ce voyage que l'on connaît les orients des lumières et les levers des croissants des secrets. Ceux qui l'accomplissent se méfient de la perception des Attributs qui provoquent l'extinction de leur essence et de la jouissance qu'ils en tirent. Cependant ils finiront par traverser sains et saufs ce dont ils se méfiaient. Quelle que soit la force de leur ennemi, ils seront les vainqueurs grâce au secours de Dieu, car Sa puissance est irrésistible et invincible, Lui le Tout-Puissant, le Très-Miséricordieux. Si le serviteur réalise la qualité attachée à cette station, Dieu le prendra par la main en toute chose et le guidera vers son salut. Il reçoit le don miraculeux de marcher sur les eaux, d'échapper aux ennemis, qu'ils soient hommes ou esprits, et de voir leur anéantissement. Ce voyage produit comme effet la proximité divine doublée de la félicité éternelle. Dans cette station, celui qui accomplit ce voyage est à l'abri de tout ce dont il se méfie et qui risque de le couper de cette félicité. Quand bien même l'attaqueraient tous les habitants de la terre, il les vaincrait et l'emporterait sur eux. Le dévoilement dont il est gratifié lui donne accès aux plus mystérieux des secrets, car sa lumière dissipe tout doute et ignorance, abolit toute illusion et mensonge et donne à l'âme courage, intrépidité et force. L'homme y accomplit par son énergie spirituelle ce qu'il ne pourrait accomplir autrement en dimension et en nombre. Toutefois celui qui entreprend ce voyage est pris dès l'abord d'inquiétude naturelle, de «resserrement de poitrine» et de peur parce qu'il constate au début de sa route sa propre faiblesse et la force de cette station. La faiblesse et l'abaissement qui lui sont inhérents lui procurent dignité et force. La science de l'extérieur et de l'intérieur lui est dévoilée et plus rien ne lui reste caché. Dieu le prend en charge et l'assiste quand il sort de cette station pour guider et diriger les hommes. Il lui annonce son bonheur futur pour le rassurer et l'inciter davantage à transmettre le message, car la peur l'en empêche et le manque de courage l'en détourne. Mais Dieu assiste ce voyageur qui en ressent réconfort et appui. Enfin, il reçoit l'argument décisif, la force et le triomphe sur ses adversaires. «Et Dieu dit la vérité et Il guide sur la voie.»

 

 

 

§1 - 30       §31 - 60       §61 - 70

 

SOMMAIRE