CHAPITRE VI

 

LE MANIFESTE Peri; filosofiva"

 

 

 

 

 

 

 

Jusqu'à récemment, l'histoire de la période la plus productive de la vie d'Aristote a été une feuille vierge. Sur la période allant de ses trente-sept ans à ses quarante-cinq ans, c'est-à-dire depuis le moment où il quitta l'Académie jusqu'à l'époque où il revint de Macédoine à Athènes pour y fonder l'école péripatéticienne (347-335), on ne savait rien. On ne pouvait envisager aucune liaison essentielle entre ses «voyages» et la vie retirée qu'il avait menée à l'Académie pendant la période précédente. En tout cas, ces années ne semblaient pas avoir d'importance particulière pour la compréhension d'Aristote en tant que penseur. Dans la mesure où ses écrits ne pouvaient pas être datés précisement, il y avait là un vide complet entre sa période académique et sa période péripatétique, et l'on supposait que les traités avaient tous été écrits pendant la dernière période. Dans la mesure où l'on ne savait rien de précis sur son enseignement et ses écrits avant la fondation de son école, il n'est pas surprenant que les savants se soient imaginé qu'avec les traités, sa pensée avait atteint une forme ultime et qu'ils les aient considérés comme son expression systématique et définitive. Dans ce système, la place supérieure et suprême semblait revenir à la métaphysique, la pure science de l'être qui, couronnant l'édifice scientifique, englobait toutes les sciences particulières, dominant tout et rapportant tout à elle, comme une matière et une prémisse.

Nous savons, grâce à la récente découverte de l'ouvrage de Didyme, qu'Aristote reprit son enseignement immédiatement après 347, et que sa première manifestation indépendante eut lieu alors qu'il était encore à Assos. Ce que nous apprenons de son activité pendant ces années témoigne d'un nouveau désir d'exercer une large influence sur le public. Mais la même époque témoigne également de la persistance ininterrompue de sa relation intime avec les problèmes de Platon et avec les élèves de ce dernier, au milieu desquels il continue à vivre et à enseigner. Comme nous l'avons vu, son départ de l'école d'Athènes n'était en aucun cas une rupture avec la communauté académicienne en tant que telle; et ce serait du reste une idée inconcevable et contradictoire de supposer qu'après être demeuré un véritable disciple tant que son maître était vivant, il ait rompu avec lui dès l'instant de sa mort. Au contraire, son développement revêtit de plus en plus la forme publique qui avait toujours caractérisé la personnalité et l'influence de Platon. Il fonda des écoles et sema les graines de la philosophie en divers endroits. Il prit part aux affaires politiques, comme l'avait fait Platon, et eut de l'influence dans les cours des gouvernants les plus puissants de son époque. Parmi ses élèves, il commença alors à compter des hommes d'importance notable.

Il est a priori vraisemblable que cette époque fut également celle de la première expression publique de sa critique de Platon, dans la mesure où il dut alors professer la philosophie platonicienne en son nom propre et avec la responsabilité d'une interprétation personnelle. Partant de là, il nous faut tenter de pénétrer plus avant dans le mystère obscur de ces années décisives, au cours desquelles il parvint à la première formulation générale de son point de vue propre. Nous découvrons qu'entre l'étape première, dogmatiquement platonicienne, de son évolution, et la forme ultime de sa pensée dans sa maturité, il y eut une période de transition dont la nature peut, sous de nombreux aspects particuliers, être déterminée avec netteté; une période au cours de laquelle il critique, réorganise et se détache lentement; une période auparavant totalement négligée, qui se distingue clairement de la dernière forme de sa philosophie, en même temps qu'elle en révèle l'entéléchie sur tous les points essentiels. L'avantage d'examiner cette période n'est pas simplement d'obtenir un tableau du développement graduel de ses principes. C'est seulement lorsque nous saurons ce qu'il souligne au fur et à mesure que les années se succèdent, ce qu'il supprime et ce qu'il introduit de nouveau, que nous pourrons nous représenter clairement les forces déterminantes qui ont travaillé à l'élaboration en lui d'une nouvelle conception du monde.

Au début de cette évolution, je place le dialogue Peri; filosofiva" (Sur la Philosophie). Il est généralement compté parmi les premiers écrits1 qui ont revêtu la forme dialogue, mais son contenu doctrinal est manifestement un produit de la transition. Les nombreux fragments qui en subsistent, dont certains sont tout à fait substantiels, rendent la tentative de reconstitution moins hasardeuse que pour la plupart des autres ouvrages perdus. Ici encore, nous devrons entrer dans les détails de l'interprétation pour tirer l'essentiel de notre matière. Jusqu'à présent, ce dialogue a été très peu compris. Du point de vue de son style, de son contenu et de son intention, il a joué un rôle exceptionnel dans le développement d'Aristote.

Ce dialogue a été expressément mentionné comme ayant critiqué la doctrine des nombres-idéaux; et il s'agit en fait de l'unique ouvrage littéraire dont nous savons avec netteté que ses contenus étaient anti-platoniciens. La critique faisait apparemment partie d'une réfutation générale de la doctrine des Idées, car elle ne traite pas seulement de l'opinion de Speusippe selon laquelle les nombres mathématiques sont des substances indépendantes, mais de la forme ultime que Platon avait donnée à sa doctrine, selon laquelle les Idées étaient des nombres. «Si les Idées étaient une autre espèce de nombre, et non pas les nombres mathématiques, nous ne saurions en avoir aucune compréhension. Car qui, du moins parmi la majorité d'entre nous, peut comprendre qu'il existe un nombre d'une autre espèce2?» Syrianus nous a conservé ces mots tirés du deuxième livre du dialogue. Le personnage qui parle est Aristote lui-même, protestant et se moquant tout à la fois, et exprimant son embarras au sujet de la doctrine.

Il me semble qu'on peut retrouver la même attitude dans un autre fragment critique de la doctrine des Idées, dont l'origine, bien que n'étant pas nettement attestée, est plus que probable. Il s'agit du passage, cité par Proclus et Plutarque à partir d'une source commune, afin de prouver qu'Aristote a attaqué Platon dans les dialogues aussi bien que dans les traités3. Dans la mesure où la tradition ne nous informe de l'existence d'une critique de Platon dans un dialogue que pour le Peri; filosofiva", et dans la mesure où la critique non identifiée s'accorde étonnamment bien avec l'attitude qui se manifeste dans le fragment tiré explicitement de ce dialogue, il serait bien compliqué de ne pas rapporter les deux fragments au même ouvrage, particulièrement dans la mesure où le simple titre de cet ouvrage, inhabituellement programmatique en tant que dialogue, suggère un examen complet des problèmes fondamentaux de la philosophie. Ici encore, c'est Aristote en personne qui parle. Nous ne connaissons pas les termes exacts qu'il a employés, mais les deux fragments conservent l'expression du changement significatif qui s'est opéré en lui : il ne peut plus accepter la théorie des Idées, même si l'on devait penser qu'il ne le fait que par esprit de contradiction. Cette protestation éclaire de façon encore plus évidente que l'autre fragment le fait que dans sa présentation du conflit irréductible d'opinions, Aristote représentait ce qui était la situation réelle. Il n'y a pas d'issue dans une telle alternative. Finalement, il fait appel au respect que tous les chercheurs doivent avoir pour toute conviction honnête et raisonnée. Il se défend avec énergie contre l'interprétation erronée et maligne que son opinion vient seulement de raisons personnelles, une interprétation qui n'avait pu manquer d'être présente dans le milieu de l'Académie. Cette interprétation fut manifestement l'une des raisons pour lesquelles il a publié sa critique qui, sans aucun doute, avait déjà été exprimée depuis un certain temps parmi les platoniciens. A partir du moment où il déclarait à tous ne pouvoir faire autrement que maintenir sa position, il ne lui importait plus beaucoup de reconquérir la bienveillance des «amis» anciens avec lesquels il n'était plus désormais en accord et il ne se justifiait plus que devant le public4.

Si nous pouvons en juger à partir du titre et des fragments, le dialogue était aussi particulier dans la forme que du point de vue du contenu. Cicéron, lorsqu'il invoque Aristote pour justifier sa propre manière de faire, nous raconte que ce dernier apparaissait dans ses propres dialogues et conduisait la discussion. Nous avons montré, cependant, que cela n'a vraisemblablement eu lieu que dans un petit nombre de dialogues, et en fait seulement dans le Politique et dans le Sur la Philosophie5. Dans ce dernier, l'importance de la présence d'Aristote en tant que personnage du dialogue est sûrement liée à la nature programmatique de l'ouvrage, au fait qu'il s'agit d'une espèce de manifeste personnel. Le titre suggère un traité assez systématique, et les fragments qui en subsistent confirment cette suggestion. Sans aucun doute, un partisan de l'opinion platonicienne y faisait un long discours opposé à la position d'Aristote. Cicéron nous dit en outre qu'Aristote avait l'habitude d'écrire un préambule séparé pour chacun des livres de ses dialogues lorsqu'ils en comprenaient plusieurs ; nous pouvons en conclure que chaque livre constituait un tout, comme dans les dialogues de Cicéron6. Ainsi, tant du point de vue de la forme que du point de vue du contenu, cet ouvrage est une étape intermédiaire entre les premiers ouvrages platoniciens d'Aristote et les traités, et son esprit se rapproche des derniers.

La date de sa composition est indiquée par la relation entre cette critique de la doctrine des Idées et celle du premier livre de la Métaphysique. L'un des quelques points que l'on peut fermement établir au sujet de la chronologie des traités est le suivant: peu après la mort de Platon, Aristote a tenté de manière improvisée et géniale de tirer de la masse des discussions qui s'étaient tenues au sujet des Idées au sein de l'Académie, certains résultats fondamentaux, et d'élaborer sur leur base les grandes lignes de sa nouvelle philosophie, sous la forme d'un platonisme renouvelé; l'introduction de cette première ébauche se trouve dans le premier livre de la Métaphysique7. Or il est inconcevable que la critique contenue dans le dialogue Sur la Philosophie, qui était adressée au public et formulée sous une forme littéraire, soit apparue avant cet examen ésotérique ; la publication du Sur la Philosophie n'a pas été la première étape, mais bien la dernière. Dans l'intérêt de l'Académie, Aristote a dû éviter aussi longtemps que possible la publication des controverses intérieures à l'école sur les questions logiques et métaphysiques, que seul un petit nombre de personne pouvait juger; et les fragments qui subsistent prouvent qu'il ne s'y est résolu que parce qu'il devait se défendre. Il s'ensuit que le dialogue fut écrit en même temps que la critique des Idées du premier livre de la Métaphysique, ou peu de temps après, et certainement après la mort de Platon. Aristote ne monte pas seulement à la tribune philosophique avec une critique destructive, mais aussi avec une opinion qui lui est propre. Jusqu'à ce qu'Andronicos publie la Métaphysique, ce dialogue est demeuré la principale source d'information sur les opinions philosophiques générales d'Aristote dans le monde antique, et c'est de ce dialogue que les stoïciens et les épicuriens ont tiré leur connaissance d'Aristote. Ils durent cependant se contenter d'un Aristote qui n'avait pas achevé son évolution intellectuelle.

Il a commencé par l'évolution historique de la philosophie. Il ne s'est pas confiné, comme il l'a fait dans la Métaphysique, aux philosophes grecs depuis Thalès, qui manifestent une continuité réelle et qui étaient de purs chercheurs, procédant sans présuppositions non démontrées le long de lignes précises. Contrairement à ce qu'il a fait dans la Métaphysique, il s'est tourné vers l'Orient et a évoqué avec intérêt et respect ses très anciennes et grandioses créations. Dans le premier livre de la Métaphysique, il loue brièvement les prêtres égyptiens pour les services qu'ils ont rendus aux mathématiques et pour l'exemple de vie philosophique contemplative qu'ils ont donné aux Grecs. Cependant, dans son dialogue, il remonte aux temps les plus reculés (en s'en tenant à sa propre conception de la chronologie) et parle des Mages et de leurs enseignements8. Vinrent ensuite les vénérables représentants de la plus ancienne sagesse hellénique, les théologiens, comme il les appelle ; puis, les doctrines orphiques, et sans aucun doute, Hésiode, bien qu'il n'apparaisse pas dans les fragments; et finalement la sagesse des proverbes, attribuée traditionnellement aux Sept Sages, dont la conservation était l'affaire particulière du dieu de Delphes. Cela lui donna l'occasion de mentionner le culte apollinien ancien. Il mérite d'être noté qu'Aristote fut le premier successeur de Platon à abandonner l'attitude méprisante de ce dernier envers les sophistes. Il redonna à ce nom sa juste signification de terme honorifique; et il eut la pénétration historique de mettre les Sept Sages à la tête de cette succession d'intelligences supérieures, dont l'influence sur le développement de la pensée grecque lui semblait si importante qu'il l'inclut dans l'histoire de la sagesse philosophique9.

L'ensemble de ces faits a été examiné minutieusement de manière critique et disposé selon un certain ordre. À propos de la religion orphique, Aristote a posé la question de l'authenticité des compositions en hexamètres qui subsistent et il a combattu l'opinion selon laquelle Orphée a été un poète et qu'il ait écrit des vers. Il distinguait entre les pensées religieuses et la forme sous laquelle elles ont été ensuite transmises, situant correctement cette mise en forme à une période relativement tardive, vers la fin du sixième siècle. Telle est l'origine de l'opinion, encore partagée aujourd'hui, selon laquelle Onomacrite, le théologien de cour auprès des Pisistratides, qui s'intéressaient à la mystique orphique, avait mis en circulation la mystification du poème contenant la doctrine orphique10. Aristote a également fait des recherches sur l'antiquité du proverbe : Gnw`*i seautovn, «Connais-toi toi-même», inscrit au fronton du temple de Delphes. Il chercha à déterminer sa date au moyen de l'histoire de l'édifice11. De manière semblable, au lieu d'admirer naïvement l'ancienneté immémoriale de la sagesse égyptienne et de la religion iranienne, il tenta de les situer de la manière la plus précise possible dans le temps12.

Cette construction chronologique rigoureuse n'est pas le produit d'une simple curiosité pour les choses anciennes: elle repose sur un principe philosophique. Aristote enseigne que les mêmes vérités ne surgissent pas dans l'histoire humaine une ou deux fois, mais reviennent indéfiniment13. Dans ce but, il a commencé à recueillir les proverbes grecs, en pensant que ces préceptes empiriques, brefs et frappants, sont des vestiges d'une philosophie antérieure à l'écriture, et se sont conservés oralement, à travers tous les changements dans l'esprit du peuple, à cause de leur brièveté et de la fécondité de leur contenu. Il a saisi avec un regard pénétrant la valeur des proverbes et de la poésie proverbiale pour l'étude des origines de la réflexion morale. Le travail minutieux de recherche nécessaire à un tel recueil, qui devait paraître au Grec cultivé un travail vulgaire et mécanique, lui attira le mépris ouvert des cercles proches d'Isocrate14. En examinant l'ancienneté de la maxime delphique Gnw`*i seautovn, il tenta de déterminer la question de savoir lequel des Sept Sages pouvait en être l'auteur. À partir de ses arguments concernant l'histoire de l'édifice, Aristote résolut la controverse, assez vaine, concernant son auteur avec un jugement, digne de Salomon, selon lequel la maxime est plus ancienne que Chilon et n'est d'aucun des Sept Sages, mais a été révélée par la Pythie elle-même. Le point de l'argument devient clair lorsque nous prenons en compte le propos de Plutarque selon lequel Aristote soutenait, «dans les ouvrages platoniciens», que Gnw`*i seautovn est le plus divin des préceptes de Delphes et que ce fut ce même précepte qui donna à Socrate l'impulsion de sa recherche. L'expression particulière : ejn toi`" platwnikoi`" [dans les ouvrages platoniciens], est analogue à l'expression ejn toi`" swkratikoi`" [dans les ouvrages socratiques], qui désigne les dialogues socratiques de Platon ; elle doit concerner la forme et non le contenu, et désigner de fait les dialogues platoniciens d'Aristote. La relation qui est établie ici entre l'ancienne maxime delphique et la recherche socratique nouvelle d'une connaissance morale est plus à sa place dans le dialogue Sur la Philosophie qu'en nul autre. C'est en fait un exemple qui vient à l'appui de la doctrine du retour infini de toutes les opinions philosophiques tout au long de l'histoire. Ainsi, Socrate devint celui qui avait retrouvé le principe éthique de la religion apollinienne et, comme Aristote a tenté de le montrer par l'histoire de la visite de Socrate à Delphes, ce fut dans ce sanctuaire de l'ancien oracle qu'il reçut l'impulsion extérieure conduisant à ses recherches sur toutes les exigences morales de son temps15.

La liaison ainsi découverte entre la religion et la philosophie court dans l'ensemble du dialogue. Dans l'Apologie, Platon avait déjà évoqué la mission apollinienne de Socrate ; ici, la doctrine des cycles est utilisée pour l'élargir et en faire une renaissance de la sagesse delphique. L'apollinisme et le socratisme sont les deux foyers de l'évolution éthique du peuple grec. La recherche de l'origine de la religion orphique doit avoir eu la même signification. Aristote n'avait aucun doute concernant l'existence réelle d'Orphée ; il a souligné le caractère tardif de la formulation de la doctrine par écrit seulement afin de remplacer le versificateur et pourvoyeur d'oracles de l'époque des Pisistrates par un prophète authentique de l'antiquité grecque. Il était certain que les poèmes orphiques étaient d'origine tardive; rien n'empêchait cependant leur doctrine religieuse d'être d'une haute antiquité (cf. Wilamowitz, Glaube der Hellenen, II, 196 A. 3). Ce qui a poussé Aristote à s'enquérir de la date de son origine fut sans doute le récent retour de cette doctrine sous une forme plus spiritualisée dans la doctrine platonicienne de l'au-delà et sa doctrine mythique de l'âme.

On peut trouver un autre exemple de cette méthode dans le fragment suivant. Dans son Histoire Naturelle, Pline dit (30, 3): «Eudoxe, qui souhaitait que l'on pensât que la plus fameuse et la plus salutaire des sectes philosophiques était celle des Mages, nous raconte que ce Zoroastre a vécu six mille ans avant la mort de Platon. Aristote dit la même chose.» Nous savons qu'Eudoxe, l'astronome et ami de Platon, s'était intéressé à la science orientale et égyptienne lors de son séjour dans ces pays. Il rapporta en Grèce la science traditionnelle qu'il avait recueillie chez les représentants d'un monde encore plus ou moins proche des Hellènes.

A cette époque, l'Académie était le centre d'un très grand intérêt pour l'Orient. Cet intérêt est d'une grande importance, qui n'est aucunement suffisamment reconnue, en tant que préparation de l'expédition d'Alexandre et du rapprochement consécutif de l'esprit grec et de l'esprit asiatique. Nous ne pouvons connaître que très partiellement les voies par lesquelles les influences orientales pénétrèrent en Grèce. Nous savons par un fragment d'une liste d'étudiants de l'Académie conservée sur un papyrus d'Herculanum, qu'un Chaldéen a été un membre régulier de l'école16. Cela s'est passé, à ce qu'il semble, pendant la dernière décade de la vie de Platon. D'autres traces d'influences orientales apparaissent à la même époque. Par exemple le parallèle établi dans l'Alcibiade Majeur entre les quatre vertus de Platon et l'éthique de Zarathoustra, et la théologie astrale, considérée comme la plus haute sagesse par l'élève et le secrétaire de Platon, Philippe d'Oponte, dans son appendice aux Lois. Pour recommander les nouvelles opinions religieuses qu'il annonce solennellement «aux Grecs», Philippe d'Oponte invoque explicitement des sources orientales17. Ces tendances ont indubitablement leur origine au temps où Eudoxe se trouvait à l'Académie, bien que les matériaux à notre disposition ne nous permettent pas d'apprécier à sa pleine mesure l'influence considérable qu'il a exercée sur les platoniciens. Elles sont liées en partie à l'admiration de l'Académie pour l'astronomie chaldéenne et «syrienne» et pour leur connaissance empirique très ancienne des mouvements célestes, dont l'Académie a tiré le calcul des révolutions et la connaissance des sept planètes, une connaissance qui apparaît pour la première fois en Europe chez Philippe d'Oponte. En partie encore, ces tendances sont liées à l'attraction pour le dualisme religieux des Parsis, qui semblait apporter un appui à la métaphysique dualiste du vieux Platon. La mauvaise âme du monde, qui s'oppose à la bonne dans les Lois est un hommage à Zarathoustra, qui attira Platon à cause de la phase mathématisante, que connut finalement sa théorie des Idées, et à cause de l'extrémisme du dualisme de cette doctrine orientale18. A partir de cette époque, l'Académie s'intéressa vivement à Zarathoustra et à l'enseignement des Mages. L'élève de Platon, Hermodore, examina la religion astrale dans sa Mathématique (Peri; ma*hmavtwn) ; il en dériva par étymologie le nom de Zarathoustra, en déclarant que ce nom signifie «adorateur des étoiles» (ajstro*uvth")19.

Tout cela est à l'origine de l'intérêt d'Aristote pour les Mages dans le dialogue Sur la Philosophie. D'autres membres de l'Académie avaient déjà tenté de déterminer l'époque de Zarathoustra. Hermodore, par exemple, l'avait situé 5000 ans avant la chute de Troie. Les recherches de ce platonicien étaient encore la principale autorité sur la question lorsque le savant alexandrin Sotion écrivit son histoire des écoles philosophiques. À côté d'Hermodore, il fit mention de la suggestion de Xanthos, selon laquelle Zarathoustra avait vécu 6000 ans avant l'invasion de Xerxès20. La datation établie par Aristote et Eudoxe, telle que nous la rapporte Pline, diffère des autres dates traditionnelles par son singulier point de départ du calcul. Si nous comparons en effet « 6000 ans avant la mort de Platon » avec d'autres calculs partant de la chute de Troie ou de l'expédition de Xerxès (et plus tard de celle d'Alexandre), il devient manifeste que cette façon de calculer ne vient pas de la commodité chronologique mais du désir de relier Zarathoustra et Platon comme deux phénomènes historiques essentiellement semblables. Le point fondamental dans cette comparaison, et qui fait de manière particulière l'intérêt de l'extension temporelle déterminée entre les deux, calculée en millénaires, est évidemment la conception, avancée dans le Peri; filosofiva", de la nécessité naturelle et du retour périodique de toute vérité humaine. Or, dans un fragment que l'on sait appartenir au premier livre de ce dialogue, Aristote parle de l'enseignement des Mages, à savoir du dualisme iranien, et affirme que selon une telle conception il existe deux principes, un bon démon et un mauvais démon, Ormuzd et Ahriman; et il identifie ces deux démons aux divinités grecques Zeus et Hadès, le dieu de la lumière céleste et le dieu de l'obscurité chtonienne. Il est naturel de supposer que la même considération animait Aristote dans le fragment où il fait un parallèle entre Zarathoustra et Platon21. Cette supposition devient une certitude si nous nous tournons vers le seul autre passage où il fait mention des Mages, situé dans l'une des parties les plus anciennes de la Métaphysique, qu'il nous faut dater, pour d'autres raisons, de l'époque de l'écriture du Peri; filosofiva". Ici encore, le sujet est le dualisme platonicien. Aristote mentionne, comme les plus anciens précurseurs de cette opinion, Phérécyde en Grèce, et les Mages en Asie22. L'enthousiasme de l'Académie pour Zarathoustra était comme une drogue, quelque chose de semblable à l'enthousiasme de Schopenhauer lorsqu'il découvrit la philosophie indienne. La conscience historique que l'école avait d'elle-même, se trouva exaltée du fait que le prophète oriental avait déjà révélé des milliers d'années auparavant, aux hommes de l'Orient, la doctrine platonicienne du bien comme principe divin du Tout.

Le nombre 6000 confirme cette explication. Nous savons par Théopompe, qui le tenait peut-être d'Eudoxe en personne, que la génération d'Eudoxe et d'Aristote connaissait le grand cycle de la religion iranienne et du drame cosmique de la lutte entre Ormuzd et Ahriman23. Ormuzd et Ahriman règnent tour à tour (ajna; mevro"), chacun 3000 ans. Pendant 3000 autres années, ils se combattent, et chacun tente de blesser l'autre et d'anéantir ce qu'il a accompli. Finalement, le bon démon l'emporte. La longueur de ce drame eschatologique est diversement estimée dans la tradition iranienne, parfois à 9000 ans (telle est apparemment le calcul auquel se conforme la source de Théopompe), et parfois à 12000 ans. L'importance de chaque acte de 3000 années du cycle cosmique varie en conséquence. Pour cette raison, les moyens à notre disposition ne nous permettront peut-être pas de déterminer sans ambiguïté les moments précis où sont censés apparaître Zarathoustra et Platon24; mais ce n'est certainement pas un accident si le nombre 6000, qui est selon Aristote et Eudoxe le nombre des années qui sépare les deux personnages, est divisible par 3000. Zarathoustra et Platon sont manifestement deux étapes importantes dans le mouvement du monde vers son but ultime, le triomphe du bien.

La raison principale de l'attribution du fragment de Pline au premier livre du dialogue Peri; filosofiva" est qu'il ne peut être pleinement compris que dans ce contexte. Mais dans la mesure où Rose l'a situé parmi les fragments de l'ouvrage apocryphe Magicov", sans que la raison en soit visible, il peut être bon de dissiper ne serait-ce que l'ombre du doute qui, de ce fait, pourrait affecter son authenticité25. Pline n'a pas tiré cette information du livre Sur les Mages d'Apion, comme le suppose sans fondement Rose, mais de l'ouvrage érudit d'Hermippe, le disciple de Callimaque, qui porte le même titre. La ligne suivante, il indique sans possibilité d'erreur Hermippe comme sa source, et il admire la richesse de ses informations avec une naïveté d'autant plus justifiée que la sienne laisse particulièrement à désirer. Ce n'était pas Pline, mais Hermippe qui a consulté Aristote et Eudoxe. Nous pouvons confirmer ce point en comparant le passage avec le fragment 6, un propos concernant les Mages qui est clairement reconnu comme appartenant au premier livre de Peri; filosofiva". Ce fragment vient également d'Hermippe, et ici encore, il mentionne Eudoxe et Aristote comme ses sources. Nous présentons les deux extraits l'un à côté de l'autre.

Il est évident qu'Hermippe a utilisé deux fois les mêmes sources pour les informations concernant les Mages, à savoir la Description de la Terre (Perivodo") d'Eudoxe et le dialogue Peri; filosofiva" d'Aristote. Il doit les avoir cités exactement à chaque fois. Diogène conserve en entier cette citation; mais Pline, comme souvent, se contente de nommer les auteurs sans citer les ouvrages. Le fragment de Pline s'adapte parfaitement à la théorie des cycles et aux discussions chronologiques du premier livre du Peri; filosofiva", qui contenait d'autres propos sur les Mages ; par conséquent, ce fragment devra désormais être inclus parmi les fragments de ce dialogue. La position parallèle de Platon et de Zarathoustra dans le cycle ne donne pas l'impression d'avoir été inventée au cours de la vie de Platon. Elle ne se trouvait certainement pas dans la Description de la Terre d'Eudoxe, qui mourut longtemps avant lui. L'originalité d'Eudoxe tient uniquement en ce qu'il date Zarathoustra «d'il y a 6000 ans». Ce fut Aristote qui, poussé par sa doctrine du retour périodique de toutes les connaissances humaines, a le premier relié particulièrement la datation d'Eudoxe au retour du dualisme et donné ainsi à Platon une importance adaptée à sa propre et profonde vénération. Il ne peut subsister de doute que le dialogue dans lequel il projette ainsi la lumière des siècles sur son maître a été écrit après la mort de ce dernier27.

La théorie du retour de la vérité à intervalles déterminés suppose que les hommes sont incapables de la conserver de manière permanente dans leur conscience une fois qu'il l'ont connue. Cependant, cela ne signifie pas que le genre humain ne puisse jamais se maintenir pendant une longue période à une telle hauteur et que pour cela il perde continuellement à nouveau y compris des vérités connues depuis longtemps. La théorie reposait sur l'opinion selon laquelle la connaissance transmise par la tradition, et en fait la civilisation dans son ensemble, étaient périodiquement détruites par des phénomènes naturels violents, ce qui n'était pas autre chose que la doctrine platonicienne des catastrophes appliquée à l'histoire de la philosophie. Bywater a donné des raisons convaincantes de croire que cette doctrine apparaissait dans les dialogues d'Aristote28. Dans le Timée, il est suggéré que toutes les plus anciennes traditions des Grecs ont été anéanties par des événements naturels de nature violente. Des mythes tels que celui de Phæton et celui du Déluge y sont interprétés comme des vestiges de ces événements dans la mémoire des hommes. La même méthode d'interprétation est appliquée aux plus anciens souvenirs de la civilisation dans les Lois, tout comme Aristote, dans la Métaphysique, explique les histoires des dieux comme des vestiges, déformés par la tradition, d'une phase antérieure de sa propre théorie des mouvements des sphères29. Assurément, cette procédure rationaliste n'aurait pu surgir dans le cerveau imaginatif de Platon. Elle porte la marque de la science ionienne, et elle vient sans doute d'Eudoxe en personne, et l'on peut également penser qu'il en est de même pour la théorie des cataclysmes. Aristote en fit librement usage. Par exemple, dans les Météorologiques, il s'appuie sur la tradition mythique pour affirmer l'existence préhistorique de l'hypothèse de l'éther, alors qu'il est lui-même l'inventeur de cette notion30. D'un autre côté, Eudoxe n'est certainement pas l'auteur de l'opinion selon laquelle tous les faits de l'esprit reviennent périodiquement. Cela fait seulement ressortir plus clairement l'effet de la science naturelle contemporaine sur la pensée des hommes, sur l'histoire de la civilisation, sur leur utilisation des mythes, et sur leur conception de l'esprit humain, qui, comme la nature et les forces de la nature, fait surgir toujours à nouveau ce qui gît caché à l'intérieur de lui.

En représentant Platon, dans le premier livre, comme un homme dépassant les siècles, protégé de toute misérable contradiction, et comme le point culminant de toute l'évolution philosophique antérieure, Aristote a donné la perspective convenable à la critique qui allait suivre. Le deuxième livre se caractérisait par une critique radicale des Idées. Le troisième présentait sa propre vision du monde : une cosmologie et une théologie; comme le deuxième, il revêtait entièrement la forme d'une critique de Platon, pour la simple raison qu'il s'appuyait à chaque pas sur lui. Ses contenus généraux sont exposés par l'Épicurien du dialogue de Cicéron De Natura Deorum. Pour l'essentiel, Aristote adoptait la théologie astrale des dernières années de Platon. Tel devait être, selon lui, le point de départ de la métaphysique maintenant que la théorie des Idées était ruinée. Platon pensait que derrière le mythe astral de ses dernières années gisait le monde supra-sensible des Idées, dont les cieux visibles étaient la copie. Cependant, Aristote se souciait exclusivement de l'aspect cosmologique de ce monde double (comme, mais il est vrai d'une autre manière, cet autre élève de Platon que fut Philippe d'Oponte dans l'Epinomis). De cette manière, il devint le véritable fondateur de la religion cosmique de la philosophie hellénistique, qui, se délivrant des croyances populaires, recherchait ses objets de culte uniquement dans les corps célestes. Les fils reliant d'un côté la religion astrale d'Aristote et l'Académie, et de l'autre la théologie stoïcienne avec les premières opinions d'Aristote, n'ont pas encore été mis en évidence. En particulier, l'importance d'Aristote sur ce point n'a pas été clairement reconnue, parce que les savants se sont trop exclusivement appuyés sur les traités, qui étaient totalement inconnus à l'époque hellénistique.

Selon l'exposé critique qui se trouve conservé dans Cicéron, provenant de quelque source épicurienne également utilisée par Philodemos, Aristote, dans son troisième livre du Peri; filosofiva", aurait déclaré une première fois que dieu était l'esprit, une autre fois que c'était le monde, une autre encore que c'était l'éther, et enfin que c'était quelque autre être, auquel le monde était subordonné, et qui dirigeait son mouvement par un genre de rotation rétrograde (replicatione quadam)31. En prenant comme critère la doctrine épicurienne, le critique découvrait d'importantes contradictions dans ces propos; mais si superficiel que puisse être son jugement, on ne peut douter de l'exactitude de l'exposé en tant que tel. Le dieu auquel le monde est subordonné est le moteur immobile transcendant, qui dirige le monde en tant que cause finale, en raison de la perfection de sa pensée pure. Tel est le noyau originel de la métaphysique d'Aristote. Par ailleurs, Aristote caractérise l'éther comme un corps divin, ou comme un corps plus divin, comme il le fait dans les traités; il ne l'appelle certainement pas dieu32. La divinité de l'éther ne semble pas convenir parfaitement à un monothéisme rigoureusement transcendant, mais en-dessous du moteur immobile se trouvaient les astres, divinités à la matière éthérée. Il n'y a pas de contradiction réelle dans le fait qu'Aristote nomme dieu ici le monde et ailleurs l'éther, c'est-à-dire d'abord le Tout, puis une partie. Le «monde» ne désigne pas ici ce qu'entendent les épicuriens par ce mot, à savoir le concept hellénistique du cosmos vivant, plein de créatures vivantes et englobant tout, mais les cieux, la simple périphérie de la sphère. Tel était le sens que l'ancienne Académie donnait à ce mot, comme le montre également l'Epinomis. Dans cet ouvrage, il est dit qu'il est indifférent que nous appelions le plus haut des dieux, qui est le ciel, Ouranos ou Olympos ou Cosmos. Dans un autre passage, nous lisons que la caractérisation la plus vraie de dieu est Cosmos33.

L'influence du dernier Platon sur le dialogue Peri; filosofiva" ne se limitait pas à la terminologie. Les traits principaux de la théologie y correspondent également presque parfaitement à celle de l'Epinomis. Il faut remarquer que l'Épicurien, qui cherche les points faibles, ne dit rien du tout sur les cinquante-cinq dieux-sphères de la métaphysique plus tardive. Dans ce dialogue, manifestement, Aristote n'avait pas encore adopté cette notion.

Cela est confirmé par un propos du Pseudo-Philon dans l'ouvrage Sur l'éternité du monde. Il y est affirmé qu'Aristote accusa les philosophes, qui avaient déclaré que le monde avait eu un commencement et aurait une fin, d'être d'effroyables athées (deinh;n aj*eovthta), parce qu'ils impliquaient par là que ce grand dieu visible (tosou`ton oJrato;n *eovn) n'était pas meilleur que n'importe quel objet artisanal. Il y appelait le cosmos un Panthéon comprenant le soleil, la lune, les étoiles fixes et les planètes. Il y remarquait, en se moquant, que, tandis que jusqu'ici il avait craint que sa maison pourrait s'écrouler sous les seules forces d'une tempête ou du temps ou d'une construction mal faite, il fallait aujourd'hui qu'il se préoccupât du risque que le monde entier pût s'écrouler un jour selon les hypothèses de ces philosophes qui le détruisaient déjà avec leurs seules paroles34.

Nous connaissons bien ce ton. Lorsqu'Aristote attaque l'opinion des physiciens concernant la fin du monde, son ironie est mordante. Le ton qu'il adopte est nettement plus doux et plus respectueux lorsqu'il rejette la présentation platonicienne de la création du monde dans le Timée -- car c'est à elle qu'il renvoie lorsqu'il évoque l'image d'un objet fait de main d'homme. Nous retrouvons ici le même ton personnel que celui de la critique des Idées dans le deuxième livre. Dans le troisième livre aussi, comme le récit de Cicéron nous l'apprend, Aristote exposait sa cosmologie en relation polémique constante avec Platon. Cela doit valoir en premier lieu pour la doctrine selon laquelle le monde est éternel, car c'est sur ce point qu'il diverge le plus de Platon35. Et dans la mesure où le passage ne vient d'aucun des traités qui nous restent, et dans la mesure où il provient indubitablement d'un dialogue si nous considérons son style, la seule source possible que l'on puisse proposer pour lui est le dialogue Peri; filosofiva". C'est cet ouvrage, aujourd'hui perdu mais très largement lu dans l'Antiquité, qui contenait les deux opinions philosophiques alors considérées comme les plus caractéristiques d'Aristote : l'adoption de l'éther comme l'élément céleste et l'affirmation selon laquelle le cosmos est indestructible et incréé. Les doxographes mentionnent couramment les deux opinions ensemble comme ses innovations personnelles à la cosmologie platonicienne, avec une pleine exactitude.

En fait, en dépit de divergences sur des questions ponctuelles, la doctrine du dialogue, en ce qui concerne les conceptions positives d'Aristote, est encore totalement platonicienne. Cela vaut surtout pour la fusion de la théologie et de l'astronomie. L'imputation d'athéisme, dirigée contre les partisans d'opinions astronomiques non orthodoxes, vient des Lois de Platon. Dans ce dialogue, Platon avait transformé la science astronomique, qui apparaissait auparavant comme la plus athée de toutes les sciences, en théologie36. Le fait que le passage susmentionné de Philon emploie également le mot «cosmos» dans le sens de «ciel» s'accorde avec le récit de Cicéron. La doctrine du cosmos «englobant en soi» le soleil, la lune et les étoiles, n'est en fait qu'un reflet de la cosmologie du Timée (30d) : «La divinité, voulant rendre ce monde semblable aux plus beaux et plus parfaits des êtres intelligibles, fabriqua un unique animal visible englobant en soi tous les autres animaux d'une nature apparentée.» Il est vrai que, pour Aristote, les cieux ne sont plus l'image visible de la plus haute Idée, qui contient en soi toutes les autres Idées et l'ensemble du cosmos intelligible. Le monde des Idées n'est plus, tout comme le démiurge qui avait fabriqué le monde visible les yeux fixés sur celui des Idées. Mais cela augmente d'autant la dignité religieuse et métaphysique de l'image, c'est-à-dire des corps célestes et du cosmos lui-même comme unité visible du monde, seules garanties empiriques de l'exigence platonicienne qu'il existe quelque chose de permanent et de durable dans le flux du devenir. L'expression «dieu visible» est elle-même platonicienne ; et la comparaison des cieux à un panthéon englobant tous les dieux particuliers, bien que ces paroles ne soient peut-être pas d'Aristote mais de Philon, est aristotélicienne en intention et elle réapparaît dans l'Epinomis, lorsque le ciel est caractérisé comme l'Olympe37. L'ancien Olympe cède ainsi la place au pressentiment qu'il existe du divin dans le cosmos, et le mot symbolise ainsi ce changement décisif dans l'histoire de la religion grecque. Les astres sont des êtres vivants, rationnels, habitant le cosmos dans une beauté et une immuabilité divines. C'est la théologie de l'époque hellénistique et de l'Antiquité tardive, dont les traits principaux se trouvent chez Platon.

Dans la métaphysique ultérieure d'Aristote, comme on sait, le principe du moteur immobile est tiré de son isolement: un moteur transcendant particulier est attribué à chacune des sphères, lequel est à l'origine des apparentes progressions, rétrogradations et stagnations des corps célestes. Il n'y a pas trace de cette opinion dans notre dialogue. Le moteur immobile plane au-dessus des autres dieux, sans corps et séparé du monde en tant que pure Forme. De lui dépend l'unité du monde. Cependant, les astres et les cieux ont en eux des âmes et ils suivent spontanément et consciemment leurs propres lois. Cette théorie des âmes immanentes aux astres exclut l'autre manière d'expliquer leurs mouvements. Les causes des mouvements célestes avaient été longuement examinées dans l'Académie. Dans les Lois, Platon évoque trois hypothèses comme raisonnables, sans choisir nettement en faveur de l'une ou de l'autre. Elles sont censées valoir pour tous les corps célestes sans distinction. Ou bien il nous faut penser les astres comme des corps dotés d'âmes à l'intérieur (pour Platon l'âme est le principe du mouvement spontané), ou bien l'âme, ne se trouvant pas à l'intérieur de l'astre, devient elle-même un corps extérieur de feu ou d'air et propulse l'astre en avant, ou bien enfin l'âme n'a pas du tout de corps, mais dirige le mouvement de l'étoile «par quelque pouvoir extraordinaire et merveilleux»38. La propre théorie de Platon est vraisemblablement celle des âmes immanentes, car c'est celle qui s'adapte le mieux à la fois à son opinion selon laquelle l'âme est le principe de tous les mouvements et à la simplicité concrète et l'énergie vitale de sa pensée. Il caractérise la deuxième hypothèse comme «l'opinion de certaines personnes» (lovgo" tinw`n), sans doute des astronomes ; cela fait penser aux sphères d'Eudoxe, mais il semble difficile qu'il ait admis si tôt l'existence des âmes des sphères. L'âme sans corps de la troisième hypothèse est manifestement un ei\do" transcendant, qui meut l'étoile en tant que cause finale, à la manière dont l'aimé attire l'amoureux. C'est le principe même du moteur immobile: la puissance merveilleuse dont parle Platon peut être pensée comme semblable à l'attirance des choses sensibles pour l'Idée et à l'o[rexi" d'Aristote.

Il demeurera sans doute toujours impossible pour nous de déterminer si ce fut Aristote en personne ou quelque autre membre de l'Académie qui conçut pour la première fois la théorie du moteur immobile et l'appliqua au problème du mouvement des astres. Le caractère commun de leurs études nous empêche de discerner la part précise de chacun. Du point de vue de son esprit, c'est une notion platonicienne, c'est-à-dire une notion qui n'aurait pu surgir spontanément, et qui n'a pu apparaître que dans le cadre de l'univers intellectuel de Platon, quel qu'ait pu être celui qui, le premier, a eu l'intelligence de l'inventer. Aristote ne l'utilise que pour le principe suprême, qui est distinct du monde dans une immuabilité totale; les astres et les cieux, d'un autre côté, sont mus par des âmes immanentes. Nous le savons non seulement grâce au passage de Philon, mais encore et surtout grâce aux arguments aristotéliciens que Cicéron nous a conservés, et qu'il nous faut maintenant examiner. Selon Platon, l'une des trois hypothèses doit être vraie pour tous les mouvements célestes sans distinction. Le fait qu'Aristote réunisse la première et la troisième est peut-être le signe qu'il n'a été l'inventeur ni de l'une ni de l'autre.

Dans le deuxième livre de son ouvrage sur les dieux, Cicéron nous donne des preuves de leur existence tirées de Cléanthe, de Chrysippe, de Xénophon, et plusieurs tirées d'Aristote, qu'il n'a manifestement pas découvertes par ses propres lectures mais qu'il tire d'une compilation antérieure de telles preuves39. Dans la plupart des preuves, ce qui avait déjà été prouvé est répété purement et simplement. Même la collection de preuves ne devait pas s'appuyer sur les textes originaux, pas plus que la collection d'arguments en faveur de l'existence des dieux utilisée par Sextus, qui est largement semblable à celle-ci du point de vue de son contenu40. Il ne faut donc pas prendre pour argent comptant les informations fournies par Cicéron, bien qu'elles soient authentiques du point de vue de leur substance. On peut démontrer ces deux points à partir de la toute première preuve. Tous les éléments donnent naissance à des choses vivantes, la terre à certaines, l'eau à d'autres, l'air à d'autres. Par suite, il semble absurde à Aristote de supposer qu'il n'existe pas de choses vivantes dans l'élément qui, par sa pureté et sa puissance de mouvement, convient le mieux à leur production, à savoir l'éther. Or, dans la région éthérée, nous trouvons les astres. Par conséquent, on peut présumer que les astres sont des êtres vivants à l'intelligence aiguë et au mouvement extrêmement rapide.

On a justement ressenti l'exigence d'attribuer cet argument au dialogue Peri; filosofiva", mais il ne saurait y être apparu sous cette forme. Nous avons vu que dans cet ouvrage Aristote soutenait déjà la doctrine de l'éther comme cinquième élément. Or, la preuve qui nous est conservée par Cicéron n'en présuppose que quatre. Elle ne saurait appartenir à une période antérieure à l'introduction du cinquième, et par conséquent elle ne saurait être attribuée à aucun ouvrage antérieur d'Aristote ; il s'agit en fait d'une adaptation de sa preuve à la théorie stoïcienne des éléments, qui est elle-même un compromis entre l'opinion traditionnelle et l'opinion aristotélicienne, compromis dans lequel le feu et l'éther étaient considérés comme un seul et unique élément. La seule chose que l'autorité stoïcienne de Cicéron reproduit correctement est le caractère analogique du raisonnement. Aristote commençait par la validité inconditionnelle de la proposition selon laquelle il existe des êtres vivants dans chaque élément dont nous pouvons avoir une expérience. Il en conclut qu'il existe aussi des êtres vivants dans l'éther, bien que cet élément ne s'offre pas directement à une enquête scientifique. Le sens originel de la preuve doit par conséquent avoir été le suivant: dans la mesure où l'on peut démontrer qu'il y a des choses vivantes dans tous les éléments, certains dans la terre, certains dans l'eau, d'autres dans l'air, d'autres encore dans le feu, il faut nécessairement qu'il y en ait également dans l'éther. Or les astres sont dans l'éther. Par conséquent, il existe des êtres vivants dans l'éther. Cela était déjà suggéré dans le Timée (39e), où les quatre éléments sont peuplés de multiples espèces d'êtres divins. L'Epinomis tient compte de cette théorie de l'éther, qui avait surgi entre-temps, en supposant cinq genres de dieux élémentaires au lieu des quatre du Timée ; mais l'auteur de l'Epinomis montre, par l'ordre même dans lequel il place les éléments, que son intention n'est pas de suivre implicitement Aristote, mais, dans un esprit conservateur, d'adapter son hypothèse nouvelle à celle du Timée. Selon Aristote, l'éther est situé dans le lieu le plus élevé du monde; puis viennent le feu, l'air, l'eau et la terre. Philippe d'Oponte maintient le feu dans le lieu le plus élevé; puis viennent l'éther et l'air, puis l'eau et la terre; ainsi, le seul changement introduit dans la doctrine de Platon est qu'à la place de l'air, dont la strate la plus élevée et la plus pure avait déjà été appelée «éther» par Platon lui-même41, nous avons maintenant deux éléments séparés42. Ainsi l'auteur de l'Epinomis, tout en s'appropriant la théorie de l'éther, évite intentionnellement le point véritablement essentiel de l'argumentation aristotélicienne. Cette argumentation, à la différence de celle de Platon, ne vise pas à démontrer l'existence de dieux ou d'êtres démoniques imaginés de manière mythique, mais elle est conçue comme une preuve expérimentale rigoureuse, et elle présuppose qu'Aristote pensait pouvoir démontrer empiriquement l'existence des animaux qui vivent dans le feu. Aussi tardivement que dans l'Historia Animalium, il s'intéressait encore aux insectes qui étaient supposés voler à travers le feu sans dommages, et parlait d'observations faites sur de telles créatures dans l'île de Chypre43. Cependant, le passage le plus significatif se trouve chez Apulée, qui n'est pas inclus dans les fragments et qui attribue expressément à Aristote la doctrine des zw~/a purivgona [animaux nés du feu]. Il vaut la peine d'examiner plus exactement le problème, non pas pour l'amour des merveilleux habitants du feu, mais pour la ligne d'histoire intellectuelle qu'il nous permet de suivre.

Dans son ouvrage sur le démon de Socrate, Apulée a un argument qui est superficiellement semblable à celui d'Aristote, mais qui en diffère en fait complètement, tant du point de vue de son but que de ses présupposés. Dans la mesure où il existe des êtres vivants dans la terre et dans l'eau, et dans la mesure où dans le feu («comme le dit Aristote») il existe des créatures qui sont nées dans cet élément et qui y demeurent continuellement ; et enfin dans la mesure où il existe également des êtres vivants dans l'éther, à savoir les astres -- dont le fait qu'ils possèdent une âme était devenu entre-temps une opinion établie au point que l'on pouvait en parler comme un fait d'expérience --, il s'ensuit qu'il existe des êtres vivants également dans l'air, bien qu'ils soient invisibles: les esprits aériens44. Les seuls éléments aristotéliciens de cet argument sont ceux qu'Apulée, à la suite de sa source, attribue directement à Aristote, c'est-à-dire les animaux nés du feu. Que ce ne fut pas Apulée mais l'autorité à laquelle il se conforme qui ait remodelé l'argument, plusieurs passages de Philon le montrent, dans lesquels la même inférence se trouve avec la même insistance sur la preuve de l'existence d'esprits de l'air, c'est-à-dire les anges. Philon remarque, également entre parenthèses, que ces animaux nés du feu doivent se trouver en Macédoine. En d'autres termes, il évite que ses lecteurs puissent connaître sa source païenne, et nomme le pays au lieu de nommer l'homme45. Cette correspondance entre deux auteurs séparés par une longue période de temps montre que quelque philosophe stoïcien, vivant avant l'époque chrétienne ou avant Philon, a changé le véritable argument d'Aristote et l'a transformé de preuve de la divinité du cosmos qu'il était en preuve de l'existence des anges. Les deux formes sont complètement et désespérément confondues dans le passage parallèle de Sextus46. Sans faire de recherches plus détaillées sur la question de savoir à qui attribuer la transformation, nous pouvons nous contenter du fait qui seul nous intéresse au sujet de l'argument aristotélicien transmis par Cicéron : à savoir qu'à l'origine, les animaux habitants du feu et les cinq éléments y étaient évoqués et que leur omission vient seulement de l'intermédiaire stoïcien47.

En tout cas, le concept des animaux du feu et l'ensemble de l'argumentation doivent provenir d'un seul dialogue. Il est impossible de rapporter le passage d'Apulée, comme le font néanmoins ses commentateurs, aux insectes qui traversent le feu de l'Historia Animalium, parce que le point essentiel, qui est requis pour l'argumentation du Peri; filosofiva", à savoir le fait que ces animaux sont nés dans le feu et y séjournent constamment, ne se trouve que dans Apulée et dans Philon, et non dans l'Historia Animalium. Il s'agit encore une fois ici d'une citation de cet écrit d'Aristote qui fut utilisé plus que tout autre par les philosophes et les doxographes de l'époque hellénistique.

Il est également possible de montrer comment la forme originelle de l'argument a influencé toute la littérature traitant de l'éternité du monde, dont la genèse commence avec le Peri; filosofiva". Nous pouvons suivre pas à pas le processus par lequel cette littérature a tiré ses armes de l'arsenal de ce dialogue. Nous avons déjà mentionné sur ce point l'ouvrage traditionnellement attribué à Philon sur l'éternité du monde, qui utilise non seulement Aristote, mais également d'autres bons auteurs péripatériciens comme Théophraste et Critolaos. Depuis la parution du livre d'Aristote, la philosophie stoïcienne avait vu le jour, avec sa doctrine selon laquelle le cosmos est perpétuellement anéanti et réengendré, et l'opinion péripatéticienne exigeait d'être défendue contre les arguments du Portique. À cause de la présence de cet élément chez cet auteur, qui vécut au début de l'ère chrétienne et qui partageait la tendance contemporaine à harmoniser Platon et Aristote, la forme des arguments, qu'il utilisait sans mentionner leur origine, a été très altérée, et nous n'avons aucunement le droit d'attribuer à Aristote tout ce qui se trouve parmi les fragments qui nous en restent. D'un autre côté, tout comme Rose omet les animaux du feu d'Apulée et de Philon, il omet, parmi les fragments du présent ouvrage, un argument qui, tout en n'étant pas lui-même aristotélicien, est néanmoins formulé en un vocabulaire emprunté à l'argument «zoogonique» d'Aristote -- pour employer l'expression de l'Epinomis. Tandis que, selon notre hypothèse, Aristote a argumenté par analogie des créatures vivantes présentes dans les éléments connus à l'existence d'âmes des astres dans l'éther, le pseudo-Philon présuppose cela et fait de l'argument une arme contre le caractère transitoire du monde. Si toutes les créatures vivantes qui séjournent dans les régions correspondant aux différents éléments doivent un jour disparaître, celles qui se trouvent sur la terre comme celles qui sont dans l'eau, celles de l'air et celles du feu (purivgona), alors il s'ensuit, kat ajnalogivan [par analogie], que les cieux, le soleil, la lune, et tous les astres (c'est-à-dire les êtres vivants de l'éther) sont également voués à la destruction. Mais cela s'oppose à leur divinité, sur laquelle repose entièrement leur éternité48. Il est évident que nous nous trouvons ici devant un amalgame de deux arguments classiques tirés du Peri; filosofiva" d'Aristote. L'inférence de la divinité du ciel à son éternité est appliquée de manière mécanique à tous les corps célestes par une imitation verbale du passage dans lequel Aristote appelait le ciel oJ tosou`to" oJrato;" *eov" [ce grand dieu visible]49, que le pseudo-Philon caractérise comme oJ tosou`to" aijs*htw`n *ew`n eujdaivmwn to; pavlai nomis*ei;" stratov" [cette grande et bienheureuse armée de dieux visibles connue depuis longtemps]. De cette manière, l'auteur combine l'argument zoogonique selon lequel si dans les quatre éléments connus, tous les êtres vivants finissent par disparaître, il faut par analogie qu'il en soit également ainsi dans l'éther. La logique, qui n'est décidément pas son point fort, n'est pas améliorée par une telle modification. Il s'agit en fait d'un verbalisme dépourvu de sens et d'un simple truisme, incompréhensible tant que nous ne voyons pas qu'il est en train d'essayer de faire quelque chose d'apparemment nouveau et d'original à partir des arguments célèbres qu'il trouve dans sa source. Cependant, il nous rend le service de confirmer la présence du raisonnement par analogie dans l'argumentation aristotélicienne, que nous avons retrouvée en nous penchant sur Cicéron. Le fait que dans d'autres parties de son ouvrage, où il utilise manifestement une source stoïcienne, il ne reconnaît que quatre éléments, rend son témoignage d'autant plus fort50.

Il était impossible de distinguer la forme authentique originelle des multiples altérations et ajouts introduits au cours de la tradition sans examiner les effets historiques du dialogue. En ce qui concerne les arguments en faveur de la divinité des astres qui sont cités ensuite par Cicéron, et qui semblent être étroitement liés à l'argument précédent, le problème de distinguer la forme originelle des ajouts ou des transformations ultérieures n'a été posé pour la première fois que récemment. On a pensé que seul le dernier argument (§ 44) était aristotélicien, qui est en fait expressément caractérisé comme tel51. Les mots qui l'introduisent: nec vero Aristoteles non laudandus est in eo, quod... indiquent clairement un lien avec celui qui précède, mais en cas de nécessité, il est possible de les comprendre l'un et l'autre comme renvoyant au premier, qui était pareillement expressément attribué à Aristote. Le matériau intermédiaire appartiendrait alors à un autre auteur, et aurait été inséré ici simplement du fait de sa ressemblance avec les arguments d'Aristote. On a pensé y reconnaître la théorie de Posidonius sur la chaleur, et assurément, étant donné ce qui a été dit à propos du premier argument, on ne peut exclure la possibilité d'une coloration stoïcienne. Mais les divers arguments forment une série si bien disposée selon une progression graduelle, que nous ne devons pas les séparer si ce n'est pas indispensable. Voici quelle est la ligne générale de l'argumentation.

En premier lieu, il est montré que l'éther ne peut être le seul élément privé d'êtres vivants; par suite, les astres qui s'y trouvent doivent être des êtres vivants; et, tout en conservant la subtilité et la mobilité de l'éther, ils doivent être des organismes vivants dotés d'une très haute intelligence et d'une très grande vitesse. Pour étendre cette relation entre les éléments et le caractère des êtres qui y vivent, la relation entre la qualité intellectuelle des astres et les puissances vitales de l'éther correspond à la relation entre l'intelligence et le tempérament de l'homme et la nourriture et les conditions climatiques de son lieu de résidence. Là où l'air est pur et subtil les habitants sont plus intelligents et pensent plus vite et de manière plus précise que ceux qui vivent dans une atmosphère épaisse et lourde. La même chose vaut pour les effets de la lumière et d'une nourriture lourde sur l'esprit humain. Dans la mesure où par conséquent ils vivent dans la région de l'éther, qui est le plus subtil de tous les éléments, et dans la mesure où ils sont nourris par les exhalaisons de la terre et de la mer, qui sont réduites à une subtilité extrême au cours de leur passage dans le grand espace intermédiaire, les astres doivent posséder une intelligence extrêmement élevée. L'exactitude de ce raisonnement est confirmée par un fait d'expérience externe, à savoir l'ordre inviolable et la régularité sans faille de leurs mouvements. Cela ne saurait être le produit de la nature, dans la mesure où la nature ne se comporte pas comme un être rationnel conscient; cela ne peut pas non plus être expliqué par le hasard, car la conformité constante à un ordre exclut les caractères d'approximation et de changements imprévisibles qui sont constitutifs du hasard. Il faut par conséquent que cela soit le produit d'une intention consciente et d'un dessein intérieur. Avec l'argument final, cette ligne de pensée culmine dans la démonstration que, tout comme leur ordre et leur constance impliquent la raison et le dessein, ainsi le caractère circulaire de leur mouvement implique une réelle volonté libre, puisque le mouvement naturel des corps est toujours en ligne droite vers le haut ou vers le bas, et puisqu'on ne trouve ici aucune force supérieure externe.

Dans le premier argument, Cicéron attribue expressément à Aristote l'affirmation selon laquelle, dans la mesure où l'on trouve des êtres vivants dans tous les autres éléments, il est absurde de supposer qu'il n'y en a pas également dans l'éther, qui est en outre «le plus approprié» à la génération des êtres animés. Selon Aristote, le pneu`ma [souffle] de la vie est analogue à l'élément des astres, qui contient sous sa forme la plus pure la chaleur qui est essentielle à la vie52. Dans cet argument, le vitalisme de la prétendue doctrine stoïcienne de la chaleur a son origine dans la doctrine aristotélicienne du pneu`ma, qui fut le germe historique de l'opinion stoïcienne. La théorie selon laquelle les astres sont mus par des âmes est soigneusement développée jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes. Le sérieux avec lequel l'argument prend l'opinion à moitié mythique de Platon, et l'applique rigoureusement aux catégories de la psychologie, de la zoologie et de la physique, montre que son auteur est le jeune Aristote. Il est assez respectueux, et assez lié à l'intention dogmatique de Platon pour ne pas mettre en doute la réalité d'une telle opinion, mais plus grand est le sérieux avec lequel il l'envisage et la rigueur logique avec laquelle il la reprend, plus rapide sera le processus qui le conduira à s'en libérer. Platon est encore l'auteur de la théorie selon laquelle le climat et le régime alimentaire influencent le corps et l'esprit de l'homme; et l'expression de cette théorie ici est littéralement identique à un passage des Lois. L'Epinomis découvre une liaison causale entre la constitution matérielle des créatures terrestres et l'irrationalité et le désordre de leurs mouvements, et entre la matière éthérée des astres et leur beauté physique et leur perfection spirituelle. Ou bien cela reflète l'opinion générale de l'Académie, ou bien il s'agit d'un emprunt à l'ouvrage de jeunesse d'Aristote, qui a été publié juste avant l'Epinomis53.

Le dialogue Peri; filosofiva" développe l'analogie de manière plus approfondie: les astres sont entourés de l'atmosphère la plus pure. Leur nourriture est constituée des exhalaisons de la terre et de la mer -- Aristote utilise ici cette doctrine physique déjà ancienne et qu'il abandonnera plus tard, afin d'appuyer son opinion sur les êtres célestes et leurs processus physiologiques. Cléanthe a emprunté cette théorie à ce dialogue, ainsi que l'ensemble de la théologie de jeunesse d'Aristote, et lui a donné une place dans le Portique54.

L'Epinomis contient également l'argument en faveur de l'existence des âmes des astres fondé sur la régularité des mouvements célestes, un peu plus longuement exposé, mais avec une moindre puissance dialectique ; et là, comme chez Aristote, cet argument est directement lié à l'argument «zoogonique». Cette correspondance qui n'avait jusqu'ici pas été remarquée nous contraint à en inférer que Philippe d'Oponte et Aristote ont l'un et l'autre énoncé la doctrine alors prédominante dans l'Académie55. Sa formulation par Aristote fut directement suggérée par Platon. Dans les Lois, au début de l'argument selon lequel les astres ont des âmes, nous lisons que certains disent «que toutes les choses deviennent, sont devenues, et deviendront, certaines par nature, certaines par art, et certaines par hasard». Les éléments et les choses qui en dérivent -- la terre, le soleil, la lune et les astres -- dépendent tous de la nature et du hasard pour leur existence, mais aucun ne vient à l'existence par un art délibéré, ils sont donc totalement dépourvus d'âmes56. Les physiciens que Platon attaque ici entendaient par nature la même chose qu'Aristote dans ces arguments (car il utilise ici leur division tripartite et les réfute avec leurs propres armes), à savoir un agrégat de matière sans esprit ni âme. Platon, au contraire, fait de l'âme le principe fondamental du devenir et requiert par conséquent une nouvelle conception de la nature57. Il y a cependant des passages innombrables dans Aristote où ce concept inférieur de la nature, qui lui avait été familier, est utilisé sans hésitation ; dès l'argument suivant, par exemple, la tendance du feu et de l'air à s'élever, et celle de la terre et de l'eau à descendre, sont caractérisées comme des mouvements naturels. La division de tout devenir en naturel, hasardeux et intentionnel, se trouve également dans son Protreptique. La méthode de l'argument, à savoir l'établissement d'une possibilité par l'élimination de toutes les autres, est liée à la dialectique de la division propre au dernier Platon et elle est caractéristique d'Aristote.

La même méthode est utilisée dans le dernier argument, qui est le même que le précédent, mais plus fin, et dont il est expressément dit qu'il vient d'Aristote. Tout mouvement est produit, ou bien par la nature, ou bien par la violence, ou bien par la volonté libre. Tant qu'il est naturel, le mouvement des corps s'effectue toujours en ligne droite vers le haut ou vers le bas, et non en cercle comme le mouvement des corps célestes. On ne peut pas non plus expliquer ce mouvement circulaire par la force externe, car quelle force pourrait être plus grande que celle de ces corps eux-mêmes ? La seule possibilité subsitante est que ces corps se meuvent par la volonté libre. Ce raisonnement a lui aussi un parallèle dans l'Epinomis où il est fait mention d'une délibération très parfaite (ajrivsth bouvleusi") chez les âmes des astres58. Tel est le fondement de la nécessité inaltérable à laquelle obéissent les révolutions des astres. Leur perfection consiste dans le fait que le mouvement circulaire, voulu et contemplé simultanément par l'âme de l'astre, est la forme mathématique idéale. Cet acte de volonté ne peut jamais s'altérer, parce que toute véritable perfection exclut la tendance à se détériorer. Ainsi, la volonté de l'astre est la condition nécessaire de la loi que l'esprit de l'astre impose à sa matière59. Dans cette mesure, la notion aristotélicienne de la volonté libre est le complément exact de la notion de la délibération la plus parfaite qui se trouve dans l'Epinomis ; il s'agit là de deux parties inséparables d'une seul et même construction intellectuelle60. La doctrine selon laquelle les astres se meuvent de leur propre volonté, contredisant manifestement les opinions ultérieures d'Aristote, a contraint ceux qui nient son évolution à élaborer les conjectures ad hoc les plus désespérées. On dit ainsi que Cicéron a tout simplement grossièrement mal compris l'autorité sur laquelle il se fondait61. Il est inutile de réfuter en détail ces conjectures aventureuses ; notre analyse de la théorie des âmes des astres semble avoir montré clairement que, même si cette étape intermédiaire dans l'évolution du philosophe n'était pas si incontestablement attestée, nous serions pratiquement contraints de la reconstruire dans son entier a priori à partir des traités particuliers.

Le dernier argument apporte également un aperçu profond sur la genèse de la physique céleste d'Aristote, c'est-à-dire sur sa doctrine de l'éther. Nous avons montré plus haut que la notion de l'éther était déjà présupposée dans le dialogue. On pourrait presque d'ailleurs en douter dans la mesure où, dans ce dialogue, il ne qualifie de «naturels» que les mouvements des corps lourds vers le bas et des corps légers vers le haut en ligne droite, tandis qu'il déduit le mouvement circulaire des astres non pas de leur composition matérielle, mais de leur propre volonté libre. Inversement, il nous apprend dans le De Cælo qu'il existe cinq éléments et qu'un type particulier de mouvement est propre à chacun d'eux, le mouvement vers le bas à l'eau et à la terre, le mouvement vers le haut au feu et à l'air, et le mouvement circulaire à l'éther62. Il caractérise expressément ce dernier comme le corps qui se meut en cercle, en faisant ainsi de cette propriété une propriété essentielle de l'éther. Ici encore, ceux qui nient l'évolution du philosophe sont poussés à recourir, en désespoir de cause, à l'expédient qui consiste à réduire l'exposé du dialogue Sur la Philosophie à de la simple poésie63. Mais les arguments sont bien trop pénétrants et sérieux pour qu'il en soit ainsi, et apparemment on n'a pas remarqué que les deux opinions sont mutuellement exclusives. La dérivation du mouvement circulaire de la nature matérielle de l'éther révèle l'intention d'expliquer tous les phénomènes du mouvement quels qu'ils soient par les lois naturelles de la matière ; mais cela ne peut se faire qu'au moyen d'une physique double, terrestre et cosmique, cette dernière ne connaissant pas la loi terrestre de la gravitation. Seule la physique moderne a récemment aboli ce type de physique en partie double. En tout cas, elle constitua une amélioration scientifique de la procédure de l'Académie et d'Aristote dans sa jeunesse, qui avait fait un exposé anthropomorphiste de la relation entre la loi mathématique et la matière inerte des astres en introduisant des analogies psychophysiques -- l'Epinomis a même attribué des fonctions législatives à la volonté des astres64. Nous voyons maintenant que le dessein originel de l'introduction de l'éther doit avoir été quelque chose d'autre que de dériver les mouvements célestes de la nature de la matière des astres, dans la mesure où l'hypothèse de l'éther existait déjà avant qu'on lui attribue le caractère du mouvement circulaire. Ce qui lui donna pour la première fois naissance fut manifestement les calculs nouveaux et précis, entrepris par l'école d'Eudoxe et par Philippe d'Oponte, sur la taille et la distance du soleil, de la lune et des autres corps célestes. Ces calculs rendirent insoutenable la théorie physique ancienne selon laquelle les cieux supérieurs et les astres sont entièrement composés de feu ; en considération de la petitesse de la terre et de l'étendue indéfinie de l'espace cosmique, la proportion équilibrée des éléments a été détruite par la masse du feu, puisqu'en fait tous les autres éléments auraient été consumés par lui. Ainsi, les nouvelles découvertes firent éclater la théorie de la transformation réciproque des éléments et avec elle une des bases de la cosmologie de l'époque65. Plus tard, Aristote utilisa cette même hypothèse de l'éther pour édifier une physique cosmique sans âmes des astres ni additions mythiques. Nous possédons maintenant l'opinion ultérieure pleinement développée dans le premier livre du De Cælo, qui commence de manière impressionnante par la nouvelle théorie de l'éther; il n'est pas trop exagéré cependant d'affirmer que cet exposé a subi d'autres altérations, et que sous sa forme première, il appartient à la période où la notion de l'éther était nouvelle. En faveur de cela, on peut dire que dans son contenu, il porte presque entièrement sur la dernière cosmologie de Platon et critique seulement le fait que des parties de cette cosmologie sont encore tout à fait de coloration théologique, et que de larges portions sont reprises mot à mot du troisième livre du dialogue Peri; filosofiva".

La doctrine des divinités astrales et de la divinité du cosmos (c'est-à-dire du ciel), qui sont pour la première fois exposées entièrement dans ce dialogue d'Aristote constituent, avec la cosmologie de Platon dans son ensemble, l'expression permanente de la puissante stimulation intellectuelle que les nouvelles découvertes astronomiques ont donnée au monde philosophique du quatrième siècle. L'hypothèse selon laquelle les mouvements planétaires sont circulaires et parfaitement ordonnés et la configuration originelle de l'ensemble du ciel revient périodiquement lorsque la Grande Année66 est accomplie, projeta la lumière la plus surprenante sur le principe fondamental de Platon selon lequel les phénomènes matériels du monde sensible sont contrôlés par l'esprit et l'ordre, et elle fut le point de départ de relations fructueuses entre la philosophie et l'étude des faits. La doctrine des âmes astrales fut la première tentative pour illustrer sur une grande échelle la «domination de la raison» sur la matière. Cette opinion allait bien au-delà des besoins de la pure science naturelle, mais son mythe de l'âme ouvrit des perspectives insoupçonnées pour la tendance à édifier une conception du monde. Il est clair que pour Platon la partie importante de la doctrine était son élément mythique et spirituel. D'un autre côté, pour le premier Aristote, l'attrait de cette doctrine reposait sur le fait que la spéculation, dont l'esprit humain ne peut perpétuellement éviter les problèmes insolubles, pouvait ici se fonder sur des faits empiriques solides, même s'il s'agissait de faits qui admettaient plus d'une explication. Ainsi, alors que les opinions de l'un et de l'autre coïncidaient sur le contenu, le cadre rigoureux de l'argumentation d'Aristote faisait souffler un esprit scientifique nouveau, selon lequel tous les mythes, quoique débordant de valeur émotionnelle, sont simplement des matériaux pour une recherche méthodique. Cet esprit se révèle de la manière la plus claire dans son désir positivement insatiable de démonstration. Si nous comparons l'exposé de l'Epinomis, dans lequel la doctrine de Platon est acceptée dogmatiquement et dans lequel on s'abandonne totalement au goût de l'édification religieuse et du mystère, nous percevons encore plus clairement que, devant le mythe platonicien, le choix est entre, d'un côté la répétition scolastique et de l'autre la science critique. Platon lui-même s'était compris de cette manière, et il a accordé à ses élèves le droit d'appliquer ce critère réaliste à lui-même, lorsqu'il introduisit son mythe comme une hypothèse parmi plusieurs autres possibles67. Mais quel grand penseur s'est jamais compris correctement? La vieille controverse concernant la question de savoir si Aristote a compris Platon fait preuve d'une absence totale d'intelligence. Il semble se tenir sur le même terrain et ne s'opposer à lui que pour parvenir à une meilleure connaissance ; mais sa victoire ne consiste pas à le réfuter mais à imposer la marque de sa propre nature sur tout élément platonicien qu'il rencontre.

Il en est de même de la deuxième partie principale du dialogue, à savoir la philosophie de la religion ; car dans cet ouvrage, Aristote n'a pas seulement fondé la théologie hellénistique68, mais aussi une étude simultanément sympathique et objective de la vie religieuse intérieure pour l'étude de laquelle l'Antiquité n'avait pas de nom ni aucune discipline indépendante, la métaphysique mise à part. Elle n'a pas revendiqué son indépendance jusqu'à ce que l'époque moderne lui donnât le nom de «philosophie de la religion». Il s'agit là d'un autre aspect du premier Aristote, qui, en dépit de son inestimable importance pour l'histoire de l'esprit humain, a été négligé ou ignoré jusqu'à nos jours -- peut-être parce que cela aurait pu déranger la représentation conventionnelle d'Aristote, qui en fait un métaphysicien purement intellectualiste si l'on s'était aperçu que ses opérations dialectiques étaient inspirées de l'intérieur par un vif sentiment religieux, dont toutes les parties de l'organisation logique de sa philosophie étaient pénétrées et informées. L'histoire de la philosophie de la religion, au sens moderne de l'expression, commence avec les sophistes et leurs premières grandes tentatives de fournir une explication psychologique de la nature et de l'origine de la religion. Cependant, le rationalisme ne peut jamais avancer trop loin sur cette voie, parce qu'il est dépourvu de l'organe permettant de percevoir de manière appropriée les phénomènes de la vie religieuse. Par suite, la philosophie de la religion n'a pas connu sa période classique jusqu'au temps du premier Aristote et de l'Académie platonicienne tardive. Alors étaient réunies les deux conditions essentielles pour une étude simultanément psychologique et religieusement féconde -- d'un côté une pénétration théorique de tous les phénomènes de l'esprit, de l'autre, une piété, née de l'imagination créatrice de mythes et symbolique de Platon, qui ouvrit de nouvelles sources d'inspiration religieuse à une communauté ayant déjà bouleversé toutes les valeurs de la vie. C'est un fait que, bien que l'histoire conventionnelle de la philosophie puisse l'ignorer, presque toutes les notions de la philosophie de la religion ultérieure et contemporaine viennent de cette communauté.

La question principale portait sur les sources naturelles et sur la justification théorique de notre certitude interne concernant les objets de la religion; en d'autres termes, elle portait sur la réalité du divin. Pour la conscience religieuse naïve, ce problème n'en est pas un. Il ne le devient que lorsque la foi populaire a disparu, et que la science a été précisément orientée vers le domaine des représentations religieuses. Vient ensuite l'époque des preuves de l'existence de Dieu. En fait, après l'extinction rapide de l'enthousiasme triomphant qui animait la critique, extinction liée au travail même de dissolution rationaliste, le sentiment religieux, banni et cependant indéracinable, rechercha aide et appui auprès de son propre vainqueur. Les arguments de Xénophon en faveur de l'existence de dieu surgissent à partir de ce besoin de l'aide du rationalisme. Or, Platon, dans ses périodes initiale et intermédiaire, n'avait pas adopté une attitude objective et théorique sur la question telle qu'elle est impliquée dans l'existence d'une philosophie de la religion. Il se préoccupait de créer de nouveaux mondes, auxquels on ne pouvait accéder que par un acte de contemplation dévote. L'Idée du Bien n'était pas seulement un idéal éternel de l'État, mais encore le symbole d'une nouvelle conscience de dieu. Elle était elle-même la religion. Avec la philosophie de Platon, la religion entrait ainsi dans l'étape spéculative et la science dans celle de la création d'idées religieuses. Il n'y a pas chez lui de réflexion sur les racines de la foi et sur sa compatibilité avec la science naturelle, avant ses dernières années. Dans la théologie de sa vieillesse, la pensée dominante est celle de la priorité de l'âme sur le corps, et de l'esprit et de la loi sur la matière aveugle. La conception ionienne de la nature comme causalité mécanique cède le pas à l'opinion selon laquelle tout dérive de forces spirituelles et selon laquelle, une fois de plus, «tout est plein de dieux»69.

La première véritable preuve de l'existence de Dieu apparaît dans la philosophie du jeune Aristote. Dans le troisième livre du Peri; filosofiva", il déduit pour la première fois l'existence d'un être suprême à partir d'arguments de forme syllogistique rigoureuse, et donne ainsi au problème la forme apodictique nette qui a continuellement suscité le zèle des penseurs religieux, dans tous les siècles ultérieurs, à entreprendre de nouvelles tentatives pour rendre notre expérience de l'ineffable visible aux yeux de l'entendement. « On peut considérer que dans tout domaine où règne une hiérarchie de degrés, et donc une approximation plus ou moins grande de la perfection, il existe nécessairement quelque chose d'absolument parfait. Or, étant donné que dans tout ce qui est une telle gradation de choses plus ou moins parfaites se manifeste, il existe donc un être à la supériorité et à la perfection absolue, et cet être peut bien être dieu70.» Nous tombons ici sur la racine de l'argument ontologique, il est vrai lié, conformément à l'esprit de la physique d'Aristote, à l'argument téléologique. Dans toute série d'objets comparables, manifestant des différences de degrés de valeur, il existe également une chose ayant une perfection ultime ou maximale, même lorsqu'il ne s'agit pas d'une série purement pensée, mais de la série réelle de degrés de perfection qui existe dans la réalité. Dans la nature, qui pour Aristote est une forme agissant de l'intérieur et une finalité créatrice, tout est gradation : toute chose inférieure est liée à une autre plus élevée qui lui est supérieure. Pour lui, cet ordre téléologique est une loi de la nature et peut être démontré empiriquement. Il s'ensuit que dans le domaine des choses existantes, c'est-à-dire parmi les Formes réelles de la nature, il existe une chose à la perfection ultime, qui doit naturellement être aussi une Forme réelle, et qui, en tant que cause finale la plus élevée, est le principe de tout le reste. C'est ce que signifie la dernière phrase, selon laquelle l'être le plus parfait serait identique à la divinité. Dans la conception aristotélicienne de la nature en tant que règne de Formes strictement hiérarchisées, cet argument est valable; et il évite l'erreur, commise ultérieurement, de supposer que l'existence de l'être le plus parfait est un prédicat impliqué dans le concept même de perfection, de telle sorte qu'il pourrait être tiré de ce concept, de manière purement analytique, sans l'aide de l'expérience. La Forme de toutes les Formes réelles doit nécessairement être elle-même réelle. Lorsque Aristote identifie cette forme au divin, il ne prouve pas bien entendu par-là même la vérité de la notion populaire de dieu. Il ne fait que donner une nouvelle interprétation de cette notion qui, comme toute chose humaine, est sujette au changement, dans l'esprit de la conception téléologique du monde. Sans aucun doute, le dialogue contenait également les arguments que nous connaissons bien par les traités, celui tiré de l'éternité du mouvement et celui tiré de la nécessité de supposer une limite à la série des causes afin d'éviter une régression à l'infini. Ce fut la première grande tentative pour rendre susceptible d'un traitement scientifique le problème de Dieu, en fondant dialectiquement des inférences cohérentes sur une interprétation rigoureuse de la nature. Les circonstances imposèrent cette tâche à Aristote, mais seul le plus grand architecte logique de tous les temps a pu oser résumer l'ensemble du résultat de ses efforts immenses en ces quelques phrases simples. La seule chose que nous ne devons pas faire, ce serait de les séparer de sa physique et de les examiner isolément. Elles sont la conclusion nécessaire d'un système naturaliste élaboré dans le détail sur le principe de la hiérarchie des Formes et elles nous permettent d'être sûrs que la physique d'Aristote était déjà achevée en principe au temps où il écrivit ce dialogue. Il suit de là qu'elle fut conçue alors qu'il vivait encore dans l'ambiance de l'Académie.

Aristote a également examiné dans cet ouvrage les sources psychologiques de la croyance en Dieu, non pas à cause d'une froide curiosité scientifique, mais afin que d'autres puissent éprouver ce dont lui-même avait fait l'expérience. Il était ainsi bien conscient que même la logique la plus talentueuse ne peut jamais parvenir à cette force irrésistible de conviction intime qui surgit des pressentiments inspirés de l'âme71. Personne dans l'Antiquité n'a jamais parlé avec autant de beauté et de profondeur de l'aspect personnel et émotionnel de toute vie religieuse qu'Aristote au cours des années où la religion était dans son esprit le problème central. Dans le dialogue Peri; filosofiva", lorsqu'il se préparait à examiner la divinité des astres, il évoqua le sentiment de crainte respectueuse en présence de ce qui est supérieur aux hommes. Il reconnut qu'une quiétude intérieure est l'essence de toute dévotion religieuse72. Tout comme nous ne nous risquons pas à entrer dans un temple tant que nos sentiments ne sont pas apaisés, ainsi, déclare-t-il, à chaque fois que nous faisons des recherches sur la nature des astres, nous devons pénétrer avec piété dans le temple du cosmos. Sans doute ces mots étaient-ils destinés à préparer l'accusation d'athéisme qu'il lancera ensuite contre ceux qui niaient que les cieux et les astres fussent divins et indestructibles73. Vers la fin de son ouvrage Sur la Prière, il écrit : «Dieu est, ou bien le nou`", ou bien quelque chose de supérieur au nou`".» Pourquoi écrire un livre sur la prière, sinon pour montrer que nous ne devons pas penser indigne d'un philosophe d'adresser des prières à la divinité pourvu qu'il soit intimement convaincu que Dieu est nou`" ou plus élevé que toute raison, et qu'un mortel ne peut l'approcher que grâce au nou`"74? Ni Schleiermacher, ni Kant n'ont distingué plus nettement entre la foi et la connaissance, entre le sentiment et l'entendement, que l'initiateur la formulation classique des arguments spéculatifs en faveur de l'existence de Dieu : «On ne demande pas à ceux qui sont sur le point d'être initiés de saisir toutes choses avec l'entendement (ma*ei`n), mais d'avoir une certaine expérience intime (pa*ei`n), et ainsi d'avoir une certaine attitude de l'esprit, en présumant en premier lieu qu'ils sont capables de cette attitude75.» Il n'est pas fortuit qu'il formule cette découverte mémorable en évoquant les religions à mystères. Les cultes des dieux anciens étaient dépourvus de relation personnelle entre l'homme vertueux et son dieu, tandis que les mystères donnaient à cette relation la première place par leur simple exclusivisme, et l'encourageaient encore davantage par les différentes étapes de l'initiation et par les différences dans la ferveur avec laquelle les différents fidèles les recevaient. C'est ce facteur spirituel, et non l'«importance intellectuelle» de leur contenu, qui explique l'intérêt passionné accordé à ces cultes depuis la fin du cinquième siècle, dans tous les endroits où la religion était vivante. Combien de fois Platon et le jeune Aristote empruntent-ils leur langage et leurs symboles afin de donner une couleur et une forme au nouveau sentiment religieux qui leur est propre! Les mystères ont montré que, pour le philosophe, la religion n'est possible que sous la forme d'une crainte respectueuse et d'une dévotion, un genre spécial d'expérience dont jouissent des natures qui sont faites pour cela, un commerce spirituel de l'âme avec dieu ; et cette découverte n'est rien moins que celle d'une nouvelle ère de l'esprit religieux. Il est impossible d'estimer l'influence de ces notions sur le monde hellénistique, et sur la religion spirituelle qui était en voie de formation.

Aristote tire la connaissance subjective de l'existence de dieu de deux sources ; de l'expérience du pouvoir démonique de l'âme, laquelle, lorsqu'elle se délivre de l'élément corporel, dans le sommeil ou à l'approche de la mort, revêt sa propre « véritable nature » et perce de manière prophétique les mystères de l'avenir; et de la contemplation du ciel étoilé76. Il ne faut pas entendre cette dérivation de manière historique : elle ne renvoie pas aux hommes des temps primitifs, mais plutôt elle inclut en elle les deux grands miracles que la pure connaissance intellectuelle des connaisseurs ne se risque pas à expliquer, vestiges que le système de la physique rationaliste ne peut réduire. La prophétie et les éléments irrationnels et obscurs de la vie de l'âme avaient toujours éveillé un grand intérêt dans l'Académie, et le sentiment religieux émotionnel envers le cosmos avait là son origine. Ce qu'Aristote exprime ici dans une formule concise est tout simplement l'attitude religieuse des amis de Platon envers l'univers. La formule même en est empruntée à Platon; car dans les Lois, il dérive la croyance en dieu des deux mêmes sources, l'être toujours fluent (ajevnao" oujsiva) de la vie intime de l'âme, et la contemplation de l'ordre immuable des astres77. Aucune autre formule ne pourrait exprimer de manière aussi appropriée la vérité intemporelle de l'élément religieux dans le platonisme, dépourvu de tous les détails dogmatiques temporaires. Encore et toujours, il réapparaît dans l'histoire comme le symbole de l'attitude ultime et inattaquable avec laquelle l'esprit se confronte aux forces inexorables de la matière et du hasard. Nous pensons naturellement aux mots de Kant, à la fin de la Critique de la Raison Pratique : «Deux choses remplissent l'esprit d'un émerveillement et d'un respect toujours nouveau et toujours croissant, plus on y réfléchit, le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. » La transformation de la première source, l'être toujours fluent de l'âme (comme Platon l'appelle) en la loi morale est caractéristique de la différence entre l'esprit de Platon et celui de Kant, bien que cette transformation remonte aux stoïciens. Kant ne le dit pas nettement, mais ses termes nous montrent clairement que son «émerveillement et [son] respect» sont de nature religieuse, et furent originellement introduits précisément comme des sources de la croyance en l'existence et au gouvernement de dieu.

Aristote conserve également la forme originelle du deuxième argument. Au lieu de la merveille de la vie de l'âme considérée en elle-même, il parle des puissances divinatoires qui sommeillent en elle, et qui ne s'éveillent que lorsqu'elle s'est débarrassée du corps. C'est là l'opinion de Platon. La reconnaissance des phénomènes occultes, inaccessibles à la science, est également contraire à la doctrine ultérieure d'Aristote ; il la réfute en détail dans son ouvrage sur les rêves78. On voudra peut-être ne voir en tout cela qu'une concession au style du dialogue. Mais l'attitude par rapport au problème de la divination est identique à celle que l'on trouve dans l'Eudème. Il n'existe pas de signe plus clair de la profondeur jusqu'à laquelle le spiritualisme s'était enraciné en Aristote, que ce fait que, même après qu'il eut abandonné la théorie des Idées, il conserva pendant quelque temps la conception platonicienne de l'âme, et sans aucun doute également sa doctrine de l'immortalité. Posidonius se trouve au nombre de ceux qui ont reconnu cette doctrine dans notre passage79. Les deux sources de la croyance en dieu furent également empruntées à ce dialogue par les stoïciens. Cléanthe, qui les compare aux hypothèses de Prodicos et de Démocrite sur l'origine de la religion, montre par là qu'il les prit au sens historique80.

La grande influence de notre ouvrage sur l'époque hellénistique apparaît encore dans un célèbre passage, répété dans toutes les théologies stoïciennes. Ce passage nous a été conservé par Cicéron, et il appartient certainement à la preuve de l'existence de dieu qui se trouve dans le troisième livre du Peri; filosofiva"81. A cause de la puissance avec laquelle il suggère l'expérience irrésistible de la divinité du cosmos, nous pouvons le traduire ici en entier.

« S'il existait des hommes qui avaient toujours vécu sous la terre en de bonnes et splendides demeures, ornées de statues et de tableaux et possédant en abondance toutes les choses qui font considérer heureux ceux qui les possèdent, et si, cependant, ils n'étaient jamais sortis dehors sur la terre, mais avaient entendu dire par des rumeurs et des témoignages qu'il existait une certaine présence et puissance divine, et si, plus tard, les entrailles de la terres s'ouvraient et leur permettaient de s'échapper de ces endroits cachés et de paraître dans ces régions où nous habitons, alors, lorsqu'ils verront soudainement la terre et les mers et le ciel, lorsqu'ils auront connu la grandeur des nuages et la puissance des vents, lorsqu'ils auront jeté leurs regards sur le soleil et auront reconnu sa grandeur et sa beauté et l'efficacité avec laquelle il cause le jour en répandant sa lumière par tout le ciel, lorsque, en outre, la nuit ayant assombri les terres, ils percevront le ciel tout entier orné d'astres, et la variété des clartés de la lune croissante et décroissante, et tous les levers et couchers et les cours fixés immuablement pour l'éternité de tous ces corps célestes -- lorsqu'ils verront tout cela ils penseront immédiatement qu'il existe des dieux et que tous ces êtres sont les ouvrages puissants de dieux. »

La première chose que nous remarquons est l'influence de l'allégorie de la caverne de la République de Platon. Cette dernière est une représentation magnifique de l'expérience fondamentale de la philosophie de Platon, à savoir la réduction du monde visible à un royaume de pures ombres et la contemplation de l'être véritable qui sépare le philosophe et l'isole de ses semblables. L'allégorie d'Aristote donne elle aussi naissance à une nouvelle attitude envers le monde. Cependant, les hommes qu'il met en scène n'ont pas vécu dans des cavernes. Ce sont des hommes civilisés modernes, cultivés, blasés, qui s'enterrent eux-mêmes comme des taupes dans le luxe sans soleil et sans cœur dans lequel ils recherchent leur bonheur douteux. Aristote les fait sortir un jour à la lumière, et percevoir alors le spectacle qu'il voit lui-même, la merveille immense de la réalité, la structure divine et le mouvement du cosmos. Il leur enseigne à contempler, non pas un monde surnaturel, mais ce monde-ci qui est visible à tous et que personne cependant ne voit. Il est conscient d'être le premier Grec à voir le monde réel à la manière dont Platon voyait le monde intelligible, et sa modification délibérée de l'allégorie platonicienne est un signe qu'il concevait ainsi sa mission historique. Ce qu'il nous donne à la place des Idées, c'est la contemplation des formes et des dimensions merveilleuses du cosmos, une contemplation qui, intensifiée au point de devenir religion, aboutit à l'intuition de son divin régisseur.

Nous savons, grâce à l'Epinomis, qui insiste pareillement sur la position centrale de la théologie dans la philosophie, que ces hautes spéculations rencontrèrent une opposition énergique de la part des Grecs. Selon l'opinion populaire grecque, la connaissance du divin, la gnose des orientaux, est une chose qui doit pour toujours être inaccessible aux mortels; et l'homme qui risque sa tête à la recherche du fruit défendu est un homme malheureux. Aristote lui-même, au commencement de la Métaphysique, critique la défiance profondément enracinée des Grecs envers la curiosité excessive (periergiva) de la pensée qui veut s'élever avec audace dans les hauteurs. Il s'oppose souvent à la sagesse ancienne selon laquelle un mortel doit s'attacher aux choses mortelles ; et il nous invite ardemment à vivre dans l'éternité82. La théologie ne devint possible pour les Grecs que lorsque la découverte des lois dans les mouvements célestes eurent conduit à la supposition d'âmes des astres, et lorsqu'une connaissance assurée des « dieux visibles » eut mis à une distance mesurable la possibilité d'une théologie astronomique exacte fondée sur l'expérience. A cela, il nous faut ajouter l'influence de l'Orient, comme nous le dit l'Epinomis ainsi que d'autres témoignages. Le « connais-toi toi-même » socratique, en lequel s'incarne essentiellement la sagesse apollinienne, se transformait désormais en son contraire. Dans sa Vie de Socrate, Aristoxène le péripatéticien racontait qu'un Indien, ayant rencontré Socrate à Athènes, l'avait interrogé sur sa philosophie. Lorsque Socrate lui répondit qu'il tentait de comprendre la vie humaine, l'Indien lui représenta le caractère désespéré d'une telle entreprise, dans la mesure où l'homme ne peut se connaître lui-même tant qu'il ne connaîtra pas dieu83. Cela paraît apocryphe, mais il s'agit tout simplement de la formulation sous forme de légende de l'opinion, universelle dans l'ancienne Académie et résumée dans l'Epinomis en tant que programme de réforme religieuse, selon laquelle dans l'avenir, l'astralisme oriental et la théologie devront être combinés avec la religion delphique de l'Hellas, si les Grecs voulaient faire quelque progrès en religion84. Selon l'opinion de l'auteur, qui nous présente la tendance dominante dans l'Académie (il pourrait difficilement n'exprimer que des préférences personnelles comme c'est le cas de la conclusion des Lois de Platon), la voie de cette combinaison est le mysticisme. Aristote partage avec lui, et avec tous les membres de l'Académie, l'opinion selon laquelle la cognitio dei n'est concevable que si c'est dieu lui-même qui se connaît. Il dépeint cette activité comme quelque chose d'exceptionnel et de supérieur à toute mesure purement humaine. Le moi est l'esprit, le nou`", qui est dit « venir du dehors » (*uvra*en eijsivwn) et être « le divin en nous » (to; *ei`on ejn hJmi`n) ; et c'est par le nou`" que la connaissance de dieu entre en nous. L'auteur de l'Epinomis va jusqu'à parler de la participation du contemplateur particulier à l'unique Esprit, tandis qu'Aristote insiste bien davantage sur la transcendance de dieu que sur l'unité de dieu et du nou`" humain85. En tout cas, il est impossible de comprendre l'influence historique d'Aristote si nous ne comprenons pas qu'il a respiré cette atmosphère pendant de nombreuses années, et que sa métaphysique y est enracinée, si loin qu'elle s'en soit éloignée du point de vue logique. L'établissement d'un culte des astres, qui ne sont limités à aucun pays ni à aucune nation mais brillent sur tous les peuples de la terre86, et du dieu transcendant qui trône au-dessus d'eux, inaugure l'ère de l'universalisme religieux et philosophique. Portée par cette dernière vague, l'écume de la culture attique se répand dans l'océan cosmopolitique de la culture hellénistique.

Pline, Histoire naturelle, 30. 3

Sine dubio illic orta in Perside a Zoroastre, ut inter auctores convenit. sed unus hic fuerit an postea et alius, non satis constat. Eudoxus, qui inter sapientiae sectas clarissima utilissimamque eam intellegi voluit, Zoroastrem hunc sex milibus annorum ante

Diogène Laërce, I. prologue 8.

Aristotevlh" d ejn prwvtw/ peri; filosofiav" kai; presbutevrou" ei\nai tw`n Aijguptivwn: kai; duvo kat aujtou;" (sc. tou;" Mavgou") ei\nei ajrcav", ajgaqo;n daivmona kai; kako;n daivmona: kai; tw`/ me;n o[noma ei\nai "Aidh" kai; Areimavnio". fhsi; de; "Ermippo" ejn tw`/ prwv

 

platonis mortem fuisse prodidit. sic et Aristoteles. Hermippus, qui de tota ea arte diligentissime scripsit et viciens centum milia versuum a Zoroastre condita indicibus quoque volumunum eius positis explanavit, praeceptorem ... tradidit Agonacen, ipsum vero quinque milibus annorum ante Troianum bellu fuisse.

 

Sans doute, cela a commencé avec Zoroastre en Perse, comme les autorités en conviennent. On ne sait pas clairement s'il n'a existé qu'un seul homme de ce nom, ou deux, le deuxième étant venu plus tard. Eudoxe, qui la tient pour la meilleure et la plus valable de toutes les sectes philosophiques, disait que ce Zoroastre a vécu 6000 ans avant la mort de Platon. Aristote dit la même chose. Hermippe, qui écrivit en abondance sur cet art et qui commenta des centaines de milliers de vers écrits par Zoroastre, en établissant des index pour chaque volume, dit ... que son maître fut Agonacen, et que lui-même a vécu 5000 ans avant la guerre de Troie26.

 

tw`/ prwvtw/ peri; Mavgwn kai; Eu[doxo" ejn th`/ periovdw/ kai; Qeovpompo" ejn th`/ ojgdovh/ tw`n Fillippikw`n.

 

 

 

 

 

 

 

Aristote dans le premier livre de son dialogue Sur la Philosophie déclare que les Mages sont plus anciens que les Egyptiens ; et en outre qu'ils croient en deux principes, un bon et un mauvais démon, l'un appelé Zeus ou Ormuzd, l'autre Hadès ou Ahriman. Cela est confirmé par Hermippe dans son premier livre sur les Mages, Eudoxe dans sa Description de la Terre, et par Théopompe dans le huitième livre de ses Philippiques.