l'éclat

 

  Editorial
   

L’apparition d’une nouvelle «religion politique»

Shmuel Trigano

 

La chose n’échappe pas au regard sociologique : avec les «Verts», le courant écologiste, nous assistons à l’apparition d’une nouvelle religion politique. Son évolution récente tranche en effet sur ce que fut l’écologie politique surgie dans les années 1970. Dans le contre coup de Mai 68 et de son mythe du retour à la nature, il s’était illustré dans la création de communautés rurales alternatives et la constitution de partis politiques acteurs du combat électoral. S’il s’agissait alors de critiquer la société de consommation, les enjeux sont tout à fait différents aujourd’hui. La mouvance a évolué mais aussi le cadre politique et symbolique de la France qui tenait encore bon dans ces années-là et qui, depuis, s’est effondré.

Une nouvelle croyance

Par «religion politique», les sociologues – à l’origine, sous la houlette de Raymond Aron1 – entendent un phénomène qui remplit la fonction d’une religion dans un groupe social. Il en revêt les formes mais n’en adopte pas les contenus idéologiques. Ainsi les grandes idéologies politiques (nazisme, communisme, etc) ont-elles été comparées avec succès à «la» religion de par leurs systèmes de valeurs, leurs comportements, leurs institutions et procédures, etc.
Ce qui frappe immédiatement, au regard des critères de ce phénomène, c’est l’aspect émotionnel et passionnel de la croyance écologiste. N’oublions pas que pour Max Weber, la religion constitue avant tout une «communauté émotionnelle». Or la croyance qui meut les Verts fait manifestement communauté. Elle engendre des jugements touchant aux fondements de l’existence et dont l’exigence militante retentit sur tout le mode de vie (nourriture, comportements, usages, habillements, habitats, lieux de sociabilités – réseaux de magasins, etc.), et pas seulement sur la position politique.
Toute sa puissance de conviction et de persuasion est tirée d’une prophétie annonçant une apocalypse proche ou lointaine. Si celle-ci n’est pas la punition venant d’un dieu, elle exprime la vengeance de la Terre outragée par les actes répréhensibles (les péchés) de l’humanité, et surtout de l’humanité occidentale, celle du monde développé. C’est comme si se levait de ses tombeaux une déesse très archaïque dans l’histoire des religions : la mère Nature. Différents «attributs» déclinent son profil : la Terre, la Planète, la Nature. Le drame sacré qui la touche la présente à la fois vierge et violée par les hommes2. Au Guatemala, tout un courant veille à inscrire dans la constitution nationale des «droits de la Terre», comme d’autres, en Islam, veulent inscrire les «droits de Dieu» dans les Déclarations des droits de l’Homme3. La «Terre» devient ainsi un être aux côtés des hommes ou plutôt de l’Humanité en général, ainsi massifiée face à elle.
Cette déesse évidemment parle par la bouche de ses «prophètes» et «prophétesses». Toute une galerie de personnages est ainsi montée sur la scène publique, à la trajectoire parfois d’étoiles filantes, tant leur message est évanescent et sans lendemain. La trajectoire de Cécile Duflot, en vogue actuellement, mériterait d’être analysée : sortie d’un anonymat total, elle n’en occupe pas moins les devants de la scène, sans doute, elle aussi, pour un temps limité. Le prince des prophètes est sans doute Daniel Cohn-Bendit, personnage sociologiquement intéressant par ses multiples mutations depuis l’idéologie soixante-huitarde et dont la trajectoire éclaire la généalogie de l’écologisme comme une mutation post-marxiste. Nous avons assisté en 2009-2010 à l’ascension foudroyante de Nicolas Hulot, qui réussit à mettre un temps au pas tous les partis politiques sommés de se prononcer sur leur rapport à la déesse, pour finir par une chute vertigineuse que cristallisa l’échec de son deuxième film (Le syndrome du Titanic).
La multiplicité des prophètes et leur succession rapide à la tribune est un indice du caractère de nébuleuse du courant écologiste, surgissant de toutes parts, polycentrique, présent dans tous les partis, etc… Nous vivons la phase de création effervescente de cette croyance qui ne trouve à compenser la faiblesse de son message que dans la terreur dont ses prophètes menacent l’Homme en général.

Le scénario de la fin

La fin du monde est annoncée sous le double signe de la pénurie, de l’épuisement des ressources et de la submersion des terres par les océans. Le glacier qui fond à vue d’œil est un de ses «mystères» sacrés favoris (à l’instar des mystères de la foi joués sur le parvis des cathédrales médiévales). De nombreux films en racontent la saga dans la jungle amazonienne, le désert africain, le golfe du Bengale, etc. Pénurie et engloutissement donc, rétrécissement de l’existence, réduisant l’homme à son gabarit le plus étroit, et disparition sous les eaux, effaçant l’homme du dehors, par submersion de la terre – un grand drame cosmique pour la déesse Terre – scandent le discours de cette prophétie apocalyptique.
Remarquons que dans ce scénario, il n’y a ni nations, ni Etats, ni individus, mais l’Espèce humaine, le genre humain. Cette massification du destin des hommes est un indice de la propension de cette religion à un pouvoir total, qui tranche sur ses discours libertaires. Dans son horizon se profile l’idée d’un gouvernement de la planète qui imposerait des normes obligatoires à l’ensemble de l’humanité, pour sauver la déesse mère qui la nourrit. Faut-il établir un rapport entre ce caractère «maternel» et un leadership de cette mouvance majoritairement féminin ? Il y aurait là un indice intéressant de la convergence de l’accès des femmes à la politique et d’une esquisse de matriarcat dont témoignerait la féminisation (exclusive) de l’objet des croyances : la Terre mère, en lieu et place de la «mère-patrie»…
Le ressort de cette nouvelle croyance est paradoxal : elle culpabilise tous les hommes, sans distinction, pour avoir trop consommé et exploité, tout en supposant qu’ils sont à ce point puissants qu’ils pourraient redresser les cycles de la nature, c’est à dire, implicitement, qu’ils sont susceptibles de les maîtriser.
Cette mégalomanie ne fait que décliner à nouveaux frais, en réalité, un trait typique de l’homme moderne qu’illustre si bien le mythe du «self made man», de celui qui s’est fait lui même, sans ascendants, ni famille : l’Homme maître de toutes choses. A l’inverse de son contenu originel, cette croyance, cependant, ne s’affirme plus dans le sens d’un progrès sans fin, qui, aux yeux de Durkheim, était au coeur de la «religion» moderne, mais dans le sens de sa limitation impérative.
Il y a bien sûr des méchants qui sont fustigés, les responsables de la mort qui nous guette : les exploiteurs, les capitalistes, les Etats récalcitrants, les «climato-sceptiques», brefs les mécréants qu’il faut combattre en les affublant des oripeaux de la réaction, de la bourgeoisie… Remarquons, cependant, le caractère idéologique (dans le sens de Marx) d’un discours qui contribue à détourner sur le plan de la «Nature» ce que les vieux marxistes auraient défini comme un rapport de classe et de domination. C’est, en effet, désormais l’espèce humaine qui est coupable, pas la bourgeoisie ou la classe dominante.

Repentir et mortifications

Le jugement rendu par les prophètes de la mauvaise nouvelle appelle à un changement de comportement qui obéïrait à un idéal de vie ascétique, pénurique, mortifiant, limitant la puissance humaine par renonciation au «progrès» et à ses facilités techniques. Il faut que l’homme se repente et qu’il se réforme, qu’il devienne en somme un «homme nouveau». L’humanité doit réapprendre à vivre, en changeant son mode de vie dans un sens écologique. La nouvelle «citoyenneté» planétaire s’accompagne ainsi d’une doctrine de l’homme nouveau. On retrouve ici l’écho de la vieille rengaine des idéologies politiques du XXe siècle : fabriquer un homme nouveau qui réponde aux présupposés fantastiques d’un rêve utopique. Comme l’homme réel ne répond jamais à ses requisits, c’est lui qu’il faut réformer et non la défaillance face au principe de réalité. Entre-temps, l’homme coupable doit payer une amende pour s’exonérer de ses fautes passées : la «taxe carbone», noire comme le carbone, condition pour se purifier et redevenir blanc comme neige.
Il faut souligner un aspect significatif de ce discours néo-religieux : sa forme réputée scientifique. C’est effectivement une religion qui se dénie son caractère manifeste parce qu’elle se veut moderne, voire post-moderne, et donc «rationnelle». Pour affirmer son caractère d’évidence, le prophète ne parle pas au nom de la déesse Nature mais de la Science, argument suprême pour éliminer toute discussion ou convaincre les critiques d’obscurantisme. Il a fallu que le scandale du «Climategate» soit éventé pour montrer que les référents de la doctrine, les savants, n’hésitaient pas à instrumentaliser leur savoir pour accréditer leurs thèses4.

L’impact politique

Les relais de ce discours sont très nombreux, notamment le réseau médiatique dont les acteurs ont trouvé dans ces thèmes la cause «sanitized», humanitaire et compassionnelle dont ils raffolent. Toujours en quête de sens, il y avait là en effet une très riche symbolique à exploiter : émotion, tragédie, catharsis se mêlent en une sorte de télé-réalité cosmique, d’autant plus qu’avec les «climato-sceptiques» ils avaient le «débat» qui accompagne en général leur discours unidimensionnel. La diffusion de type cérémoniel du film de Yann Arthus-Bertrand sur les écrans TV, un événement de masse, en fut le témoignage grandiloquent. Il faudra l’étudier un jour comme une grande cérémonie cultuelle nationale.
La portée politique de cette idéologie est considérable. Elle est aussi paradoxale. Fidèle à ses origines post-modernistes, l’écologisme politise toute la réalité, de la même façon que Michel Foucault écrivait que tout est politique. Cette fois-ci, c’est pour la première fois dans l’histoire que la Terre est politisée, qu’elle devient un argument politique, une instance, voire une «personne» (quand on parle des «droits de la Terre»). Tout est pouvoir, même la terre, même les gaz émis par les bovins! Au XVIIIe siècle, la «Nature» était considérée comme la source des droits («Les hommes naissent libres et égaux», Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), mais jamais encore on ne l’avait déclinée comme nature terrestre. Le «tout est pouvoir» foucaldien constitue, contrairement à la dénégation du pouvoir qu’il semble proférer pour lui, l’expression d’une volonté de puissance sans limite, sauf que le sans-limite s’affirme de n’avoir pas respecté la limite, ce qui est l’indice de son simulacre. Le déni de toute volonté de pouvoir, plutôt que son assomption ouverte et responsable, est un trait classique des stratégies de puissance. D’autant plus que cette politisation extrême de toute l’existence s’accompagne d’une dépolitisation de grande ampleur de l’Etat, de la nation, de l’identité et de l’intérêt nationaux, déconsidérés comme instances au regard de la Planète et de l’espèce humaine. Ces cadres sont en effet réputés être ceux de l’égoïsme et du profit. C’est ce qui explique pourquoi l’Union Européenne apparaît aux écologistes comme le seul cadre acceptable.
Les écologistes se considèrent avant tout comme «citoyens de la Planète». Ils prônent une nouvelle «citoyenneté» (dans le sens que ce mot a pris comme dans l’expression : «comportement citoyen dans les transports»). Forcément, la «Nature» n’a pas de «frontières» ni d’identité. Rappelons-nous à ce propos que l’inventeur du mythe du patriarcat et du matriarcat, Bachofen, plaçait l’identité et la séparation du côté du patriarcat et la massification et la fusion du côté du matriarcat… Les citoyens de la planète convergent d’ailleurs avec les «citoyens du monde» de l’altermondialisme. A leur exemple, ils ne sont cependant pas à une contradiction près : les premiers fustigent l’Etat mais exigent de lui et de lui seul qu’il prélève la «taxe carbone», les seconds le condamnent au nom de la mondialisation en exigeant de lui qu’il reste l’Etat-Providence qui compensera ses effets négatifs.
Cette ambivalence affirmant le tout-politique dans un déni formel de la politique se retrouve dans les formes politiques partisanes de l’écologisme. Un nouveau type de parti en est né : en réseau, polycentrique, sans centre réel saisissable. Et donc sans responsabilité. Sa doctrine, elle-même, est floue et mouvante : elle n’est en rien un programme de gouvernement et est incapable de faire face aux défis multiples de la décision politique étatique. En plus de leurs partis propres, les écologistes se retrouvent aussi dans tous les partis au point de contribuer à la pulvérisation et à la confusion de tout le paysage partisan. Ils sont à droite, à gauche, au centre et quand ils sont eux-mêmes, ils n’ont pas de centre identifiable. Ses leaders parlent du haut de toutes sortes de tribunes. Quand le message n’est pas évanescent, il est «ludique», à l’image du personnage de Cohn-Bendit. Ils s’inscrivent néanmoins dans le genre très «vertueux» du droits-de-l’hommisme avec force références au souci pour l’homme, les «droits», les «chartes», la «communauté internationale», le «droit d’ingérence», etc. Par ce biais, l’écologisme est le supplément d’âme du post-modernisme dont un des axes principaux est la proclamation de l’obsolescence et de la nuisance de l’Etat.
S.T.

 

notes

1. Raymond Aron, L’âge des empires et l’avenir de la France (editions Défense de la France, Paris 1946). «Je propose d’appeler religions séculières les doctrines qui prennent dans les âmes de nos contemporains la place de la foi évanouie et situent ici-bas, dans le lointain de l’avenir, sous la forme d’un ordre social à créer, le salut de l’humanité» (p. 288).

2. Cette anthropomorphisation de la nature est typique des paganismes de l’Antiquité.

3. L’Assemblée générale de l’ONU, sur la proposition d’une cinquantaine d’Etats, a même édicté une fête anniversaire de la déesse en proclamant le 22 avril 2009 la Journée Internationale de la Terre Nourricière en présence du président bolivien Evo Morales, pour «promouvoir» l’harmonie avec la nature et la Terre. Le président de l’Assemblée générale Miguel d’Escoto Brockmann a expliqué que l’expression de terre nourricière, désignant la planète, «illustre l’interdépendance existant entre l’être humain, les autres espèces vivantes et la planète sur laquelle nous vivons tous».
Le président de la Bolivie a affirmé que le xxie siècle devait être celui de la reconnaissance des droits à la Terre nourricière comme le précédent avait été celui de la reconnaissance des droits de l’homme. Il énumère 4 droits : droit à la vie, humaine, animale et végétale ; droit à la régénération de la nature (limites du développement socio-économique) ; droit à une vie sans pollution ; droit à la coexistence harmonieuse avec des millions d’autres espèces vivantes.

4. Des hackers ont infiltré un centre de recherche et accédé aux échanges emails des chercheurs pour y découvrir qu’ils envisagent de «cacher le déclin des températures», de modifier des données, d’effacer des emails compromettants, de s’en prendre à d’autres scientifiques sceptiques…