l'éclat

  L'ombre est la reine des couleurs

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Je suis à la recherche de Miracoli et Memorabilia*, comme Pline l'Ancien dans son Histoire Naturelle. Plus la couleur s'éloigne dans le temps et l'espace, plus vif est son éclat. Souvenirs dorés. Non pas l'or des alliances de Ratners* sur High Street, mais un or philosophal, qui brille dans l'esprit comme les pierres précieuses de l'Apocalypse. Émeraude, rubis, jargon, calcédoine, jaspe. Comme ces bijoux, la couleur est précieuse. Plus précieuse encore, parce que contrairement aux diamants, on ne peut pas la posséder. La couleur glisse entre les doigts et s'échappe. Vous ne pouvez pas l'enfermer dans une boîte à bijoux, parce qu'elle disparaît dans le noir.

Dans son Histoire Naturelle, Pline affirme que Luxuria, l'excès, est l'ennemi. Il y eut un temps «avant» – avant que les hommes ne portent des bagues en or, avant qu'ils n'érigent des statues en métal précieux à leur effigie. Un temps où Mère Nature n'était pas dévastée, pillée pour du jaune, du bleu ou du vermillon, bien qu'elle puisse se défendre de l'homme, en l'empoisonnant avec des plantes et des animaux, mais également avec des couleurs. Pline raconte que les peintres portaient des masques en vessie pour se protéger des poussières de vermillon lorsqu'ils peignaient la statue de Jupiter. «Nous devons étudier ce sujet de plus près», disait-il.

Remontons le temps, 400 ans en arrière.

Le traité d'Aristote De la Couleur* est le premier. En 323 av. J.-C., l'année de la mort du bel et doux Alexandre, Aristote enseignait à Athènes. L'année suivante, il mourait à son tour dans sa villa de Chalcis, où il avait fui les troubles politiques, laissant son école à la charge de Théophraste.

Aristote commence son traité ainsi:

«Ces couleurs qui appartiennent aux éléments – le feu, l'air, l'eau et la terre –, sont simples. Car l'eau et l'air sont naturellement blancs par essence, tandis que le feu et le soleil sont dorés. La terre est également blanche de nature, mais semble colorée, car elle est teinte. Tout s'éclaire lorsque l'on considère les cendres, puisqu'elles blanchissent quand le feu les débarrasse de l'humidité qui leur donne leur teinte.»

Les théories d'Aristote allaient prendre au piège l'esprit occidental pendant deux mille ans, jusqu'à ce que la Renaissance ne commence à ouvrir quelques portes. On citait, re-citait et récitait encore et toujours la sagesse aristotélicienne. Personne n'a jamais brûlé la terre pour vérifier si elle était blanche ou ne s'est attardé à dissocier la couleur des éléments. Pour Aristote il était clair que … «l'obscurité se fait quand la lumière vacille». Jusqu'à ce que Léonard ne renverse les choses, et la lumière se fit quand vacilla l'obscurité.

Le noir aristotélicien avait sa propre logique. Aristote s'y consacre au deuxième paragraphe. Le noir ne renvoie aucune lumière à nos yeux. Quand une infime quantité de lumière est réfléchie, tout semble noir. Une lumière faible produit des ombres. D'où l'on apprend que l'obscurité n'est pas une couleur, mais simplement une absence de lumière. Il n'est pas possible de percevoir les formes des objets dans l'obscurité.

Aristote conçoit les couleurs comme un mélange de noir et de lumière:

«Quand ce qui est noir est exposé à la lumière du soleil et du feu, le résultat est toujours rouge.»

À partir de ce genre d'observations, il a conçu une théorie de la couleur selon laquelle le noir est toujours présent en plus ou moins grande quantité.

Il remarquait que l'air prenait une teinte pourpre au lever et au coucher du soleil:

«La couleur lie-de-vin apparaît quand les rayons du soleil se mélangent à ce qui est de noir pur, comme les raisins sur la grappe… et l'on dit de leur couleur qu'elle est “lie-de-vin” au moment de la maturation, parce que lorsque les grains noircissent, de rouge ils passent au pourpre. Suivant la méthode que nous avons établie, nous devons nous interroger sur toutes les variations de la couleur.»

Il estime que nous devrions fonder nos recherches, non pas en mélangeant les couleurs comme le font les peintres, mais en comparant les rayons qui sont réfléchis.

Un orage éclate, descendant de la montagne. Pline le Jeune, flânant dans son jardin au parfum de buis, est interrompu par les premières grosses gouttes de pluie, tandis qu'il parle de planter une orchidée avec son vieux jardinier. Il rentre précipitamment, traversant la cour de marbre, évitant l'eau de la fontaine qui gicle sur les mosaïques, passant les portes à battants de sa chambre. Là, sur sa couche, dans la lumière tachetée de vert de l'énorme vigne grimpante qui parvient jusqu'au haut du toit, il prend De la Couleur d'Aristote. Dans cette chambre, dit-il, «vous pouvez imaginer que vous êtes dans un bois à l'abri de la pluie». Alors que l'orage s'intensifie, Pline aurait été d'accord avec Aristote pour dire que l'obscurité qui enveloppait sa chambre n'était pas une couleur, mais une absence de lumière. Et s'il avait éprouvé un froid soudain, et ordonné à son esclave de rallumer le feu, il aurait pu voir, avec Aristote, que le bois virait au rouge, puis au noir lorsqu'il se consumait. Si Pline s'était avancé jusqu'à sa fenêtre et s'il avait cueilli une grappe de raisin lie-de-vin, il aurait su que la couleur lie-de-vin est mélangée au noir pur. Aristote suggère que pour trouver des arguments à sa théorie sur les rayons qui se mélangent dans la nature, nous avons besoin de preuves convaincantes et nous devons considérer les cas similaires, si l'origine des couleurs se doit d'être mise en évidence:

«Toute couleur est un mélange de ces trois éléments, la lumière, le médium à travers lequel on voit la lumière, comme l'eau et l'air, et les couleurs qui constituent le support sur lequel il se trouve que la lumière se réfléchit.»

Certaines couleurs sont sombres et d'autres vives. Les couleurs vives sont le cinabre, le vermillon, l'arménium (bleu foncé), la malachite (vert vif), l'indigo, et le pourpre de Tyr brillant. Les couleurs sombres sont le synopse (rouge brun), la paraetonium (blanc de craie) et l'orpiment (jaune vif). Le noir est produit en brûlant de la résine ou de l'asphalte.

De la Couleur ne traite que de la nature. L'art de la peinture n'y est même pas mentionné, et il y est fait peu de cas des origines des teintures… bien qu'Aristote mentionne le murex, à partir duquel était fabriqué la pourpre impériale. Il observe les fleurs, les fruits, les racines de plantes et les changements de couleurs des saisons. Les feuilles vertes passant au jaune. Les plantes sont pénétrées d'une humidité qui rince leur couleur. Le tout est fixé par la chaleur et la lumière solaire, tout comme dans la teinture. Toutes les plantes qui poussent deviennent finalement jaunes:

«Alors que le noir perd de sa force, la couleur passe progressivement au vert et devient enfin jaune… d'autres plantes deviennent rouges lorsqu'elles mûrissent.»

Aristote prend le poireau comme exemple de légume vert, blanchi du fait de l'absence de soleil, pour confirmer sa théorie selon laquelle ce sont les rayons du soleil qui créent la couleur. Son traité De la Couleur est court, et Pline le termine avant que l'orage ne s'achève dans un éclair de lumière, un coup de tonnerre et un silence soudain, rompu par le rire de ses jeunes esclaves. Son jardin garni de mûres, de figues, de roses et de buis taillés en forme de pyramides topiaires à l'ombre des cyprès, a été rafraîchi par l'averse soudaine. Une brise s'est levée.

Pline le Jeune écrit une lettre à Baebius Macer («Baby»):

«Je suis heureux d'apprendre que l'étude approfondie des livres de mon oncle a suscité en toi le désir de les posséder tous. L'Histoire Naturelle est pleine de ressources variées au même titre que la nature elle-même.»

Son oncle, disait-il, avait besoin de peu de repos, et consacrait chacun de ses instants à l'écriture, lorsqu'il n'était pas occupé au tribunal. Il était toujours debout avant l'aube pour se rendre chez l'empereur Vespasien. Il emportait des cahiers de notes lors de ses voyages. Il lisait même des livres dans son bain. Ce n'est pas surprenant qu'un homme si occupé s'assoupisse si souvent. Les tomes trente-trois à trente-cinq de son Histoire Naturelle sont consacrés aux arts de la sculpture et de la peinture. Pour Pline l'Ancien, le but de l'art est de confondre la nature, et ses plus grands éloges vont à ceux qui y sont le mieux parvenus: Zeuxis trompant les oiseaux avec des cerises peintes; Apelle, peignant un cheval qui faisait hennir les vrais chevaux; Parrhasios, dessinant un rideau qui a trompé Apelle, lorsqu'il lui a demandé de le tirer pour découvrir la peinture qui aurait dû se trouver derrière. L'art atteint la perfection lorsqu'il reflète la nature. Le juge, c'est la nature elle-même.

Mais je m'égare du puits de la couleur, sujet de ce livre. À ce propos, Pline est aussi éloquent que la plupart des écrivains anciens. La raison n'en est pas seulement son insatiable curiosité, mais elle tient aussi à sa propre implication, préjugés compris, dans ce qu'il écrit. La plupart des livres plus récents sur la couleur n'ont pas suivi ce principe et sont par conséquent sans odeur ni couleur. Pline affirme qu'«au bon vieux temps, la peinture était un art». La peinture à Rome avait dégénéré en spectacle. Néron fit faire un portrait à son effigie de la taille de la moitié d'un terrain de football, et avait enfermé un art qui aurait toujours dû rester public dans la prison gigantesque de sa Maison Dorée. Tout était de travers, du seul fait des trop grandes richesses. Si les empereurs étaient débauchés, les magnats étaient pire encore. Auguste avait fait habiller de marbre les monuments commémoratifs, ce qui suscita une convoitise insatiable pour cette roche. La nature a été violée. Les mines ont détruit et défiguré la déesse vivante, les montagnes ont été rasées, les rivières détournées dans la course aux métaux et aux pierres précieuses. Notre époque est contrariée. Rendez-vous compte: Drusillianus Rotundus, esclave de l'empereur Claude, fit forger un plateau en argent massif qui pesait 500 livres et huit plateaux plus petits, pesant chacun 250 livres. Combien faut-il d'hommes pour les soulever, et qui peut les utiliser? Le luxe des maisons privées égale celui des temples. De coûteuses colonnes de marbre africain sont traînées dans les rues pour construire une salle à manger – contraste hideux avec la terre cuite des anciens tombeaux. Le poids de ces colonnes a détruit les canalisations des égouts.

Pline nous raconte que l'utilisation de l'argent pour les statues de son regretté Auguste était due à la flagornerie de cette époque… Mais si vous pouviez voir aujourd'hui l'étalage de luxe «des salles de bains pour femmes, au sol recouvert d'argent, si bien que l'on ne sait plus où poser les pieds. Et les femmes se baignant avec les hommes !», il y aurait de quoi vous couper le souffle. Les pigments jaunes, ocres et bleus sont extraits des mines d'argent. L'un des meilleurs s'appelle «boue Attique», et coûte deux deniers la livre. L'ocre foncée de Skyros est utilisée pour les ombres en peinture. Les Grecs utilisaient l'ocre jaune prioritairement pour les rehauts. Le pigment bleu est un sable. À cette époque, il en existait trois variétés: l'égyptien, le plus renommé, le scythe et le cyprien. Auxquels se sont ajoutés le bleu de Pozzuoli et le bleu d'Espagne. On se sert de ces derniers pour les enduits bleus, et on l'utilise aussi pour les châssis des fenêtres, parce qu'il ne s'altère pas aux rayons du soleil.

Le bleu indien, l'indigo, est employé en médecine ainsi que l'ocre jaune, qui était utilisée comme astringent.

Le vert-de-gris peut s'utiliser comme baume oculaire. Il fait pleurer, mais il faut absolument rincer les yeux avec des tampons d'ouate. On peut le trouver sous le nom de baume de Hiérax. Pline fait ensuite la liste des prescriptions médicales des autres oxydes de métal. Le plomb, par exemple, est appliqué sur les parties, parce qu'il est froid de nature, pour atténuer les assauts de passion vénérienne et les rêves libidineux. L'une des utilisations les plus inhabituelles du plomb consistait en une plaque que Néron faisait pendre sur sa poitrine lorsqu'il chantait des chansons fortissimo, pour préserver sa voix.

Cet empereur, haut en couleurs, passionné de théâtre, avait incendié Rome comme spectacle d'un soir et avait la délicieuse manie de crucifier des gens dans ses jardins, mais ce n'était pas le préféré de Pline. La phrase: «Celui que les Cieux se plurent à consacrer empereur», n'est pas dénuée d'une certaine ironie. D'autres empereurs avaient plus de considération pour le peuple et firent réaliser des fresques pour décorer la cité.

Aujourd'hui, nous disposons de nombreuses couleurs, mais les grands peintres grecs n'en utilisaient que quatre. Tout était plus grandiose lorsqu'il y avait peu de ressources. De nos jours, les gens recherchent plus la valeur des matériaux que le génie des artistes. Ce qu'ils apprécient désormais, ce sont les portraits réalistes de gladiateurs. Tout n'est plus que l'ombre d'un âge d'or révolu. Les couleurs s'estomperont au crépuscule de l'histoire.