Le Livre du Gentil
et des trois Sages
,
parmi les autres œuvres
de Ramon Lull

 

    Le Livre du Gentil et des Trois Sages est la première œuvre de Raymond Lulle. Dans le prologue et l'explicit de la rédaction catalane que nous traduisons, l'auteur signale qu'il rédigea ce livre d'abord en arabe. Cette première rédaction effectuée en 1270-1271 ne nous est pas parvenue; elle est antérieure au Livre de Contemplation qui date des années 1271-1273, lui aussi rédigé d'abord en arabe, dans lequel Raymond Lulle cite le Livre du Gentil et des Trois Sages. En 1273-1275, lorsqu'il commence la rédaction catalane de ce livre, Lulle n'a pas encore entrepris de voyage en Afrique du nord. Les infidèles qu'il met en scène ne peuvent donc être que les juifs et les «sarrasins» de Majorque, extrêmement nombreux au lendemain de la reconquête (1230-1231) de cette île située à la frontière de la chrétienté et de l'islam.

    Avant Raymond Lulle, le dominicain catalan Raymond de Penyafort rédige sa Summa de Paenitentia à l'intention des chrétiens de la péninsule ibérique qui s'interrogent sur les conditions de leurs relations avec les musulmans et surtout avec les juifs; il y donne de nombreuses normes de conduite. Ramon Marti, également dominicain catalan, écrit en 1257 l'Explanatio simboli apostolorum ad institutionem fidelium, par laquelle il se propose de démontrer et expliquer la doctrine chrétienne par des «arguments d'autorité», c'est-à-dire scripturaires, et aussi par des «raisons naturelles». Entre 1259 et 1264, Thomas d'Aquin, sur les instances de Raymond de Penyafort, rédige la Summa contra Gentiles, dans laquelle il démontre lui aussi la vérité des dogmes chrétiens contre les infidèles, en accordant la primauté aux «arguments d'autorité». A la même époque sont traduits à Tolède, mais aussi à Ripoll, Vic et Tarazona, en langues latine et vernaculaire des écrits du Coran et du Talmud. La période des Croisades est alors en grande partie périmée et l'on songe davantage à une entreprise spirituelle contre les infidèles, juifs ou musulmans. Dans ce contexte, Raymond Lulle cherche à promouvoir une campagne pacifique contre l'islam. Outre la fondation du collège de Miramar à Mallorca pour l'étude de l'arabe, il obtient que le concile de Vienne en 1311 détermine la création de chaires d'arabe, d'hébreu, de grec et de chaldéen dans les universités de Bologne, Oxford, Paris, Rome et Salamanque.

    Raymond Lulle va beaucoup plus loin que Raymond de Penyafort, Ramon Marti ou Thomas d'Aquin, en affirmant, d'après sa propre expérience de la diversité des croyances, que l'«argument d'autorité» ou scripturaire n'est pas efficace pour tous les hommes et que, en outre, les théologiens ne donnent pas tous la même interprétation exégétique d'un passage de l'Ecriture qu'ils reconnaissent. Son livre constitue un document tout à fait exceptionnel, dans la mesure où il offre une synthèse raisonnable et sereine, détaillée, des croyances juive, chrétienne et musulmane de la fin du XIIIe siècle; en effet, selon Raymond Lulle – et c'est ce qui le différencie grandement de ses prédécesseurs ou contemporains –, seules les «raisons nécessaires», c'est-à-dire les arguments philosophiques, sont capables de convaincre dans la paix; il faut quitter la crédulité pour atteindre à une véritable intelligence du divin. Mais, dans la suite de son œuvre, Raymond Lulle sera parfois amené à transiger sur ses convictions, afin de se rapprocher des positions thomistes, de plus en plus suivies par les missionnaires.

    Raymond Lulle a écrit quatre autres traités qui sont en relation plus ou moins lointaine avec le Livre du Gentil et des Trois Sages. Dans le Liber de Sancto Spiritu, Lulle fait intervenir dans la querelle sur la procession de l'Esprit Saint à l'intérieur de la Trinité un chrétien latin, un chrétien grec et un musulman. Dans le Liber de quinque sapientibus, sur le même thème discutent un chrétien latin, un grec, un nestorien, un jacobite et un musulman. Dans le Liber de acquisitione Terrae Sanctae, comme dans le Liber de fine, il offre une synthèse des principes philosophiques et théologiques, à l'usage des missionnaires chrétiens qui accomplissent leur œuvre d'évangélisation chez les musulmans, les juifs, les grecs, les nestoriens, les jacobites et les «tartares». Mais ces quatre ouvrages ne comportent aucune exposition des dogmes fondamentaux des différentes religions et sont beaucoup plus polémiques que le Livre du Gentil et des Trois Sages.

    En ce qui concerne le christianisme proprement dit, dans le Liber super Psalmum «Quicumque vult», Raymond Lulle explique qu'il offre aux païens une présentation des vérités du christianisme. Dans le Liber Apostrophe, il fait une apologie des dogmes de l'Eglise. Son traité Quaestiones per Artem demonstrativam solubiles aspire à montrer l'efficacité de son Art pour la solution des problèmes théologiques et philosophiques les plus variés et difficiles. Dans le même but, il écrit les Quaestiones Sententiarum Magistri Petri Lombardi. Mais ces œuvres, hormis le Liber super Psalmum, n'ont que peu de relation avec le Livre du Gentil et des Trois Sages.

    Raymond Lulle cite le Livre du Gentil et des Trois Sages dans l'Ars universalis, dans le Liber Principiorum Theologiae et dans le Liber Principiorum Philosophiae, dans le Liber de Sancto Spiritu, tous écrits avant 1275. Il y fait référence dans le Felix des Merveilles du monde, dans le Livre de l'ami et de l'aimé, dans le Liber de acquisitione Terrae Sanctae et le Liber de fine.

 

    Nous donnons en appendice quelques extraits d'autres ouvrages postérieurs de Raymond Lulle, dans lesquels la problématique du Livre du Gentil et des trois sages est abordée différemment.