l'éclat

 

Où serons-nous

dans un an?

(1946)

Giorgio Colli

 

traduit de l'italien par Patricia Farazzi

 

Ce court texte ironique écrit en 1946, par le jeune Giorgio Colli, à peine revenu de l'exil auquel l'avait contraint le régime fasciste, semble confirmer que les prophéties ne se démodent jamais.

 

 



Il se peut qu'ici en Italie le temps passe très lentement. Ou bien les italiens sont un peuple à la mémoire trop courte. Quoi qu'il en soit, des changements adviennent dans notre pays, dans des périodes de temps plutôt brèves, qui paraissent vraiment prodigieux.
Nous faisons allusion à la résurgence du fascisme, qui semblait pourtant bien mort, il y a à peine un an. On remarquera qu'ici nous ne voulons pas indiquer par « fascisme » ce que l'on entend le plus communément aujourd'hui par ce terme – c'est-à-dire tout ce qui ressort du credo du parti auquel appartient ceux qui parlent ou écrivent – mais nous nous référons simplement au sens historique, technique, «antique» de ce mot. Il est vrai qu'il existe une loi qui interdit tout acte tendant à rappeler à la vie le régime passé, mais il semblerait que celle-ci n'interdise pas, pauvre loi désarmée, la propagation d'une active propagande fasciste (dans le sens évoqué ci dessus) et la successive venue au jour de journaux aux titres bigarrés et suggestifs, tels que «Rouge et Noir» et «La révolte idéale». Avec l'aide de diverses feuilles qui aiment à se nommer indépendantes, ces journaux commencent désormais vaillamment à parler clairement, soutenus par des signatures illustres, telles que Curzio Malaparte (martyr antifasciste), Concetto Pettinato et Marco Ramperti. Heureux temps, pas si lointains, où l'on s'indignait encore contre Guglielmo Giannini pour ses perverses, mais timides, allusions cachées !
Maintenant les temps ont changés, rapidement il est vrai, et l'«homme quelconque» a envoyé trente députés à la Constitution. Il est probable qu'aux prochaines élections il en envoie soixante, et que trente sièges reviendront au «parti fasciste historique».
Spontanément surgit le doute que la récente amnistie y soit pour quelque chose. Tous ont admiré son humanité et son esprit chrétien. Et il est probable que les «fascistes antiques» l'ont aussi admiré, lesquels, estimant comme un grand bien que les choses en aillent ainsi, ont pensé que humanistes et chrétiens doivent continuer à être, eux, les antifascistes. Il vaut mieux peut-être ne pas appliquer à la politique les maximes de la religion.