NOTES

2. On sait que Rousseau a élaboré le concept fondamental de sa philosophie politique en invoquant une faculté essentielle, la volonté, qui, pourtant, semblait être, entre toutes, la plus intime, la plus personnelle et secrète. Rousseau parle de volonté générale. Ce que l'on sait moins, mais qui n'en est pas pour autant moins significatif (et peut-être même plus perspicace) c'est le recours de Marx à la faculté de l'intellect pour indiquer la plus grande puissance de la société, celle qui depuis toujours réunit les producteurs particuliers. Marx parle de general intellect. Il faudrait considérer la faculté de la mémoire de manière semblable. Dans le but, comme nous le disons dans ce texte, de trouver des catégories adéquates pour penser l'expérience historique, et également, plus radicalement, l'historicité de l'expérience. Volonté-politique, Intellect-lien social, Mémoire-historicité ? À propos de la première connexion, on est pris d'un doute tenace : ce qui n'est pas le cas pour les deux autres. L'étude des facultés essentielles pour comprendre ce qu'il y a de plus supra-personnel (ou de moins « privé ») a son précédent décisif dans le livre X du De Trinitate d'Augustin. Là, est instituée une analogie (mais il faudrait mieux dire une isomorphie) entre le Père et la mémoire, le Fils et l'intellect, le Saint-Esprit et la volonté. La mémoire, qui reflète imparfaitement la nature du Père, n'est pas considérée par Augustin comme une faculté quelconque, comparable aux autres : elle coïncide plutôt avec la vie tout entière de l'esprit ; c'est le cadre, ou le contexte, dans lequel s'inscrivent toutes les facultés particulières, à commencer par l'intellect et la volonté. La mémoire dépasse les aptitudes humaines restantes tout comme l'« être » dépasse (et comprend en soi) toute catégorie ultérieure. Du reste, dans les Confessions (livre xiii), Augustin avait comparé la Trinité à ces trois prérogatives de la créature rationnelle : être (en lieu de la mémoire, justement) connaître, vouloir.