éditions de l'éclat, philosophie

DIEGO MARCONI
LA PHILOSOPHIE DU LANGAGE AU VINGTIÈME SIÈCLE

Table du livre La philosophie du langage au vingtième siècle


 

16. Le lexique
et les postulats
de signification

 

 

On dit des énoncés vrais dans toutes les descriptions d'état qu'ils sont ‘L-vrais' (c'est-à-dire logiquement vrais); Carnap présente le concept de L-vérité comme un équivalent rigoureux du concept kantien de vérité analytique (1947: § 2). Toutefois, comme le fit aussitôt remarquer Quine (1951: cf. § 27), seule une partie des énoncés communément appelés ‘analytiques' s'avèrent L-vrais dans le système de Signification et nécessité. Des énoncés comme ‘Aucun célibataire n'est marié', dont la vérité ne dépend – intuitivement – que de la signification des mots, et non de celle des mots comme ‘ou', ‘non', ‘tous', etc., mais de celle de mots comme ‘célibataire' et ‘marié', ne sont pas L-vrais: on peut envisager une description d'état où valent à la fois ‘a est célibataire', soit ‘a est marié'. En d'autres termes, le système originel de Carnap ne prévoit pas de liens de compatibilité entre des énoncés atomiques: si deux énoncés sont atomiques, ils peuvent valoir dans la même description d'état, quelle que soit la signification intuitive des prédicats qui y apparaissent. Ainsi, le système n'est pas en mesure de distinguer (sauf dans le cas des vérités logiques au sens strict, comme par exemple ‘Tous les hommes sont des hommes') entre énoncés vrais en vertu de la signification des mots et énoncés vrais sur la base des faits mondains; donc, il ne constitue pas une explication complète de nos intuitions sémantiques. Pour palier à cet inconvénient, Carnap élabore la théorie des postulats de signification (Carnap, 1952), qui représente la seule contribution à la sémantique lexicale (c'est-à-dire à l'étude de la signification des mots) produit dans le cadre du paradigme dominant.

Un postulat de signification est la stipulation d'une relation entre extensions de prédicats. En assertant un postulat comme

(20) Pour chaque x, si x est célibataire, alors x n'est pas marié

nous stipulons que les extensions de ‘célibataire' et ‘marié' sont disjointes (c'est-à-dire qu'elles n'ont pas d'éléments communs). Si nous choisissons de faire valoir (20) dans toutes les descriptions d'état – c'est-à-dire de faire de (20) un lien sur les intensions de ‘célibataire' et ‘marié' – nous aurons comme conséquence qu'aucune description d'état ne pourra contenir à la fois ‘a est célibataire' et ‘a est marié' (pour n'importe quel a). Un énoncé comme ‘Si Jean-Pierre est célibataire, alors il n'est pas marié' vaudra alors dans toutes les descriptions d'état; et la notion de vérité analytique coïncidera avec celle de L-vérité, si nous avons asserté des postulats de signification qui saisissent toutes les relations sémantiques entre des unités lexicales. Il est clair en effet que les différentes relations de sens, objet traditionnel de la sémantique linguistique (Lyons, 1977: I, 9), comme l'hyponymie (‘rose' est un hyponyme de ‘fleur'), la synonymie (‘doux' est un synonyme de ‘soyeux'), l'antonymie (‘célibataire' et ‘marié' sont antonymes) peuvent être exprimées par des postulats de signification.

Comme nous le verrons (§ 27), Quine n'aurait pas apprécié cette solution, en considérant que, de toutes façons, la frontière entre vérités analytiques et vérités factuelles ou synthétiques ne peut être marquée clairement. Pour Carnap, toutefois, un choix de postulats de signification ne reflète pas l'état du langage, mais seulement la décision du théoricien de traiter certaines relations comme analytiques. En prenant une décision plutôt qu'une autre, le théoricien est guidé «non pas par [ses] croyances par rapport aux faits mondains, mais par [ses] intentions concernant les significations» (Carnap, 1952: 225): un choix de postulats a une valeur programmatique plus que cognitive. L'âpre conventionnalisme de cette position de Carnap n'a pas empêché que les postulats de signification soient constamment interprétés, par la suite, comme des analyses des significations des mots et non comme des stipulations sur leur emploi dans un système déterminé.

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Table du livre La philosophie du langage au vingtième siècle