l'éclat

 

  Editorial
   

Shmuel Trigano

 

Sommaire du numéro 1

Editorial du numéro 1

Sommaire du numéro 2

Editorial du numéro 2

Sommaire du numéro 3

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Sommaire du numéro 4

Editorial du numéro 4

Sommaire du numéro 5

Editorial du numéro 5

De la morale comme idéologie

 

La livraison de Controverses sur le génocide du Rwanda est lourde d’enseignements. Elle nous montre qu’en matière de tragédie humaine tout est toujours possible, malgré la Shoa et les génocides du xxe siècle, malgré l’extraordinaire effervescence autour de « la mémoire » et des droits de l’homme. C’est ce dernier constat qui est le plus accablant car l’occultation ou la déformation des évènements du Rwanda s’est produite sous nos yeux, déjà lourds des rituels du souvenir et de l’antiracisme militant. Pire, ce sont les « vigilants », ceux-là même qui stigmatisaient le racisme, du temps des beaux jours de « la génération morale », au point d’en faire la ligne directrice de leur politique, qui ont été les plus décevants, voire les plus responsables de l’indifférence publique. Nos analyses soulignent la part décisive prise dans cette impasse par François Mitterrand et son sillage. Comme en bien d’autres domaines, la France n’en finira pas de tirer les conséquences ravageuses de l’épisode mitterrandien pour la société et la politique françaises. Sans doute la « rupture » voulue par le président Sarkozy et la nomination aux Affaires étrangères de Bernard Kouchner visent-elles aussi à se libérer d’un tel héritage.
C’est la sphère intellectuelle qui nous pose une plus grande énigme. Elle, si prompte à prendre des postures avantageuses face aux grandes questions morales, avait oublié et négligé le Rwanda, de même que, plus tard, le Darfour. La quatrième livraison de Controverses, Les Alterjuifs, nous a rappelé que quelques années après, ces mêmes milieux accusaient Israël du « génocide » imaginaire de Jénine. L’appel à la conscience mondiale d’un José Saramago ou d’un Breyten Breytenbach à propos du Rwanda n’a pas marqué nos mémoires… Ce contrejour donne une mesure de l’inquiétude morale et du souci de l’honneteté intellectuelle qui ont cours à notre époque. Dans cinquante ans, on établira un parallèle entre les nombreux discours proférés à cette occasion et leur assourdissant silence sur de rééls et contemporains génocides.
Mais celà est-il pour nous étonner ? Rappelons-nous la cécité musclée de nombreux intellectuels et organes de presse, réputés critiques, sur le maoïsme, le génocide du Cambodge, etc. Il faut croire que, pour beaucoup de ces grandes consciences, il y a des victimes privilégiées et d’autres qui ne sont même pas visibles. Ces mêmes années 1990 furent occupées par des controverses sur la pseudo « concurrence des victimes » et l’accusation d’« abus de mémoire ». Relire les discours de cette période à la lumière crue de l’histoire parallèle qui se déroulait ailleurs est accablant. Ces grands discours drapés dans une morale vengeresse et indignée péchaient par négligence envers des tragédies immenses.

Le massacre de Srebrenica montre que cette défaillance fut aussi celle de l’Europe. En l’occurence, le contraste est également accablant. En ces mêmes années, ivre d’elle même, l’Europe s’est donnée en exemple à l’humanité comme le continent qui avait sû dépasser la guerre, voire même les Etats-nations pour s’approcher d’une humanité réconciliée et d’une universalité unique dans son genre. On ne savait alors plus où s’arrèteraient ses frontières. Elle n’en a pas moins prouvé sa défaillance sans vergogne à Srebrebnica, comme le rappelle la recension que nous publions.

La morale est-elle pervertie ? Est-elle devenue dans ce monde du spectacle un faire valoir des personnalités et des gouvernements, voire des entreprises désormais de plus en plus « équitables » ? Pourquoi la morale et pas le pouvoir, la puissance, la beauté, le génie ? C’est une question profonde. Toujours la quête de pouvoir a cherché à se travestir dans les atours de la moralité, pour cacher ses noirs desseins. Avec le nazisme et le communisme, la perversion du langage et la rhétorique morale avaient atteint des sommets inégalés. Mais jamais la moralité n’était devenue à ce point le coeur du discours du pouvoir et de l’influence. La morale n’est plus le travestissement du pouvoir : elle en est le marche-pied. Est-ce le signe du déclin du pouvoir, du pouvoir institutionnel qui s’est à ce point diffusé dans la complexité technocratique qu’il n’est plus vraiment localisé ? La rhétorique de la surenchère morale serait aujourd’hui le moyen le plus rentable de l’accession à un pouvoir ayant perdu toute consistance. Nous mesurons à cette occasion l’impact de l’idéologie humanitaire et droits-de-l’hommiste qui, durant les années 1980-1990, s’est portée candidate à la succession des socialismes en déclin. C’est alors que les valeurs morales se sont vues instrumentalisées à des fins politiques et partisanes. De la morale comme idéologie !

S.T.