éditions de l'éclat, philosophie

JEAN-PIERRE COMETTI
LE PHILOSOPHE ET LA POULE DE KIRCHER


VII

Richard Rorty
L'ethnocentrisme
et la possibilité
de la critique

 

 

Déclarer qu'il faut être ethnocentriste peut éveiller des soupçons, mais cela ne peut être le cas que si l'on identifie l'ethnocentrisme avec le refus obstiné de tout commerce avec les autres communautés.

R. Rorty

 




Les difficultés d'une définition habermasienne de la rationalité, telles qu'elles nous sont apparues jusqu'à présent, ne se situent pas seulement au carrefour des discussions suscitées par la notion de modernité; dans une certaine mesure, elles sont également au centre du différend qui oppose Richard Rorty et ses adversaires sur le rôle et la portée des arguments, les chances de la démocratie et le choix des critères que nous impose la pluralité des valeurs culturellement établies.

Au refus du représentationnisme et de l'essentialisme qui, dans l'optique de Rorty, appartiennent à la définition du pragmatisme s'ajoute, nous l'avons vu, l'idée d'une contingence aux accents sartriens1. Rorty se sépare radicalement des auteurs qui, comme Putnam ou Habermas, s'emploient à en exorciser la menace. Thomas McCarthy, qui souscrit aux principales options habermasiennes, s'est efforcé de mettre en lumière les difficultés et les ambiguïtés du pragmatisme de Rorty. Pour Thomas McCarthy, il est impossible de sacrifier totalement la dimension transcendante, régulatrice et critique des concepts de la raison. Il rejoint sur ce point Putnam qui, dans Why Reason can't be naturalized 2, s'opposait au caractère déflationniste d'une certaine «naturalisation de la raison», en faisant valoir que «le langage que nous parlons est toujours celui d'une époque et d'une région; mais la justesse et la fausseté de ce que nous disons ne vaut pas simplement pour une époque et pour une région.» McCarthy observe, lui aussi, que: «Bien que nous n'ayons aucune idée de standards de vérité totalement indépendants de notre langage et de notre pratique propres, la «vérité» fonctionne cependant comme une «idée de la raison», eu égard à quoi nous pouvons critiquer non seulement des prétentions particulières dans notre langage, mais encore les standards même de la vérité dont nous avons hérité.» Comme Habermas, McCarthy fonde cette fonction de la vérité sur des prétentions à la vérité ou à la validité et sur des idéalisations qui traversent, selon lui, notre discours ordinaire; il invoque, à ce sujet, les «notions transculturelles de validité qui structurent notre culture3».

En refusant de telles notions, et en optant pour une conception historiciste de la raison, le pragmatisme de Rorty se prive, selon McCarthy, des possibilités critiques qui fondent les positions de Habermas. Rorty lui paraît victime d'une ambiguïté, pour ne pas dire d'une incohérence, qui le conduit à s'accorder politiquement avec Habermas, sans souscrire aux options philosophiques que cela devrait impliquer. Bien sûr, nous reconnaissons ici une expression de la volonté de dénouer les liens de la politique et de la philosophie qui anime Rorty. McCarthy cite les propos de ce dernier, lors du Congrès Interaméricain de Philosophie de 1985 : «La philosophie, y déclarait Rorty, devrait être tenue aussi séparée de la politique que la religion [...] La tentative de fonder la théorie politique sur des théories totalisantes de la nature de l'homme ou du but de l'histoire a fait plus de mal que de bien. Nous ne devrions pas supposer que notre tâche, comme professeurs de philosophie, est d'être l'avant-garde des mouvements politiques [...] Nous devrions concevoir la politique comme l'une des disciplines expérimentales, plutôt que théoriques4

McCarthy observe, apparemment à juste titre, qu'une telle séparation de la philosophie, à l'égard de la politique, ne se situe pas tant dans le prolongement du pragmatisme américain que dans la ligne du positivisme logique : bien au contraire, «les pragmatistes avaient fait de la pertinence de la philosophie vis à vis de l'ensemble de la vie et de la culture la pierre angulaire de leur pensée.» En fait, en s'efforçant de dénouer les liens que le pragmatisme avait tissés, Rorty serait victime d'une tension entre des tendances esthétiques et élitistes, et l'«éthos civique et égalitaire du libéralisme5». Mais si Rorty se propose bien de concilier la création de soi – McCarthy dit: «L'esthétisme égocentrique de l'intellectuel littéraire» – et la solidarité – le «sens de l'humanité commune propre au pragmatisme» –, c'est précisément parce que les démocraties libérales se caractérisent par un ensemble de désirs et d'idéaux qui assurent à l'individu la possibilité de poursuivre des buts privés, à côté des finalités publiques qui réclament sa participation. A ce sujet, la position de Rorty est peut-être moins éloignée qu'il ne semble de l'attitude défendue par Dewey. Celui-ci accordait au tout une priorité sur la partie, et il s'opposait en cela aux conceptions contractualistes de l'individu et de la société. Cela ne l'a pas empêché de voir dans l'individu – et par conséquent dans la sphère privée qui lui est associée – une composante décisive des sociétés modernes. Dewey était en cela plus proche de Hegel que de Rousseau. L'attitude de Rorty n'est pas fondamentalement différente, car s'il défend l'idée de buts privés en leur donnant la coloration que leur prête McCarthy, il souligne simultanément la prééminence de la solidarité, et par conséquent celle des exigences que McCarthy, avec Habermas, nommerait probablement universalistes, mais qu'il préfère concevoir sous un éclairage «ethnocentriste», dans la mesure où elles ne lui paraissent précisément pas bénéficier de garanties transcendantes ou «transculturelles». Car si McCarthy tend à ignorer que Dewey, pas plus que Rorty, n'a jamais pensé que la philosophie pouvait se prévaloir d'une compétence particulière dans le domaine de la politique ou de la culture, toute la question reste bel et bien de savoir jusqu'à quel point la transcendance ou la transculturalité qu'il prête à certaines notions peut effectivement se voir attribuer une signification objective et universelle qui, comme le croient également McCarthy et Habermas, montrerait la possibilité d'une alternative au relativisme culturel qu'ils dénoncent. Nous avons déjà rencontré cette question, quoique sous une forme légèrement différente. On peut cependant mieux voir, ici, en quoi la question du statut critique accordé à la philosophie en dépend – dans son rapport à la politique –, et aussi en quoi l'affirmation d'une dimension transcendante des conditions de légitimité de nos normes et valeurs repose sur une ambiguïté au moins égale à celle que McCarthy croit découvrir dans les positions de Rorty.

Commençons par ce dernier point. Cette ambiguïté s'exprime très clairement dans le refus de prêter aux règles qui possèdent à nos yeux un pouvoir normatif une signification arbitraire et à en affirmer simultanément l'immanence et la transcendance. Il ne s'agit pas de nier la signification normative qui s'attache à certaines notions; il ne s'agit même pas de nier que nous distinguions, en effet, ce qui est réputé bon ou valable et ce qui vaut pour nous; mais cette distinction «grammaticale» au sens de Wittgenstein, demande-t-elle un fondement ? Apel a sans doute raison de reprocher à Habermas, comme on pourrait le reprocher à McCarthy, de ne pas aller jusqu'au bout et de ne pas associer à sa recherche d'une légitimation des actions communicationnelles un authentique fondement a priori. Ce que l'on ne parvient pas tout à fait à comprendre, chez Habermas, comme chez Putnam ou chez McCarthy, c'est le double refus de fonder métaphysiquement les normes et de sacrifier la transcendance dont un fondement métaphysique apportait précisément la garantie.Il se peut que cette attitude ne soit jamais qu'une expression d'une forme particulière d'atavisme, de portée beaucoup plus générale, à la faveur de laquelle la philosophie a maintenu en elle la sauvegarde d'un certain nombre d'exigences ou d'idéaux dont les racines sont métaphysiques. La philosophie a fini par en faire un fond de commerce qu'elle se refuse jalousement à céder. Mais comment peut-on faire appel aux concepts de «raison, de vérité et de justice en leur conservant une part de leur force critique, transcendante et régulatrice, sans toutefois continuer de se réclamer du point de vue de Dieu» ? Il paraît à première vue plus conséquent d'admettre, avec Rorty, qu'«à partir du moment où nous avons pris congé de Dieu, nous avons tacitement et progressivement commencé à prendre congé du «vrai» au sens inconditionnel du terme».

Mais d'un autre côté, comment maintenir la possibilité d'une authentique fonction critique, et comment ne pas dire «Adieu à la philosophie» ? On observera que pour Dewey, qui ne souscrivait pourtant à aucune idée que l'on pourrait rapprocher d'une vision habermasienne ou putnamienne des normes, la philosophie s'accomplissait essentiellement dans l'exercice d'une telle fonction. C'est précisément pourquoi elle remplissait à ses yeux une fonction politique que McCarthy se plaît à souligner, par opposition à ce qu'il croit diagnostiquer chez Rorty. Mais l'embarras tient ici, au moins, à deux confusions. En premier lieu, pour que la possibilité d'une critique – et par conséquent d'une révision – des normes factuellement établies soit pensable, il faut qu'une pluralité de normes soit elle-même pensable6. Une telle pluralité n'est évidemment pas le fait de la philosophie. Dewey insistait à juste titre, aussi bien sur le plan éthique que politique, sur ce que comportent d'historiquement irréductibles les conflits et la pluralité des normes et des valeurs7. Là où une telle pluralité existe, la critique existe aussi, même si ce n'est pas sous un vêtement spécifiquement philosophique. Le problème – l'éternel problème – consiste à savoir comment on peut espérer faire face à cela, et si la philosophie peut nous y aider.

La seule idée du conflit des valeurs nous place dans l'embarras parce que, à défaut de normes «transcendantes», comme Platon n'a cessé d'y insister à sa manière, elle semble nous condamner à l'arbitraire. Mais l'arbitraire n'exclut pas la raison. A défaut de faire valoir l'existence de normes auxquelles on pourrait prêter une portée décisive, il est permis de s'en remettre à des perspectives plus modestes, plus incertaines aussi, auxquelles nous faisons généralement confiance, même si cette confiance ne peut être aveugle. Au fond, il n'y a peut-être pas d'autre alternative que la communication – le dialogue – et la violence. Comme le suggère Rorty, la rationalité commence lorsqu'on fait prévaloir la persuasion sur la violence. Par rapport à la conception de la rationalité et de la vérité que se font Putnam, Habermas ou McCarthy, c'est à la liberté qu'il y a plutôt lieu de faire appel, et non à des normes transcendantes ou transculturelles. Si l'on devait supposer, comme la présente discussion tend à le suggérer, que la philosophie doit se fixer prioritairement pour tâche de «répondre à Hitler», la meilleure chose à faire consisterait probablement à tout mettre en œuvre pour produire un changement dans son esprit par les voies ordinaires de l'argumentation. «Si la tâche m'était assignée, écrit Rorty, non pas de réfuter ou de répondre à un nazi, mais de le convertir (un nazi légèrement plus sain que Hitler ne le fut), je pourrais lui montrer combien les choses peuvent être agréables dans une société libre, combien elles sont horribles dans les camps nazis, comment son führer peut être redécrit comme un ignorant paranoïaque, plus que comme un prophète inspiré [...] Il se peut que cette tactique marche ou ne marche pas, mais en tout cas elle ne s'apparente pas à un exercice intellectuel comme la Letztbegründung dont parle Apel [...] La tentative de montrer au nazi philosophiquement captieux qu'il se prend au piège de ses propres contradictions logiques ou pragmatiques ne peut que le pousser à reconstruire les présuppositions de l'accusation de contradiction (le genre de redescriptions que Heidegger a mis à la disposition des nazis)8.» Le cas de Calliclès, dans le Gorgias de Platon – contre l'avis de Platon lui-même – dit assez, de toute façon, ce que comporte d'illusoire, sur le plan de leur efficacité pragmatique, les appels que l'on peut faire à la seule logique ou à des normes tenues pour transcendantes et universelles.

Mais il ne s'agit pas à proprement parler d'un constat d'échec. La critique se conçoit encore là où les choix s'effectuent entre des éléments de la culture de celui qui doit choisir. Il se peut même, comme le pense Nagel, malgré tout ce qui l'oppose aux principales options du pragmatisme, que cette possibilité soit d'autant plus étendue – et éclairée – que notre faculté d'«objectivité relative» est à même de se nourrir de la connaissance que nous avons des autres cultures. Seule l'hypothèse d'une radicale incommensurabilité nous interdirait d'y songer9.

Du coup, on commence à comprendre les racines du malentendu qui oppose McCarthy à Rorty à propos de la séparation de la philosophie et de la politique. Un auteur comme McCarthy fonde en effet le rapport de l'une à l'autre sur une subordination de la seconde à la première. Pour lui la démocratie réclame un fondement que la philosophie doit lui apporter. Il est clair que cette conception fut aussi étrangère à Dewey qu'elle l'est à Rorty. Comme le remarque ce dernier, «Dewey [...] nous a placé dans la bonne direction en considérant qu'il n'appartient pas au pragmatisme de fonder, mais de clarifier les fondements de la politique démocratique. Cette clarification ne confère aucune priorité à la philosophie sur la politique, mais elle ne signifie nullement un désintérêt ou une indifférence de la première à l'égard de la seconde. L'erreur ou l'obsession de nombreux philosophes, c'est de penser les rapports de la philosophie et de la politique sur le seul modèle d'une relation essentielle que l'on ne pourrait dénouer sans enfermer le philosophe dans une tour d'ivoire10.

Lorsqu'on considère sous cette lumière les formes que prend notre adhésion à certains standards culturels, l'ethnocentrisme devient l'expression que l'on est amené à donner aux conditions dans lesquelles nous manifestons notre rapport aux valeurs. Mais cette expression, peut-être trop provocante, prête fâcheusement à confusion. Le penseur ethnocentrique, dans cette perspective, n'est pas celui qui prend aveuglément fait et cause pour les seules valeurs de sa communauté, au mépris de toutes les autres. L'ethnocentrisme dont parle Rorty appartient à ceux qui, au contraire, ont intégré l'évidence d'une pluralité leur interdisant de tenir leurs valeurs pour les seules – et a fortiori les seules vraies –, sans toutefois les autoriser à abandonner tout point de vue qui, de quelque nature qu'il soit, doit bien être ou devenir le leur. Nous retrouvons ici une expression de l'illusoire objectivité que la solidarité se verrait opposer s'il fallait souscrire à un quelconque point de vue de Dieu11.

Une position comme celle-là n'est pas destinée à nécessairement apporter son soutien aux standards existants, ou à je ne sais quel conservatisme qu'aurait fortifié la conscience d'une indépassable pluralité par rapport à laquelle les jeux seraient toujours déjà faits. Mais l'idée que se fait Rorty des changements culturels n'est tout simplement pas celle des auteurs qui croient volontiers à la puissance d'une critique ou d'une utopie de l'altérité radicale. Au demeurant, le pragmatisme s'accorde davantage avec une disposition d'esprit «évolutionnaire», pour reprendre un mot de Musil, que «révolutionnaire» à proprement parler. Comme Putnam le reproche à Rorty, le problème réside il est vrai en cela que l'idée d'un mieux ne peut pas être dissociée de la croyance en un mieux, si bien qu'en effet il est toujours permis de penser que ce qui est jugé tel aujourd'hui ne le sera pas demain. Tel est sans doute le prix de la contingence qu'elle ne nous apporte aucune garantie quant à la question de savoir de quoi demain sera fait. En même temps, cette ultime conséquence nous éclaire sur la nature de nos besoins ou de nos ambitions les plus difficilement déracinables, et sur ce qu'ils induisent dans notre comportement au présent: là où l'idéal d'une correspondance de nos pensées avec un monde déjà fait qui leur apporterait une justification inébranlable a reculé, le même désir cherche un illusoire refuge dans les garanties que seul l'avenir serait susceptible de leur offrir.

A cela, le philosophe pragmatiste oppose donc un sens de la solidarité qui risque évidemment de passer, dans le meilleur des cas, pour l'expression d'un provincialisme que les adversaires du pragmatisme ont toujours stigmatisé. Mais ce provincialisme ne s'apparenterait à un authentique esprit de clocher que s'il se pensait dépositaire d'une nature humaine anhistorique, ce que précisément le pragmatisme répudie. En fait, l'ethnocentrisme pragmatiste, conformément à une inspiration faillibiliste, repose sur l'idée que de meilleures convictions sont toujours possibles: «Il y a toujours place pour une croyance améliorée, car de nouveaux faits, de nouvelles hypothèses ou même un vocabulaire entièrement neuf peuvent se présenter. Le fondement est éthique et non épistémologique12.» Bien sûr, il serait illusoire de penser que l'objectivité peut cesser d'exercer ses charmes, mais «le meilleur argument que nous avons, nous partisans de la solidarité, contre les partisans réalistes de l'objectivité, c'est l'argument nietzschéen qui dit que la consolidation métaphysico-épistémologique des habitudes tentée par la tradition occidentale ne marche tout simplement plus, qu'elle ne fait pas son travail. Elle est devenue un artifice tout aussi transparent que le fait de postuler des divinités qui se trouvent, par le plus heureux des hasards, nous avoir choisis pour former leur peuple. L'idée pragmatiste que nous donnons à notre sens de la communauté un fondement «simplement» éthique – ou plus exactement, que nous pensons que notre sens de la communauté n'a d'autre fondement que l'espoir partagé et la confiance engendrée par un tel partage – est ainsi avancée pour des raisons pratiques. Elle n'est pas formulée comme le corollaire d'une thèse métaphysique13

L'ethnocentrisme, ainsi décrit, si l'on veut bien y voir le visage que prend la contingence sur le plan à la fois éthique et culturel, trouve en fait son prolongement dans la démocratie.

 

1. R. Rorty , in Lire Rorty, op. cit.

2. H. Putnam, Pourquoi ne peut-on pas naturaliser la raison, trad. franç., C. Bouchindhomme, L'Eclat, 1992

3. T. McCarthy, «Ironie privée et décence publique», in Lire Rorty, op. cit.

4. R. Rorty, Objectivism, Relativism, and Truth, trad. franç., op. cit.

5. T. McCarthy, cit.

6. Rorty, «Solidarité ou objectivité?», in Objectivism, Relativism and Truth, trad. franç., op. cit., où l'on peut lire: «"La philosophie" est précisément ce dont une culture devient capable lorsqu'elle cesse de se définir en termes de règles explicites et devient assez désœuvrée et civilisée pour s'en remettre à un savoir-faire non explicite, pour remplacer la codification, par la phronésis et la conquête des étrangers, par la conversation avec eux.»

7. Dewey, Outlines of a Critical Theory of Ethics [1889], The Early Works, vol. 3, Carbonsdale, Southern Illinois Press.

8. R. Rorty, in Lire Rorty, op. cit.

9. Rorty, «Le cosmopolitisme sans émancipation», trad. franç., P. Saint-Amand, Critique, 456, mai 1985, p. 573. Rorty, qui s'oppose à Lyotard, écrit: «Je ne vois pas comment on peut dire qu'on est confronté à une pratique humaine qu'on reconnaît comme linguistique, et d'autre part tellement étrangère qu'on abandonne d'emblée tout espoir de comprendre ce que ce serait que de s'y engager.» La position de Rorty se conçoit à la lumière des réflexions de Davidson sur l'incommensurabilité et l'interprétation radicale. Elle pourrait être rapprochée de ce que laisse entrevoir la lecture des Remarques sur le «Rameau d'or» de Frazer, de Wittgenstein, lorsque celui-ci reproche à Frazer de ne pas voir ce qui apparente les pratiques insolites qu'il mentionne à certaines pratiques tout aussi étranges de notre propre culture. Pour Davidson comme pour Wittgenstein dans ces Remarques, les frontières de l'étrange n'épousent pas spécifiquement celles de l'altérité interculturelle. La compréhension de la «mentalité primitive» en appelle au même genre d'efforts (d'apprentissage) que la théorie de la relativité d'Einstein ou la compréhension de l'art conceptuel. Comme le suggérait encore Bergson, à propos des «primitifs» de Lévi-Bruhl, ils ne font jamais qu'ignorer ce que nous avons appris – et réciproquement. Sur la position de Davidson, voir Rorty, «Un physicalisme sans réductionnisme», in Objectivism, Relativism, and Thruth, trad. franç., op. cit.

10. R. Rorty, «Brigands et intellectuels», trad. franç., C. Piché, Critique 493/494, 1988.

11. R. Rorty, Essays on Heidegger, trad. franç., op. cit., «Introduction».

12. R. Rorty, «Solidarité ou objectivité?», in Objectivism, Relativism, and Truth, trad. franç., op. cit.

13. ibid.

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