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Terre ancestrale… Terre que l’on cultive… Terre qui accueille ou repousse… Terre interdite… Terre disputée… Nostalgie de la terre… Autant de questionnements qui ont été à l’origine de ce numéro que nous avons choisi d’intituler, clin d’œil à l’histoire, «Retours à la terre». Car ces retours se sont produits à différentes époques, en diverses occurrences, sous des formes plurielles voire contradictoires. Et ce ne fut pas toujours la même terre. De l’interdiction faite aux Juifs de pratiquer l’agriculture dans l’Europe chrétienne médiévale jusqu’à l’exaltation nationaliste de la terre par les courants de la droite extrême qui en excluaient a priori les Juifs, en passant par le mythe du juif errant relayé par la littérature et l’iconographie, le stéréotype du Juif étranger à la nature, ‘génétiquement’ malhabile et inscrit dans le tissu urbain a perduré au fil des siècles. Ce serait oublier les tentatives des Juifs russes entre autres pour devenir paysans, à partir de la fin du XIXe siècle, que ce soit dans les colonies agricoles fondées aux États-Unis ou dans celles du baron de Hirsch en Argentine, ou encore dans les kolkhozes juifs qui se développèrent à travers l’Union soviétique dans les années 1920 et 1930, surtout en Crimée et en Ukraine. Et la France elle aussi eut ‘ses’ fermiers juifs, en particulier en Alsace où agriculteurs, marchands de bestiaux et villageois juifs liés à l'économie rurale vivaient au rythme des saisons et des activités agraires. Pour se défaire de toute trace du ghetto et devenir de ‘nouveaux Juifs’, d’autres firent le choix de la Palestine et partirent y manier la pioche pour œuvrer à l’édification d’un État des Juifs. La terre, aimée et idéologiquement investie, fait aussi l’objet d’appropriations parfois controversées, qui engendrent des conflits à l’actualité toujours brûlante.
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La terre ancestrale… La terre que l’on cultive… La terre qui accueille ou repousse… La terre interdite… La terre disputée… La nostalgie de la terre… Autant de questionnements qui ont été à l’origine de ce numéro que nous avons choisi d’intituler, clin d’œil à l’histoire, «Retours à la terre». Car ces retours se sont produits à différentes époques, en diverses occurrences, sous des formes plurielles voire contradictoires. Et ce ne fut pas toujours la même terre.
À travers l’analyse de l’emploi du terme ‘aretz dans différents livres bibliques, Azzan Yadin montre qu’il existe un sens intermédiaire pour ce mot, qui n’est ni l’interprétation la plus large désignant la terre par opposition au ciel, ni l’acception la plus étroite indiquant le territoire géographique d’un groupe spécifique, mais qui a à voir avec l’universalisme de l’Alliance.
En prenant comme point de départ les écrits de Juda Halévi et d’Abraham ibn Ezra, Dov Schwartz met en évidence le fait qu’il a toujours existé deux points de vue sur la sainteté de la terre d’Israël: celui qui considère la terre d’Israël comme intrinsèquement sacrée et celui selon lequel elle n’acquiert ce statut que comme moyen permettant au peuple juif d’accomplir les préceptes divins. Ces divergences perdurent jusqu’à aujourd’hui, avec des implications politiques non négligeables.
Tu bi-Shevat, le nouvel an des arbres, correspondait à la date limite pour fixer la dîme prélevée sur les produits des arbres fruitiers. Après la destruction du Temple, cette fête était commémorée comme rappel du lien avec la terre d’Israël. Boaz Huss rapporte que les kabbalistes de Safed, au XVIe siècle, lui donnèrent une signification mystique liée à la régénération de la terre et introduisirent de nouveaux rites, comme la récitation d’hymnes sur les fruits de la Terre sainte et la dégustation de fruits du caroubier et de l’amandier. Ces rituels furent repris par les sabbatéens. Bien que considérée comme une fête mineure du calendrier juif, Tu bi-Shevat revêt une signification symbolique forte liée à la mémoire, dans l’exil, de la terre d’Israël et à l’abondance des temps messianiques.
De l’interdiction faite aux Juifs de pratiquer l’agriculture dans l’Europe chrétienne médiévale jusqu’à l’exaltation nationaliste de la terre par les courants de la droite extrême qui en excluaient a priori les Juifs, en passant par le mythe du juif errant relayé par la littérature et l’iconographie, le stéréotype du Juif étranger à la nature, ‘génétiquement’ malhabile et inscrit dans le tissu urbain a perduré au fil des siècles. Ce serait oublier les tentatives des Juifs russes victimes des pogromes pour devenir paysans, à partir de la fin du XIXe siècle. Il s’agissait pour eux de construire une vie nouvelle en se ‘régénérant’, dans l’espoir d’obtenir ainsi un mieux-être matériel et, surtout, le ‘droit’ à l’intégration. Leo Shpall décrit les débuts difficiles et les déboires des colonies agricoles juives aux États-Unis, de Sicily Island à Painted Woods. À travers des évocations littéraires, écrites le plus souvent en yiddish, Alan Astro rappelle le grand projet de colonisation agricole du baron de Hirsch en Argentine, qui rassembla plus de 25000 personnes et contribua à la modernisation du pays. Et sur la base d’archives récemment ouvertes aux chercheurs,
Jonathan Dekel-Chen apporte un éclairage nouveau sur la politique soviétique des nationalités en évoquant les années 1920 et 1930 qui virent le développement de kolkhozes juifs en Crimée et en Ukraine du Sud.
La France elle aussi eut ‘ses’ fermiers juifs. Comme le rappelle Freddy Raphaël, les agriculteurs, les marchands de bestiaux et tous les villageois juifs liés à l’économie rurale vivaient au rythme des saisons et des activités agraires, cultivant les céréales et le houblon, cueillant les fruits, menant la vache au champ. Et Anne Grynberg relate la brève histoire du ‘kibboutz Machar’ créé en 1933 dans un petit village de Corrèze par de jeunes réfugiés de l’Allemagne nazie, qui en furent expulsés deux ans plus tard au terme d’une campagne de presse nauséabonde soutenue par un sous-préfet aussi diligent que xénophobe. Peut-être fut-il un lecteur de Bengali, pamphlet d’une rare violence antisémite publié en 1937 par Maurice Bedel (Prix Goncourt 1927), et dont Pierre Birnbaum présente des extraits éloquents sur la révolte de la terre contre la «souillure» des Juifs, Léon Blum apparaissant une fois encore comme l’anti-modèle archétypique du ‘métèque’ déraciné face aux ‘vrais Français’ enracinés dans la glèbe.
Pour se défaire de toute trace du ghetto et devenir de ‘nouveaux Juifs’, certains firent le choix de la Palestine: les uns en incitant la population à y exercer une activité productive, comme les fondateurs de Mikveh Israel, première école agricole moderne dont la création, par l’Alliance israélite universelle, est rappelée par Ariel Danan; d’autres en allant manier la pioche dans un kibboutz, tel Hirshka Hazanovitch, ouvrier hébreu ‘monté’ en Eretz Israel dans le cadre de la troisième aliya (1919-1923), paysan boiteux modestement héroïque qui, chaque soir, écrivait son journal dans sa baraque en bois à Einat; Rosie Pinhas-Delpuech lui rend ici hommage.
Reste que la terre, aimée et idéologiquement investie, fait aussi l’objet d’appropriations parfois controversées. Sylvie Friedmann dépeint la réserve du paysage biblique de Neot Kedumim, qui constitue un enjeu stratégique du tourisme historique à l’est de la Ligne verte; aménagée sur les sols semi-désertiques des collines de Judée, elle symbolise à la fois la difficulté des conditions d’exploitation de cette terre et l’effort pour la dépasser. Quant à Claude Klein, il rappelle que le projet sioniste porte en soi la nécessité de l’appropriation de la terre, précisément pour la travailler, l’habiter, la développer, ce qui engendre des conflits que la Cour suprême d’Israël est amenée à arbitrer.
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