1. À l'occasion d'un entretien paru en novembre 1978, Giorgio Colli
avait insisté sur les thèmes principaux de sa lecture de Nietzsche,
qu'il résumait au rapport de celui-ci avec le monde grec. Colli
travaillait alors à une nouvelle édition des fragments et des
témoignages des présocratiques - pour lesquels il refusait le
terme de «philosophie» et lui préférait celui de «sagesse 1», soulignant ainsi à quel point l'attitude cognitive de Nietzsche
pouvait avoir une signification centrale dans son propre travail
d'historien de la pensée grecque :
[...] Ma position par rapport à la pensée grecque est, en général,
fortement influencée par Nietzsche: cette prise à rebours que
vous avez évoquée à propos de ma thématisation de la sagesse grecque,
c'est précisément ce que Nietzsche a accompli au cours de son
enquête sur les origines de la tragédie. C'est par un mouvement
analogue qu'il a cherché une solution à un problème fondamental
de la civilisation grecque, en allant au-delà d'une enquête directe
de ce qui nous a été transmis de la tragédie, et en la prenant
à rebours. Il cherche les origines de la tragédie et les découvre
dans le monde religieux des Grecs, qu'il considère selon une perspective
très originale, même si on ne doit pas oublier - et je l'ai noté
dans La Sagesse grecque - qu'elle était déjà annoncée par des
études antérieures 2. Quoi qu'il en soit, son regard est absolument unique. Ma façon
de considérer le champ de la «sagesse» est analogue. C'est la
chose la plus importante que je doive à Nietzsche, et qui est,
à mon avis, d'une portée essentielle3.
Cette proximité de Nietzsche est précoce dans la pensée de Colli.
Son premier livre sur la pensée grecque, Physis kryptesthai philei 4, qui date de 1948, lui est non seulement dédié de manière significative,
mais il y déclare également que «bien peu de choses ont été comprises
jusqu'ici de la Grèce, à l'exception de ce qu'en ont pu dire Nietzsche
et Burckhardt5». La formule n'est pas simplement protocolaire. Vingt ans plus
tard, dans sa préface à Sur l'étude de l'histoire, Colli interprète
la pensée de Burckhardt en référence à deux pôles: d'un côté la
grécité, de l'autre la philosophie de Schopenhauer; et il en souligne
l'affinité avec Nietzsche dans «l'interprétation de la Grèce dans
son ensemble». Nietzsche et Burchkardt partent de l'anti-historicisme
radical de Schopenhauer, mais corrigent également son pessimisme.
L'«espoir d'action qui anima Nietzsche plus tard» trouve son fondement
dans cet aspect de Burckhardt qui «nous aide à aller au-delà de
la pure connaissance: c'est justement l'aspect permanent, cyclique,
égal à lui-même, philosophique en somme, qui nous ouvre la possibilité
d'une action, puisque toutes les crises - y compris celle de notre
temps -, peuvent être résolues de façon positive (...) Burckhardt
propose divers espoirs: "Une caractéristique des cultures supérieures
est leur capacité d'avoir des renaissances." Et cette affirmation,
fondée sur son expérience cognitive, fait naître en nous un sentiment
de confiance6».
Il ne fait pas de doute que la métaphysique de Schopenhauer a
une valeur heuristique décisive dans l'oeuvre de reconstruction
historiographique de Colli, à partir de Physis kryptesthai philei (que l'on pense simplement à la définition de physis comme «intériorité
nouménique» dissoute par l'apparence), et nous préciserons par
la suite cette influence schopenhauerienne. Mais il faut noter
également que Colli souligne, dès 1948, et en particulier dans
l'étude sur Empédocle (dont la «plénitude tragique» est comprise
justement à partir de la définition schopenhauerienne de tragédie,
comme «hétérogénéité de l'individuation phénoménale par rapport
à sa racine [nouménique] 7») le caractère agonistique du pessimisme et la possibilité de
le convertir en un «plus fort optimisme». Telle est justement
la tonalité philosophique soulignée par Colli dans sa préface
de 1958 à Schopenhauer éducateur, qui inaugure l'«Encyclopédie
des auteurs classiques» et qui, sous bien des aspects, constitue
le noyau thématique originel du rapport de Colli à Nietzsche.
Dans l'analyse qu'il consacre aux éléments wagnériens présents
dans les écrits contemporains de La Naissance de la Tragédie et des Considérations inactuelles, Colli voit dans le wagnérisme du jeune Nietzsche, surtout le
thème de la résolution active du pessimisme. «Sans aucun doute
- peut-on lire dans la préface à la Correspondance Nietzsche-Wagner
- ce n'étaient pas des contemplatifs, et leur expression voulait
intervenir dans la sphère de l'action8.» Mais la référence au modèle du drame musical wagnérien, dans
La Naissance de la tragédie et dans les écrits de cette époque,
est déjà lue en fonction de cette tension entre «actualité» et
«inactualité», qui constitue pour Colli toute la parabole nietzschéenne.
Le noyau originel de La Naissance de la tragédie est un «mysticisme authentique, vécu9», dont la musique est le «rituel». À côté de l'Urschmerz, qui éloigne de la vie, «le pathos musical de Nietzsche [...]
témoigne d'un "autre" fond de la vie, d'un "véritable" Dionysos,
le dieu affirmatif, qui est Urlust, joie primordiale10 ». Mais la superposition de thèses et de modèles wagnériens crée
une dysharmonie par rapport au noyau originel de l'oeuvre. Dans
une seconde préface, écrite à l'occasion de la réédition de La Naissance de la Tragédie dans la Petite Bibliothèque Adelphi (1977), Colli présente le
wagnérisme de cette oeuvre comme un travestissement d'une substance
inactuelle sous les traits de l'actualité: Nietzsche «a presque
peur d'avoir trop vu, et il masque le message par deux sortes
de remords: les entraves que lui impose encore la corporation
érudite, et les sollicitudes pour un présent qui l'assujettit
encore, pour Wagner et pour l'Allemagne. C'est pourquoi l'oeuvre
reste voilée 11 ». L'aphorisme: «Ce qui ne peut s'exprimer», dans Après Nietzsche,
nous donne la clef de cette interprétation, qui se trouve justifiée
et devient cohérente à partir des thèmes propres de la méditation
autonome de Colli. Le dionysiaque de Nietzsche représente le moment
germinal du détachement de l'expression (le monde des apparences
et des représentations) du fond nouménique; il correspond à la
phase «mystique» de la connaissance, qui constitue pour Colli
la racine oubliée de l'aventure du logos et de la philosophie:
Il avait perçu plus exactement que [Wagner] la nature de la musique,
appelant dionysiaque son caractère extatique, le détachement,
la déchirure, l'allusion extra-représentative au moyen du perceptible.
Ainsi comprise, la musique demeure pure intériorité, qui ne recherche
pas la visibilité puisqu'elle la sent inadéquate. Il y a une autonomie
mystique dans cette perspective, qu'évoque Schopenhauer, et c'est
de cette matrice que surgit le dionysiaque de Nietzsche 12 .
Pour Colli, la fascination de Nietzsche pour «l'essence baroque
du drame musical de Wagner», c'est-à-dire la soumission de l'élément
musical à la représentation dramatique, qui implique une traduction
de l'intériorité nouménique dans la sphère «visible» de la figuration,
semble ici «irréparable». C'est pourquoi, à ses yeux, prend une
importance particulière le Wagner à Bayreuth, où est mis en lumière
le caractère composite et ambivalent de la position de Nietzsche,
et l'hommage rendu à Wagner cache difficilement désormais une
attitude de pleine autonomie critique 13 .
La libération de l'empreinte wagnérienne de la métaphysique de
l'artiste ne rompt toutefois pas la torsion agonistique et active
du pessimisme que Colli a nettement identifié chez Nietzsche;
à une «évolution du concept de dionysiaque», éliminant les éléments
de «négativité schopenhauerienne» encore présents dans La Naissance
de la tragédie, vers l'«interprétation affirmative» caractéristique
de la pensée successive, correspond l'«isolement» de Nietzsche
dans l'inactualité pleine de la référence aux Grecs. En effet,
au centre de la libération de Nietzsche par rapport à l'actualité
du modèle wagnérien, il faut placer son attention pour la pensée
des présocratiques:
Ces méditations isolent de plus en plus Nietzsche. Alors, penser
à soi signifie, pour lui, penser aux Grecs. À l'époque de La Naissance
de la Tragédie, s'il pensait aux Grecs, il pensait aussi à Wagner.
Mais cette époque est révolue et ses réflexions sont non seulement
plus autonomes, mais également plus développées et plus matures.
Surtout, le concept de culture grecque n'est plus déformé par
la considération prépondérante de l'art. Sur ce point, la libération
avait commencé dès 1872, avec les premières études d'ensemble
sur la philosophie présocratique14 .
Ce que Colli souligne implicitement dans le développement de la
pensée de Nietzsche, en opposition à la métaphysique wagnérienne
de l'artiste et à l'action réformatrice qui en dépend, c'est la
présence et l'influence de Burckhardt. Non seulement parce qu'il
met au premier plan, dans la découverte nietzschéenne de la grécité,
des traits qui dépendent évidemment de l'emphase burckhardtienne
sur le principe agonistique de la culture grecque, mais surtout
parce que «l'action» de Nietzsche n'est plus comprise comme une
prestation de la volonté, qui tend à modifier le monde des apparences
et déborde dans la sphère de la réforme morale et de l'actualité
politique, mais elle acquiert toujours plus les traits d'une attitude
purement théorétique; elle est une approche de l'intériorité nouménique
qui se maintient dans la sphère de la culture comme «puissance»
autonome, et de la «passion pour la connaissance pure» de Burckhardt
15 . C'est précisément dans cette résolution cognitive de la sphère
de l'action et de la volonté que Colli voit un trait décisif de
la «grécité» de Nietzsche, qui apparaît comme «le grand libérateur,
celui qui déblaie le terrain, qui rend désormais possible une
vision "purement" théorétique du monde [...] Son effort retentissant
n'a fait que récupérer les conditions primitives de la sagesse16». En vérité, dans tout l'itinéraire de Nietzsche, Colli peut déceler
une résolution incomplète de l'«action» en connaissance, qui se
manifeste ensuite dans la doctrine de la volonté de puissance.
Dans la postface à De l'utilité et des inconvénients de l'histoire
pour la vie, Colli dit que Nietzsche «a cédé à l'ambiguïté qui
consiste à opposer l'action, même immédiate, comme supérieure
à la connaissance 17 » et que cette démarche correspond à la tentative de dépasser
le pessimisme de Schopenhauer, «par des armes offertes par Schopenhauer
lui-même». Le recours à la volonté comme fondement extra-représentatif
dénote une inclinaison vitaliste dans la recherche nietzschéenne
de l'authentique, à laquelle Colli oppose ici ce solide entrelacs
de connaissance et de mémoire, auquel sont consacrés les passages
centraux de son oeuvre philosophique principale : Philosophie de l'expression. L'opposition entre le présupposé vitaliste et le lien conscience-connaissance-mémoire
est ainsi évoquée dans le commentaire de la troisième Considération
inactuelle :
«Celui qui agit est toujours sans conscience» ; invoquer Goethe
n'est d'aucune utilité pour Nietzsche, parce que cette affirmation
n'est pas vraie. Chaque conscience est fondée sur le souvenir,
on l'a dit, et les actions des hommes, précisément celles qui
apparaissent sur la scène de l'histoire, alors qu'elles se développent,
devraient-elles être privées de conscience - (...) La vie est
plutôt un entrelacs de souvenirs et d'objets, d'actions et de
connaissances (...) 18 .
Dans Philosophie de l'expression, la critique de la métaphysique de la volonté schopenhauerienne
est fondée sur une structure argumentative identique. Colli refuse
ici d'identifier le fondement extra-représentatif, à partir duquel
germe le monde de la représentation ou de l'«expression», avec
la volonté. Dans la volonté, il faut voir une «intrusion métaphysique»
par rapport à la totalité, de nature purement relationnelle, du
monde des phénomènes : «Il en va de même de la nature tout entière,
[...] de l'homme et de son histoire, [...], tout cela n'est que
représentation, et ne peut s'interpréter qu'en tant que donnée
cognitive. Aucun des autres noms que la raison humaine peut former
avec la prétention de dévoiler quelque chose de substantiel, d'élémentaire,
d'unifiant par rapport au kaléidoscope de l'expérience - les noms
d'idée, d'esprit, de volonté, d'instinct, d'action, de puissance
- ne se justifient ni n'expliquent rien; ils révèlent simplement
l'intrusion de concepts métaphysiques destinés à interpréter les
liens dynamiques que la représentation comme telle, sans aides
transcendantes ou transcendantales, possède déjà en soi 19 ».Philosophie de l'expression établit que l'on n'accède pas à l'immédiat
par un écoulement vitaliste de l'univers de la représentation,
ou en ayant recours à ces concepts métaphysiques; l'immédiat se
tient plutôt au terme d'un processus d'anamnèse et de déconstruction
cognitive des modes par lesquels l'expérience s'est organisée.
Le terme «expression» fait référence surtout, au sens où l'emploie
Colli, au fait que la nature «simple» de la représentation, au-delà
de la dualité traditionnelle sujet-objet, doit être retrouvée
dans son propre statut relationnel, dans le «dévoilement [en elle]
d'une autre représentation ou d'une autre nature 20 ». Ici la mémoire est présentée comme le nerf de la «trame interprétative»
qui parcourt les liens expressifs selon une orientation génétique
et régressive. La représentation elle-même est intimement liée
à la mémoire: «Le terme "représentation" employé ici, ne doit
pas être entendu comme la traduction de l'allemand Vorstellung, mot qui a fait fortune dans la philosophie moderne, mais bien
plutôt dans sa signification primitive de "faire réapparaître
devant", en fait "réévocation". L'accent n'est donc pas mis sur
"l'objet pour un sujet" mais sur la fonction re-présentante, qui
implique mémoire et temps 21 .»La mémoire est le véhicule grâce auquel on peut remonter la «trame
interprétative» jusqu'au lieu où surgit l'expression, où il est
«possible de saisir la représentation à l'état naissant». Ce moment
originel et germinal est également désigné par le terme symbolique
de «contact» - dont Philosophie de l'expression souligne le «manque de rigueur». Le terme renvoie au toucher
qui, chez Aristote, est à la base de l'aisthèsis, et c'est une désignation allusive de l'immédiateté dans les
trames représentatives 22 . Une note de Colli, en date du 26 juillet 1966, confirme d'une
manière significative la nature bifrons du contact, qui participe
à la fois du caractère représentatif et extra-représentatif. Celui-ci
est renvoyé d'un côté à la volonté-noumène de Schopenhauer, et
de l'autre à la sphère représentative de l'aisthèsis aristotélicienne, qui s'avèrent toutefois, l'une comme l'autre,
des théories insuffisantes23 .Nietzsche réapparaît dans cette note comme celui qui dissoudra
tout accès non cognitif à l'immédiateté : «Nietzsche va encore
plus loin, en montrant que les sentiments, les instincts, etc.
sont des faits cognitifs, c'est-à-dire qu'ils appartiennent à
la représentation. Mais quand il nomme volonté de puissance l'immédiateté,
il tombe lui aussi dans le même travers, bien qu'il ait poussé
la critique bien au-delà24 .»
La critique de Nietzsche (y compris l'aspect de l'intellectualisation
des moments d'immédiateté vitale présumée, mentionné dans l'extrait
cité) à l'encontre de la métaphysique schopenhauerienne de la
Volonté constitue un point crucial de l'interprétation de Giorgio
Colli. Pour Colli, la doctrine de la volonté de puissance n'est
rien d'autre qu'une variante, malgré toutes les complications
qu'il met lui-même en lumière, du concept schopenhauerien de «volonté
de vivre», et dans la postface de 1972 aux Fragments posthumes
1885-1887, il affirme que la première formulation du «système»
de la volonté de puissance «n'est rien d'autre qu'un travestissement
de la pensée de Schopenhauer 25 ».Dans l'idée de volonté de puissance, Colli voit un aspect non
authentique de Nietzsche et, encore une fois, le degré d'inauthenticité
est à la mesure de son éloignement du noyau «grec». Après Nietzsche déclare qu'une vision du monde tournant autour de la volonté
est étrangère à la pensée grecque 26 , et pour Colli, dans la volonté de puissance résonne, sous une
forme philosophique élaborée, l'illusion wagnérienne de l'action
sur le présent qui, déjà dans la première phase, éclipsait son
intuition authentique du drame grec. La volonté de puissance correspond
à l'intention d'obtenir une efficacité persuasive sur le présent
27 et elle se rattache ainsi à une dimension rhétorique et «exotérique».
Déjà dans la postface à Richard Wagner à Bayreuth, Colli avait considéré que les fragments posthumes de cette période
étaient d'une «importance majeure» par rapport au texte publié,
car le caractère forcé de la conciliation entre actualité et inactualité
y apparaissait très clairement 28 .Dans la postface aux Fragments posthumes 1885-1887 que nous avons déjà citée, l'ordonnance et la valeur du matériel
posthume en général prennent une importance encore plus décisive.
S'appuyant sur le fragment 5[9] de 86-87, où la distinction «ésotérique-exotérique»
est suivie de la déclaration: «il n'y a aucune volonté», Colli
peut établir que Nietzsche «rabaisse la volonté - et donc la volonté
de puissance - au rang d'une exposition vulgarisatrice», et il
poursuit :
Inutile de s'étonner alors devant toutes ces formulations constructives,
ou encore systématiques, caractéristiques des écrits de cette
période et de celle qui suivra, ni même de s'évertuer à les critiquer:
il s'agit, pour Nietzsche d'une élaboration exotérique, dont il
connaît les faiblesses, dès lors qu'il leur oppose un point de
vue ésotérique. Dans cette perspective, les fragments posthumes
acquièrent un nouvel et plus grand intérêt, dans la mesure où
il faut les considérer bien autrement que comme un recueil de
matériau en vue de futures publications: ce n'est que dans les
cahiers posthumes de Nietzsche que l'on retrouvera la coexistence
d'une élaboration exotérique destinée à la vulgarisation et d'un
approfondissement secret et personnel de sa pensée 29 .»
Grâce à cette distinction «ésotérique-exotérique», Colli opère
une séparation plus vigoureuse des deux moments confondus dans
la période de La Naissance de la Tragédie, et qui, dès lors, apparaissent en contradiction ouverte. Avant
de voir quels sont les éléments de la grécité de Nietzsche mis
en évidence par Colli, dans la période qui suivra Humain trop Humain, il faut souligner que justement sur la base de cette distance
et dans la permanence de l'élément grec-inactuel, Colli établit
la très forte cohérence et continuité du développement de Nietzsche.
La postface à Humain trop humain tend évidemment à relativiser l'idée que cette oeuvre constitue
un tournant dans l'itinéraire de Nietzsche, et elle est interprétée
plutôt comme la pleine maturation d'éléments «empêchés» par le
wagnérisme :
Ici comme ailleurs il est possible, au-delà de la manifestation
antinomique, contradictoire, hétérogène, de déceler dans les pensées
de Nietzsche, une harmonie en profondeur, un fil conducteur développé
en continu, où les contradictions les plus criantes s'ordonnent
comme autant d'expressions progressives d'une même personnalité,
dont la richesse ne pouvait toutefois se manifester différemment
30 .
Ces phrases sont de 1965, mais déjà à partir de 1957, Colli avait
formulé avec netteté la relation entre l'aspect grec de Nietzsche
et l'unité de son évolution. Dans l'ensemble de notes [79] du
2 juillet 1957, Colli voit dans l'éducation philologique rigide
de Pforta «qui, jusqu'à 25 ans, l'empêcha de sortir des problèmes
purement scientifiques et de détail», et dans la dépendance de
Wagner, les raisons de l'absence d'une oeuvre organique sur la
Grèce, et il en résume ainsi l'itinéraire :
Avec la Grèce, [Nietzsche] s'était formé lui-même, et il avait
résolu le problème de la décadence. Le brusque passage à la seconde
période rationaliste, signifie seulement qu'il a découvert la
Grèce véritable (non plus celle des philologues ou celle de Wagner).
Tout ce qu'il dit ensuite, il le dit en tant que Grec, et ce n'est
rien d'autre qu'une illustration de sa manière de comprendre les
Grecs, avec comme visée la restauration de l'homme non décadent.
C'est en Grec, qu'il juge le monde moderne: son expression révolutionnaire
- dans les oeuvres polémiques, Humain trop humain, Aurore, Le Gai savoir, Par-delà bien et mal etc. - n'est que le regard du monde antique sur notre monde.
Et quand le Grec se raconte lui-même, voici Zarathoustra (le Perse!
- dans le symbolisme divinatoire ironique par antithèse) 31.
Il faut noter, entre parenthèses, le rôle que cette conception
a eu sur la naissance même du projet de l'édition critique. En
évoquant sa relation avec Colli et la préhistoire de l'édition,
Mazzino Montinari a rappelé à quel point la revendication de l'inactualité
avait été un des points forts pour sauver Nietzsche de toute interprétation
contaminée ou actualisante, et en particulier de l'«équation (aussi
mauvaise qu'idéologique) Nietzsche = Fascisme 32» et on peut certes dire que, malgré les différences toujours plus
grandes entre les deux éditeurs au cours du travail sur le plan
de l'interprétation de Nietzsche et de la manière de comprendre
les buts culturels et la nature même de l'édition 33, une confluence des plus heureuses et jamais démentie entre l'historicisme
historique de Montinari et l'antihistoricisme radical de Colli
a pu se réaliser pour préserver Nietzsche des contaminations actualisantes.
Mais pour Colli l'inactualité va de paire avec la rigoureuse unité
de Nietzsche. Dans l'«Avant-propos» à la présentation éditoriale
des oeuvres complètes chez Adelphi, la libération de Nietzsche
des «fantômes» évoqués par les lectures et les interprétations
historiques est considérée comme le présupposé pour son «action»
sur le public, et l'une comme l'autre sont fondées sur la possibilité
d'accéder à la «totalité» et à l'«unité» de Nietzsche, qui ne
sont démenties qu'en apparence par le «fouillis multicolore» de
ses oeuvres qui semblerait justifier les perspectives variées
des interprétations. L'édition critique n'est que la voie «la
plus laborieuse», mais nécessaire, pour restituer ce que Colli
appelle l'«entéléchie» de Nietzsche 34.
2. La dimension exotérique et rhétorique de la volonté de puissance
est minée par un mouvement contraire de pensée, confié par contre
à l'expression ésotérique, que Colli analyse dans la destruction
du sujet et, plus loin, dans le «nihilisme» nietzschéens. Même
si, chez Nietzsche, la référence à la volonté unique de Schopenhauer
tombe (et il la fragmente en une pluralité de centres de volonté),
le présupposé substantiel demeure toutefois, puisqu'«il n'est
pas de volonté de puissance sans un sujet qui la soutienne, c'est-à-dire
un sujet substantiel, car tel est le discours métaphysique 35», de sorte qu'une «démolition radicale du sujet vide la volonté
de toute consistance intrinsèque 36 ». Dans cette intime contradiction, Colli a vu le motif probable
de l'abandon du projet d'une «oeuvre systématique» par Nietzsche.
Dans la postface aux Fragments posthumes 1887-1888, la dissolution
du thème de la volonté est analysée sur la base de la critique
de la notion de sujet, qui a échappé à l'attention de la philosophie
contemporaine, sans doute à cause de la «tradition infidèle de
La Volonté de puissance 37», et dans laquelle Colli voit la prestation théorique majeure
de Nietzsche. Là aussi Colli conclut à une intime opposition entre
formulation ésotérique et exotérique chez Nietzsche: «Face à cette
critique tout à fait radicale des conditions, des instruments
et des produits de la connaissance, la nouvelle métaphysique de
facture schopenhauerienne, élaborée par Nietzsche à l'époque de Par-delà bien et mal et de La Généalogie de la Morale, semble vaciller. L'extension et la maturation de la critique
du "sujet" ne peuvent que se répercuter [...] sur la conception
même de l'action et de la volonté. [...] Le concept métaphysique
de volonté de puissance, débarrassé de toute référence à un sujet
permanent, menace ainsi de s'effondrer 38.»
Dans ce même texte, l'assaut de Nietzsche à l'endroit des consistances
métaphysiques du logos est suivi par Colli à travers le thème
de la «philosophie du mensonge». D'un côté, elle est la transfiguration
de l'«échec théorique» dans la recherche de vérités solidement
établies, de l'autre elle constitue la forme spécifique du «nihilisme
positif» de Nietzsche. À côté d'une connotation «négative» du
nihilisme comme «décadence» qui doit être vaincue, Colli met en
évidence une «acception positive», dans laquelle le nihilisme
se présente comme «une phase nécessaire ouvrant la voie à une
vie authentique et affirmative 39».Le scepticisme radical et destructeur de la philosophie du mensonge
qui, à son tour, est qualifiée de «pessimisme théorétique» débouchant
sur un «optimisme vital» reflète justement ce second aspect 40.En réalité, Colli voit dans la dimension théorétique du nihilisme
un des points de plus grande proximité entre Nietzsche et la nature
de la pensée grecque avant sa dégénérescence en rhétorique ou
en «philosophie» systématique, et c'est dans ce sens qu'il faut
comprendre l'observation selon laquelle Nietzsche n'a pas eu conscience,
malgré le fait que ses propres présupposés l'y conduisent, de
l'«abîme» qui sépare la dialectique grecque de celle moderne 41.La conjonction entre nihilisme théorétique et optimisme vital
propre au nihilisme positif de Nietzsche est en fait mis en évidence,
dans Philosophie de l'expression, comme une caractéristique essentielle
des prestations dialectiques de Zénon d'Élée. Ce que Colli appelle
ici, et dans La Naissance de la philosophie, l'«outrecuidance» de Zénon - le fait que la «destructivité dialectique»
atteint chez lui un tel degré de puissance et d'universalité qu'elle
se transforme en nihilisme théorétique «devant lequel toute croyance,
toute conviction, toute rationalité constructive, toute proposition
scientifique apparaissent illusoires et inconsistantes 42»- a en fait pour résultat de confirmer la conviction, commune,
selon Colli, aux philosophes présocratiques, de la nature relative,
purement expressive et non substantielle du logos. En tant que
«les sages de cette époque archaïque - et c'est une attitude qui
durera jusqu'à Platon - concevaient la raison comme un "discours"
sur quelque chose d'autre, un logos qui, justement, ne fait que
"dire", qui exprime une chose différente, hétérogène 43», le caractère destructeur de l'exercice zénonien de la rationalité
est une revendication paradoxale de l'altérité du fondement, de
l'immédiat par rapport au logos et au monde de l'apparence. Dans
la procédure dialectique, Zénon désobéit à l'interdiction de suivre
la voie du «n'est pas» - proposé par Parménide dans la conviction
que l'exercice destructeur de la dialectique pourrait impliquer
l'«origine divine» et cachée du logos - mais de cette manière
il vint réellement au secours de son maître, comme le suggère
le Parménide de Platon, consentant un accès au fondement extra-rationnel
libéré de l'apparence et du logos. L'analyse du Parménide de Platon
avait été à l'origine de la reconstruction par Colli du nihilisme
positif de la dialectique zénonienne, qu'il considérait comme
un «sommet de la théorie de la raison» dans la pensée grecque.
Déjà dans Nature aime se cacher, le thème central du Parménide,
introduit dans la première partie du dialogue par la question
de Socrate sur l'extensibilité aux idées de l'aporie exposée par
Zénon pour les choses sensibles, apparaît à Colli comme l'annihilation
de la théorie des idées et de «toute construction rationnelle
possible»:
Le but véritable de la seconde partie du Parménide est précisément
de démontrer à satiété que la connaissance du noumène est impossible
à atteindre par cette voie, rendant totalement définitif le résultat
de la première partie du dialogue. La rationalité hellénique révèle
ici sa plus profonde nature, qui est de s'annuler elle-même, de
montrer le caractère illusoire du monde comme représentation.
La déclaration selon laquelle les idées sont inconnaissables n'est
abandonnée que pour être placée ensuite sous une lumière plus
intense et amplifiée en condamnation universelle de la raison
44.
Le «nihilisme positif» de Nietzsche n'est pas seulement en affinité
avec ce caractère autodestructeur de la raison grecque, à son
comble dans la dialectique zénonienne, mais il en partage aussi
la finalité et le dispositif. Vient ici en lumière un des aspects
certes les plus surprenants de l'interprétation de Colli, qui
nous présente l'itinéraire de Nietzsche comme un parcours à rebours
des étapes qui ont mené la pensée grecque de la «sagesse» des
présocratiques (ancrée à son tour, pour Colli, dans la connaissance
mystique et dans la mania des mystères éleusiniens) au projet
platonicien de donner une expression rationnelle et systématique
au fondement nouménique (dont le Parménide représente l'éclatant
démenti). La dialectique «employée au sens premier du terme» c'est-à-dire,
comme le précise La Naissance de la philosophie, «signifiant proprement
"art de la discussion", d'une discussion réelle, entre au moins
deux personnages vivants, et non pas issus de l'imagination d'un
auteur 45»,maintient dans un double sens une référence à l'origine, au détachement
primitif de l'expression du fondement extra-représentatif. En
premier lieu, comme on l'a vu, les instruments de la rationalité
sont employés ici dans un sens destructeur, pour libérer l'immédiat
de toute contamination phénoménale et discursive; en second lieu,
l'oralité maintient la dialectique en deçà de la limite marquée,
dans l'aventure de la pensée grecque, de l'avènement de l'écriture
qui, selon Colli, comme nous le verrons, permet au logos de revendiquer
un statut d'autonomie et de substantialité qui se substitue au
contact avec l'immédiat dont il est, à l'origine, l'expression.
Dans une telle perspective, Colli voit dans la dialectique le
lieu de passage entre «l'origine de la sagesse grecque [...] dans
la mania, dans l'exaltation pythique, dans une expérience mystique
et mystérique», et «l'élaboration d'une pensée abstraite, rationnelle,
discursive 46».Il s'agit du même lien que Colli identifie, chez Nietzsche, entre
le «nihilisme positif» et la reproposition du dionysiaque. Dans
la postface au Zarathoustra, Colli avait parlé, à propos de l'«immédiateté
dionysiaque», d'une dimension tout à fait particulière de mysticisme,
«qui ne fait pas nécessairement allusion à une expérience mystique
inaccessible47»; et dans celle qu'il consacrera aux Fragments posthumes 1884-1885,
qui confirment à ses yeux le caractère intimement «grec» de Zarathoustra,
au-delà du mythe perse et de l'emploi parodique du langage biblique,
la «philosophie de Dionysos» nietzschéenne est mise en relation
avec l'«expérience mystérique des Grecs» et avec l'univers sapiential
qui s'y rattache: «La Grèce revient alors au premier plan, puisque
la sagesse la plus haute n'avait été conditionnée ni par l'écriture
ni par la parole. Et, de fait, Nietzsche ne fait que revenir à
ce qu'il avait déjà indiqué : son concept de "dionysiaque" était
une allusion précise à cette expérience 48.»
Mais également la reformulation du dionysiaque dans cette phase
de la pensée nietzschéenne ne se soustrait pas à la stylisation
théorétique rigoureuse, qui caractérise, comme nous l'avons déjà
vu, la grécité de Nietzsche, depuis le refus d'une version vitaliste
de l'«action» à l'affinité avec l'outrecuidance rationnelle de
Zénon. Conformément à la fonction cognitive de l'extase dionysiaque
et des mystères, dans laquelle la perte du principium individuationis dans la mania n'indique pas l'état «d'une exténuation soporifique, d'une perte
totale de la conscience», ni d'une «gesticulation animale», mais
«libère un surplus de connaissance 49»le dionysiaque de Nietzsche, lui aussi, subit dans cette phase
une correction décisive: «Aux yeux de Nietzsche, le concept de
"dionysiaque" s'est donc approfondi: l'aspect orgiaque, exalté,
n'en constitue plus le centre [...] Ce qui lui vient à l'esprit,
ce n'est pas la vie immédiate, pure et simple, sans qualités,
mais la vie comme conquête cognitive, comme sommet de l'homme.
"Il ne fait pas de doute que les Grecs ont cherché à interpréter,
à partir de leurs expériences dionysiaques, les mystères ultimes
de la 'destinée de l'âme' ... voilà la grande profondeur, le grand
silence - on ne connaît pas les Grecs aussi longtemps qu'à ces
questions l'accès souterrain et dissimulé demeure enseveli" (41[7]).
C'est donc l'expérience mystérique des Grecs qui est placée au
centre de cette énigme. L'"accès souterrain" conduit à une vision
mystique. Et de fait, Nietzsche avait déjà dit qu'en Grèce, la
foi mystérique consistait dans l'intuition de l'éternel retour
50.»
Pour commentaire de la doctrine de l'éternel retour, et invoquant
le fragment 26[416] de 1884 sur l'amor dei de Spinoza, Colli avait rapproché la connaissance intuitive spinozienne
de la «reconnaissance de l'état mystique comme sommet de la vie
philosophique chez Nietzsche 51». La mention de Spinoza n'est pas due au hasard.Déjà dans Nature aime se cacher et dans les Lezioni sul Parmenide platonico de 1949/1950, Colli avait fait intervenir la cognitio intuitiva - tout d'abord éclairée par l'exemple d'une proposition arithmétique,
puis, en tant que source de l'amour intellectuel de Dieu, connotée
comme «un mode de vie continuel, un élan mystique coïncidant précisément
avec cette intériorité pure [...] un sentiment extatique qui s'épuise
dans son immédiateté, et non une intuition formelle qui est le
principe d'une discontinuité rationnelle 52»- pour éclairer la forme de connaissance mystique, et non pour
autant rigoureusement théorétique, qui se cache dans l'identification
platonicienne de la connaissance de l'idée avec l'intuition mathématique,
et pour accéder de cette manière à une interprétation de la théorie
platonicienne des idées qui la verrait enracinée dans une origine
mystérique et sapientielle, bien que par la suite dégénérée 53.Dans Nature aime se cacher, et dans les Lezioni, Colli mentionnait la double référence de Schopenhauer, avec
Platon et Spinoza, alors que dans Le Monde comme volonté et représentation, la connaissance de l'idée est présentée comme perte du principe
d'individuation et élévation de l'individu intuitif au statut
de pur sujet du connaître. Le «contact» justement entre sujet
et objet du connaître, dépouillés de leurs déterminations phénoménales,
et dans lesquelles toutefois, la condition représentative est
maintenue dans la chute de l'individuation spatio-temporelle,
constitue pour Colli la structure de la traduction expressive
du «véritable état dionysiaque» avancée dans le Phédon 64a-69e. À une condition d'intériorité nouménique atteinte, alors
que l'individu s'est libéré des déterminations de l'apparence,
correspond chez Platon l'intuition de l'objet sub specie aeternitatis comme idée. «Tout ceci, conclut Colli, est pur mysticisme philosophique
[...] Aucune activité rationnelle ne peut être attribuée à la
psyché telle qu'elle est présentée dans ces pages; sa fixité exclut
tout processus discursif, son unité et sa simplicité excluent
la faculté de jugement 54.»De cette manière, l'intérêt précoce de Colli pour le platonisme
de Schopenhauer, plutôt que pour la métaphysique de la volonté,
et l'opposition identifiée entre la «philosophie de Dionysos»
et la théorie de la volonté de puissance chez Nietzsche, se rejoignent
pour former un cadre de grande cohérence interprétative. Dans
ce contexte, il est significatif que Colli ait mis en relief,
contre Nietzsche même, le lien de continuité entre la pratique
des mystères gardés par Dionysos et le développement du logos,
jusqu'à établir qu'en Grèce, mysticisme et rationalisme ne sont
pas «antithétiques», mais plutôt «deux phases successives d'un
phénomène fondamental 55». La limite de Nietzsche continue d'être, aux yeux de Colli, une
résolution en termes esthétiques de l'apollinien, qui, à son tour,
induit à voir sous la forme d'un antagonisme la relation entre
Dionysos et Apollon. La question est résumée en ces termes dans Après Nietzsche : «L'aspect solaire, lumineux et fulgurant, la splendeur de l'art,
un caractère qui est peut-être postérieur à Apollon, a été mis
au premier plan par Nietzsche. Ainsi le lien vital lui a-t-il
échappé entre Apollon et Dionysos, sous l'aspect de la transe,
de la possession mystique, sous l'aspect du conflit, du défi,
de la perfidie, de l'énigme, la connexion entre l'origine apollinienne
et la floraison du logos, l'arme suprême de la violence, la plus
mortelle des flèches décochées par l'arc de la vie 56.»Au contraire, ce qui compte pour Colli c'est la relation d'affinité
entre Dionysos et Apollon. S'appuyant en particulier sur le Phèdre,
qui fait provenir «mantique» de mania, et sur des découvertes
mythographiques concernant l'origine asiatique et nordique d'Apollon
(l'Apollon hyperboréen, lié au chamanisme et aux techniques de
l'extase), Colli peut établir qu'«Apollon et Dionysos ont une
affinité fondamentale justement sur le terrain de la mania 57».La mania de Dionysos et des mystères éleusiniens se déploie ainsi sur
fond du phénomène de la divination et est la matrice de la sagesse;
Apollon et l'oracle delphique en sont le développement dans le
domaine de la parole et de la rationalité. Dans l'oracle d'Apollon,
Colli revient surtout sur le thème de l'énigme comme phase aurorale
du logos, dont le rituel dialectique atténuera ensuite la charge
agonistique mortelle, et il fait ainsi d'Apollon le père de la
dialectique zénonienne: «L'instigation à interpréter, l'obscurité
de la parole comme incitation à la lutte, la formulation antithétique
de l'énigme: voilà les éléments apolliniens qui vont subsister
dans la dialectique. Le caractère d'Apollon va apparaître à nouveau
dans l'implacable volonté de victoire de celui qui discute, sa
violence se traduira dans le lien de nécessité qui contraint l'argumentation
de la raison 58.»
3. Jusqu'à présent nous avons essayé de résumer certains aspects,
qui nous semblaient déterminants, d'une interprétation qui voit
en Nietzsche le point d'encrage de la pensée moderne, et à travers
laquelle il est toutefois possible de «prendre à rebours» la rationalité,
d'en reconstruire les moments génétiques jusqu'aux origines archaïques.
Rien ne révèle mieux, sans doute, cette fonction de Nietzsche
que la place que Colli lui assigne par rapport à l'écriture. Le
destin de littérateur, d'homo scribens, est avant tout le signe du lien de Nietzsche avec l'actualité
59.Pour Colli, l'écriture est un événement fatal et décisif dans
l'histoire de la pensée occidentale; c'est là que commence véritablement
la «philosophie», c'est là qu'elle se constitue, en rapport à
la persuasion rhétorique et se détachant du terrain de l'oralité,
vu au contraire comme le présupposé de la dialectique et de la
sagesse des présocratiques, auquel on ne peut renoncer. À ce titre,
la Septième lettre de Platon est d'une valeur décisive. Colli y indique «une base
et un point de référence pour de nouvelles perspectives d'une
compréhension historique globale» de l'évolution de la pensée
grecque 60.La signification de la Septième lettre est «claire et univoque», et l'impossibilité qui y est déclarée
de communiquer par écrit le sommet du savoir, la «connaissance
extatique [...] qui s'est produite dans une vie communautaire,
à travers l'investigation rationnelle du maître et des disciples
61» n'est pas seulement indicative du primat à assigner au Platon
mystique par rapport au Platon systématique pour dissoudre le
«mythe du rationalisme platonicien», mais se reflète sur toute
l'évolution de la pensée grecque, dans son passage de la sagesse
à la philosophie. Philosophie de l'expression explique comment l'écriture, née comme instrument nouménique
62, transforme ensuite le discours vivant, encore attaché au fond
vital, en substance autonome. L'écriture fixe et amplifie la fonction
«spectaculaire» de la parole, alors qu'elle est portée au-delà
du cercle restreint des protagonistes de la discussion dialectique
pour toucher un public plus vaste, mais anonyme et défini exclusivement
en tant que spectateur passif. Déjà la stichomythie de Sophocle
annonce le passage du langage dialectique dans la sphère publique,
et ici, «la parole s'adresse à des profanes, qui ne participent
pas à la discussion, mais ne font qu'écouter 63». Tandis que dans le cercle restreint des dialogants, «la polyvalence
de la parole» est contrôlée et la communauté des interlocuteurs
en surveillent continuellement l'adéquation expressive au fond
vital, rien n'empêche plus au contraire la parole de se constituer
en substance autonome, en «objet», alors que l'écriture fixe de
manière définitive la dégénérescence «spectaculaire» de l'expression.
«Le mot proféré, [...] et sa durée temporelle fugitive - lit-on
dans une note contemporaine à Philosophie de l'expression - trouvent un apaisement dans le mot écrit, quelque chose qui
perdure dans le temps et qui peut être localisé, rendu visible
et manifeste, dans un objet spatial [...] Le mot prononcé évanescent
se fixe en un spectacle, dans lequel l'objet qui a trouvé son
caractère immuable se fige face à un contemplateur. Celui qui
avait prononcé un mot, qui était, alors, lui-même lié à ce mot
qu'il prononçait, s'en est maintenant détaché, et ce n'est plus
qu'un miroir: le mot est devenu un objet contemplé 64.»À la lumière du parallélisme que Colli instaure entre le passage
du discours oral à celui écrit, et le passage de la sagesse à
la philosophie, où l'écriture détermine justement l'accréditement
des formes du logos comme substances, l'évolution stylistique
de Nietzsche acquiert également une importance décisive. Elle
n'est pas considérée comme événement littéraire autonome, mais
plutôt comme la manifestation d'une tentative toujours plus forte
de la part Nietzsche de sortir de la tradition de la philosophie
écrite. Déjà en tant que telle, la forme aphoristique apparaît
à Colli comme une agression décisive au lien pensée-écriture.
Dans la première phase, le style de Nietzsche montre la prédominance
de l'écriture sur la pensée et «un discours unique qui se développe
et s'étend, avec les circonvolutions et les ondoiements d'une
pensée qui prend sa forme à mesure que l'écriture avance 65»; l'aphorisme réduit au contraire la fonction de l'écriture à
une simple «reproduction» d'une pensée déjà «totalement maîtrisée»
avant qu'elle n'intervienne. «Et cette mutation stylistique -
conclut Colli - traduit une conquête de connaissance. La pensée
qui se déployait en même temps que l'écriture était discursive
dans son essence et sa réalisation [...] Après, la pensée s'impose
comme un éclair, et elle est communiquée la plupart du temps dans
sa vibration immédiate 66». L'oeuvre de Nietzsche est de telle manière traversée par une
volonté de réforme expressive qu'elle fait allusion à «une sphère
de communication excluant l'écriture 67», et qui trouve en Zarathoustra sa plus haute réalisation. La grécité de Zarathoustra ne se manifeste
pas seulement dans certains thèmes centraux que Colli a mis en
évidence 68,mais surtout dans la forme, qui est l'objet principal de l'attention
de Colli dans les deux postfaces à l'oeuvre, en 1968 et en 1976.
Dans cette dernière, le texte de Zarathoustra est comparé au cycéon, la drogue de miel et d'orge trituré des
mystères éleusiniens, qui est conçu comme un «conglomérat de particules,
noyées dans le miel du mythe de Zarathoustra». Colli repropose
justement le thème de l'éclair de la pensée aphoristique, isolé
dans sa dimension intuitive et détaché ainsi de la discursivité
de la pensée dominée par l'écriture: «Mais l'orge trituré qui
constitue le tissu moléculaire de l'oeuvre n'est autre qu'une
mélange de connaissances intuitives à l'état naissant, et le miel
de la narration dans lequel ce matériau est agité ne peut qu'en
accroître la puissance de communication immédiate 69».La connaissance à l'état naissant, ou capable de communication
immédiate, est pour Colli, ce qui compte sous le manteau narratif
du mythe et de son intention exotérique, et c'est le même thème
qui apparaît dans la postface de 68 où, encore une fois, la conquête
stylistique ne vaut pas pour sa dimension littéraire autonome,
mais comme expression fonctionnelle à l'état dionysiaque touché
par Nietzsche, puisque sa forme est révélatrice d'une tentative
particulière de communication, où «ce qui importe surtout c'est
ce que l'on veut communiquer 70».La «réforme révolutionnaire de l'exposition philosophique» mise
en oeuvre ici rend de ce fait difficile la classification du Zarathoustra parmi les oeuvres philosophiques; pour Colli, Nietzsche est allé
au-delà des conditions d'origine de la philosophie, et Zarathoustra apparaît comme une colossale prestation de la mémoire, qui est
parvenue à traverser la «trame interprétative» du monde de l'expression
pour conquérir l'état des «expressions naissantes», et communiquer
de cette manière «un état d'immédiateté extra-représentative».
C'est précisément sur Zarathoustra que Colli a pu écrire ce qui,
probablement, résume le mieux le sens et l'issue de son interprétation
de Nietzsche:
«Et enfin le signe culminant, le caractère plus élevé de l'oeuvre:
Zarathoustra est l'homme qui a recueilli la connaissance mystérique,
et son action - la plus simple et la plus féconde, n'est autre
qu'un reflet de cette connaissance sur les hommes. La valeur la
plus haute de la vie dans la connaissance, et la réabsorbtion
de toute action dans la connaissance: de cela seuls les Grecs
ont été le modèle 71.»
NOTES
1. De La Sagesse Grecque, prévue en 11 volumes, ne sont parus, du vivant de Colli, que
les volumes I et II (1977 et 1978), le troisième, publié posthume
en 1980, a été complété par Dario del Corno [traduction française,
l'éclat, 3 voll., 1990-1992]. Sur les caractères de cette entreprise
et les critères éditoriaux, cf. Dario del Corno, «Colli e la sapienza
greca» in Giorgio Colli, Incontro di studio, a cura di S. Barbera e G. Campioni, Milano
1983, pp. 55 sq. Dès 1955, avec l'édition et la traduction de
l'Organon d'Aristote, Colli s'était attaché à l'édition et la
traduction de textes de philosophie antique.R
2. Dans l'introduction au volume I de La Sagesse Grecque, Colli
avait signalé un précédent de la thèse nietzschéenne de la conciliation
de l'apollinien et du dionysiaque dans la Symbolik et dans le Dionysus de Creuzer; cf. La Sagesse grecque, I, p. 38.R
3. «Intervista a Giorgio Colli», in Librioggi, nov. 1978.R
4. Giorgio Colli, Natura ama nascondersi. Studi sulla filosofia greca (1948), IIe éd. Adelphi, Milan 1991 [Nature aime se cacher, trad. fr. Patricia Farazzi, l'éclat, 1994]. Intégrés dans un
projet unitaire qui préfigure les thèmes successifs de l'enquête
de Colli sur la pensée grecque, le volume comprend des essais
sur Aristote, la chronologie des présocratiques, Parménide, Héraclite,
Empédocle, et sur les différentes phases de la pensée de Platon.
Colli avait en réalité commencé son travail dans le domaine de
l'histoire de la philosophie antique par un long essai intitulé
«Lo sviluppo del pensiero politico di Platone», in Rivista storica, XXVIII 1939, pp. 169-72, 449-75, qui est une partie de sa thèse
de maîtrise.R
5. Nature aime se cacher, cit. p. 12. La référence à la Griechische Kulturgeschichte de Burckhardt, utilisée et mentionnée ici, est une constante
de la méditation de Colli sur le monde grec, jusqu'à l'introduction
déjà citée de la Sagesse grecque, et l'importance que Burckhardt accordait à la présence du principe
agonistique dans le monde grec est sans doute fondamentale pour
lui.R
6. Préface à «Sullo studio della Storia» de Burckhardt (1958)
désormais in G. Colli Pour une encyclopédie des auteurs classiques (1983), tr. fr. J.-P. Manganaro & D. Dubroca, C. Bourgois, Paris,
1990, p. 119 [traduction modifiée; en effet au lieu de «... qui
nous ouvre (schiude) la possibilité d'une action » on lit : «qui
nous ferme la possibilité d'une action».]R
7. Nature aime se cacher, cit., p. 206. Sur ces thèmes cf. G. Campioni, «Mazzino Montinari
in der Jahren von 1943 bis 1963», Nietzsche Studien XVII (1988) et du même, «Colli interprete di Nietzsche», in Giorgio Colli, cit., pp. 19 sq.R
8. G. Colli, Ecrits sur Nietzsche (1980), tr. fr. Patricia Farazzi, l'éclat, Paris, 1996, p. 28.R
9. Ibid., p. 14.R
10. Ibid., p. 15.R
11. Ibid., p. 21.R
12. G. Colli, Après Nietzsche, (1974), tr. fr. P. Gabellone, l'éclat, IIe éd. 2000, p. 123.R
13. Ecrits sur Nietzsche, cit. p. 49 sq.R
14. Ibid., p. 53 (1967). Le même point de vue est exprimé dans
le fragment [121] de CP III(Giorgio Colli, Nietzsche Cahiers posthumes III, tr. fr. P. Farazzi l'éclat , 2000) : «Laissant de côté le fond
indien-schopenhaurien-pessimiste (...) Nietzsche met l'accent
sur la philosophie grecque (Présocratiques) et sur son optimisme.
Dans la pensée moderne, les développements rationnels ne l'intéressent
pas (Kant), mais seulement l'optimisme amoral et mystique de Spinoza
et les obscures intuitions de Goethe. Son unique modèle - dont
il peut tirer une force (l'histoire «monumentale») - restera toujours
pour lui le monde présocratique, surtout Héraclite et Empédocle
(plus encore que l'art tragique, qui ne dure pour lui qu'une saison).»
[N.d.t. : L'ensemble des cours sur les Présocratiques tenus entre
1872 et 1873 à Bâle, ont été publiés pour la première fois en
français, à partir des manuscrits, sous le titre Les Philosophes préplatoniciens, édition établie par Paolo D'Iorio et Francesco Fronterotta,
tr. fr. Nathalie Ferrand, l'éclat, Paris, 1994.]R
15. C'est ainsi que Colli caractérise Burckhardt dans sa préface
à Letture di storia et di arte (1962) Voir Pour une encyclopédie, cit., p. 125.R
16. Après Nietzsche, cit. p. 79.R
17. Ecrits sur Nietzsche, cit., p. 39. Le thème est développé avec ampleur également dans
Après Nietzsche, dans l'aphorisme «L'enchantement de l'histoire», p. 28.R
18. Ecrits sur Nietzsche, cit., p. 38-39.R
19. Philosophie de l'expression (1969), tr. fr. M.-J. Tramuta, l'éclat, 1988, p. 21. Dans une
longue note du 18 avril 1966, ce même extrait se termine sur l'observation
que « l'action en dehors de la connaissance n'existe pas » cf.
Philosophie de la distance Cahiers posthumes I (CPI), tr. fr. P. Farazzi, l'éclat, 1999, fr. [241].R
20. Philosophie de l'expression, cit., p. 30.R
21. Ibid., p. 16.R
22. « Le contact sera quelque chose où sujet et objet ne sont
pas distingués et, plus précisément, ce dont une expression primitive
est l'expression [...] L'impression sensorielle renvoie donc à
un fondement ultérieur : il résulte de cela qu'on postule une
confluence dans laquelle sujet et objet cessent d'être tels. Si
l'on interprète l'irreprésentable conformément à la structure
représentative, on peut dire qu'il est le contact entre le sujet
et l'objet. » Philosophie de l'expression, cit., p. 44-45.R
23. Philosophie du contact, Cahiers posthumes II (à paraître) fr.[271].Cf. également CPIII [272] : «Aristote parle
d'aisthèsis comme donnée immédiate, comme contact, immédiateté,
et nous, nous savons que cela n'est pas vrai. Schopenhauer parle
de volonté comme noumène, comme immédiat, etc. et là aussi, nous
savons que ce n'est pas vrai.»R
24. Idem.R
25. Ecrits sur Nietzsche, cit., p. 135. Toutefois la filiation de la volonté de puissance
à partir de la volonté de Schopenhauer est déjà clairement établie
par Colli dès 1962. Cf. supra [119].R
26. Après Nietzsche, cit. p. 162.R
27. Ecrits sur Nietzsche, cit. p. 135.R
28. Ibid., p. 51.R
29. Ibid., p. 133-134.R
30. Ibid., p. 55-56.R
31. Cf. [79] supra ; les italiques sont de Colli. Cf. également,
Après Nietzsche, cit., p. 135 sq. «Comment on oublie le discours historique».R
32. Mazzino Montinari, Nietzsche lesen, Berlin/New York, 1982, p. 10. [in «La volonté de puissance» n'existe pas, établi par P. D'Iorio, tr. fr. Patricia Farazzi & M. Valensi,
l'éclat, 1996, p.13.] Montinari a toujours insisté sur l'inactualité
du Nietzsche de Colli, par exemple dans l'essai, publié en postface
à la traduction française de Philosophie de l'expression, «Souvenir
de Giorgio Colli», cit.R
33. Ces différences - et les discussions qu'elles ont suscitées
entre les deux éditeurs - sont maintenant illustrées dans le volume
de Giuliano Campioni, Leggere Nietzsche. Alle origini dell'edizione critica Colli-Montinari, ETS Pise, 1992, qui comprend les lettres de Montinari à Colli.
Colli, qui dès 1965 avait émis des réserves sur les critères de
l'édition De Gruyter, écrivait à Montinari le 5.10.1967 : «...
mais je veux dire qu'en hommage à Nietzsche (et tu dois bien garder
à l'esprit à quel point dans toute cette entreprise, l'aspect
"hommage à Nietzsche" est pour moi essentiel, comme est essentielle
l'idée de "favoriser l'action de Nietzsche sur le présent") et
selon mon intime conviction, une édition de Nietzsche devrait
être telle qu'elle aurait pu plaire à Nietzsche lui-même, et en
outre telle qu'elle puisse s'adresser surtout aux lecteurs non
techniciens. Ce qui explique mon aversion à l'égard d'une édition
type De Gruyter, où l'appareil hypertrophique est une condition
vitale. L'édition idéale serait pour moi celle où l'appareil se
contenterait d'ajouter du nouveau matériau "substantiel" pour
la connaissance de N., en plus des explications nécessaires à
des lecteurs qui ne seraient ni des idiots ni des pédants» (pp.
150-151). Ce texte, qui reflète certainement la manière de Colli
de concevoir le travail d'éditeur, doit toutefois être compris
dans le cadre d'un tournant plus général de son activité, de ces
années. Montinari a résumé ce tournant en affirmant qu'«à partir
de 1967 Colli considère achevée pour l'essentiel ce que fut sa
troisième grande initiative de culture adressée au public : l'"action
Nietzsche"» («Souvenir de Giorgio Colli», in Philosophie de l'expression, cit. p. 227). Des notes du journal de Colli de décembre 1966
témoignent de la décision de concentrer son activité sur l'interprétation
du monde grec, que l'action Nietzsche sur le public a désormais
rendue possible et préparée de manière essentielle. «D'autres
idées se présentent - écrit Colli - : on a suggéré de faire aussi
les Lettres de Nietzsche. Mazzino est à Berlin pour reprendre
les négociations avec De Gruyter. Mais ce projet ne m'enthousiasme
pas. Un autre projet encore s'est présenté, depuis novembre 1965
(initiative de Luciano [Foà (fondateur des éditions Adelphi])
puis a été abandonné parce que trop contraignant. Il s'agit d'une
encyclopédie du monde antique : l'idée a resurgi le mois passé
- et elle m'attire maintenant -. D'ici trois jours, Luciano viendra
à Fiesole avec ses trois jeunes pour en parler.» G. Colli, La Ragione errabonda, Adelphi, Mian, 1982, p. 601. Le projet grandiose d'une Encyclopédie
de l'Antiquité, un nouveau Pauly-Wyssowa, ne sera pas réalisé
(le 11.11.76, Colli en parle comme d'une «longue, entêtée, et
vaine aspiration») mais la conclusion de l'action de Nietzsche
coïncide précisément avec son engagement dans l'écriture philosophie
autonome (Philosophie de l'expression, «ma plus grand émotion», écrit Colli le 9.10.69) et dans le
travail qui aboutira à la nouvelle édition des Présocratiques.
On saura gré à Giuliana Lanata d'avoir publié dans Esercizi di Memoria, Levante, editori, Bari 1989 p. 129-144, le plan inédit de cette
encyclopédie et les notes de Colli s'y rapportant.R
34. Ecrits sur Nietzsche, cit., p. 9.R
35. Après Nietzsche, cit., pp. 77-78.R
36. Ibidem.R
37. Ecrits sur Nietzsche, cit., p. 143.R
38. Ibidem.R
39. Ibid., p. 147.R
40. Ibid., p. 146.R
41. Après Nietzsche, cit., p. 73.R
42. Giorgio Colli, La Naissance de la philosophie, (1975), tr. fr. C. Viredaz, L'Aire, Lausanne, 1981, p. 97.R
43. Ibid., p. 102.R
44. Nature aime se cacher, cit., p. 306. Cf. également, Giorgio Colli, Il Parmenide platonico. Lezioni di storia della filosofia antica, 1949-50, Pisa, s.d., p. 137 sq.R
45. La Naissance de la Philosophie, cit., p. 78. R
46. Ibid., p. 77. L'origine de l'argumentation dialectique est
à son tour à rechercher dans la sphère de l'agonisme. Dans la
dialectique, résonne sous une forme humaine, mitigée, rituelle,
le défi agonistique que le dieu lance à l'homme, par l'énigme,
en le provoquant au combat. Sur ces thèmes voir surtout, le chapitre
«Mysticisme et dialectique » dans La naissance de la philosophie.R
47. Ecrits sur Nietzsche, cit., p. 90.R
48. Ibid., p. 125.R
49. La Sagesse grecque, vol. I, cit. p. 18.R
50. Ecrits sur Nietzsche, cit., p. 126. voir également Cahiers Posthumes III, [505] note 29.R
51. Ibid., p. 123.R
52. Nature aime se cacher, cit., p. 299; et Lezioni cit., pp. 92-93.R
53. Nature aime se cacher, cit., p. 258-59.R
54. Ibid., p. 256.R
55.La naissance de la philosophie, p. 86. Également dans Philosophie de l'expression, cit. p. 158 sq.R
56. Après Nietzsche, cit., p. 32. R
57. Ibid., p. 31.R
58. Après Nietzsche, cit., p. 39.R
59. Ibid., p. 115.R
60. Préface aux Lettres de Platon, in Pour une encyclopédie... , cit., p. 28.R
61. Ibid., p. 28-29.R
62. Philosophie de l'expression, cit., p. 183 sq. Sur le lien mémoire-écriture, voir les très
belles pages sur Proust et Stendhal d'avril 1973 in Philosophie de la distance Cahiers Posthumes I [CPI], L'éclat, 1999 fr. [607].R
63. Philosophie de l'expression, cit., p. 184-85.R
64. CP I, [324].R
65. Après Nietzsche, cit., p. 117.R
66. Ibid., p. 118.R
67. Ibid., p. 125.R
68. «Mais l'original grec de cette traduction orientale n'est
pas difficile à découvrir, ne serait-ce que par les rappels instinctifs
et explicites aux Îles des bienheureux et à la doctrine de l'éternel
retour.» Ecrits sur Nietzsche, p. 99.R
69. Ibid., p. 94-95.R
70. Ibid., p. 88.R
71. Ibid. p. 99. R |