NOTES 13
«... deux méthodes pour résoudre ce problème»,
p. 113

L'agriculture et la 'fabriculture' (KODU et SIBI) ne sont que deux types d'énergie (PALI). Le KODU fournit de l'énergie concentrée aux personnes et le SIBI de l'énergie moins concentrée pour des applications secondaires. La possibilité de réalisation du BOLO'BOLO peut être ramenée à un problème d'énergie. Les théories, les conceptions et les technologies pour la production alternative d'énergie ont été abondamment développées au cours des dix ou quinze dernières années (Anory B. Lovins Stratégies énergétiques planétaires, Christian Bourgois, 1975) (voir aussi Commoner, Odum, Illich, etc.). La plupart des théoriciens alternatifs insistent aussi sur le fait que l'approvisionnement énergétique n'est pas un problème purement technique, mais qu'il dépend de la manière de vivre. Mais, pour des raisons de réalisme politique, les implications sociales en sont souvent minimisées. C'est par exemple le cas dans l'étude de Stobaugh (Stobaugh & Yergin, eds., Energy Future: Report of the Energy Project at the Harvard Business School, New York, 1979). À l'aide de la conservation d'énergie et de l'amélioration du rendement des machines et des générateurs (couplage force-chaleur), les auteurs promettent des économies d'énergie d'environ 40% sans aucun changement dans le niveau de vie ni dans les structures économiques. Alors que les besoins énergétiques de base ne sont pas remis en question, toutes sortes de mesures techniques et organisationnelles sont proposées pour résoudre le problème. C'est également vrai chez Commoner pour la stratégie du biogaz combiné à l'énergie solaire: l'approche est principalement technique (ou un peu politique quand il s'oppose aux multinationales du pétrole) et le système énergétique est conçu indépendamment des changements sociaux. (Commoner voulait être élu président des États-Unis en 1980). La voiture individuelle, la grande industrie, la cellule familiale, etc. ne sont pas remises en cause. Aux États-Unis, 58% de tout l'approvisionnement énergétique est utilisé pour le chauffage et la réfrigération, 34% pour le carburant (voitures, camions) et seulement 8% pour ces applications spéciales où l'électricité est spécifiquement nécessaire (Fritjof Capra, Le Temps du Changement, Éditions du Rocher, 1984). La plus grande partie de l'énergie est utilisée pour les transports et pour le double ou triple chauffage (conséquence de la séparation de l'habitat et du travail). Dans des conditions BOLO'BOLO, il devrait être possible de réduire les besoins énergétiques d'environ 30% par rapport à la situation actuelle. (Friedman, cf. note 3, fait à peu près les mêmes prévisions pour sa civilisation de fermiers modernisés.) La production d'énergie ainsi réduite peut être assurée par l'électricité hydro-électrique (rivières, marées, etc.), l'énergie solaire et géothermique, les cellules photo-voltaïques, la chaleur des lacs et des mers (en utilisant des pompes à chaleur), le biogaz, l'hydrogène des algues, les éoliennes, le bois, le charbon et le pétrole. Bien que le charbon soit présent en grande quantité et en suffisance pour de nombreux siècles, il y a de graves arguments contre l'extension de son emploi: le problème du CO2, les pluies acides, les dangers de l'extraction, la destruction des paysages, les coûts de transport. Il n'y aura ni 'âge du charbon' ni 'âge solaire', mais un réseau de circuits soigneusement adaptés, petits et diversifiés, qui réduiront le flux énergétique contrôlé centralement. La production d'énergie solaire à grande échelle demande des investissements industriels considérables (métal, canalisations, collecteurs, équipements de stockage, installations électroniques et électriques, etc.) qui, à leur tour, ne peuvent être produits qu'à coup de grandes dépenses d'énergie et de travail industriel de masse. 'Décentralisation' ne signifie pas nécessairement indépendance des grands producteurs (comme le prouve l'exemple des voitures 'décentralisées' qui ont remplacé les chemins de fer 'centralisés'). Les systèmes énergétiques alternatifs risquent d'introduire un nouveau type de travail à domicile décentralisé comme ce fut le cas au dix-neuvième siècle. Même un flux d'énergie alternatif (sans trop de dégâts pour l'environnement) risque de nous obliger à la vigilance permanente, à la discipline, à la sélection des contrôleurs et à la hiérarchie. La nature sera ainsi préservée, mais pas nos nerfs. Il n'y a pas de solution autre que la réduction absolue et la diversification du flux énergétique, grâce à de nouvelles combinaisons sociales et de nouveaux styles de vie.

C'est une perversité de considérer la réduction de la consommation d'énergie comme une sorte de renonciation (comme cela apparaît chez Jeremy Rifkin, Entropy, New York, 1980). L'utilisation d'énergie suppose toujours du travail. La grande consommation énergétique n'a pas réduit le travail mais n'a fait que rationaliser le processus de travail et transposer les efforts vers le domaine du travail psychosensoriel. Seule une petite partie d'énergie est utilisée pour remplacer l'effort musculaire. (D'ailleurs ce genre d'effort n'est pas désagréable par lui-même, mais il est devenu monotone et unilatéral. Dans les sports cet effort est même considéré comme une sorte de plaisir.) À l'exception des transports, il n'y a que très peu de plaisirs qui soient procurés par une grande dépense d'énergie non humaine. Pour cette raison, les moyens de transports seront plutôt consacrés au transport des personnes pour leur plaisir (voir: FASI). Beaucoup d'écologistes ont de la peine à imaginer une civilisation dont les plaisirs ne soient pas consommateurs d'énergie, c'est pourquoi ils considèrent la réduction d'énergie comme une sorte de sacrifice (envers la nature), une forme d'ascèse et de punition pour nos extravagances actuelles. Nous devons être punis pour notre 'hédonisme'. C'est bien ce qui risque d'arriver si nous acceptons une politique de restrictions énergétiques sans revendiquer, en même temps, un nouveau style de vie qui comporte peu de travail et beaucoup de plaisirs. Les écologistes ont-ils oublié que la plupart des plaisirs ne nécessitent presque pas d'apports énergétiques non humains: l'amour, la danse, le chant, les drogues, les repas, la transe, la méditation, la vie sur la plage, le rêve, le bavardage, le jeu, le massage, le bain...? Seraient-ils à ce point fascinés par la culture de consommation de masse qu'ils ne prêchent que pour dominer leurs démons internes? Il est vrai que l'économie d'énergie finit par devenir un problème moral si les conditions sociales ne sont pas attaquées au même moment.

Le flux d'énergie industrielle détruit nos meilleurs plaisirs car il suce notre temps, ce temps qui est devenu le plus grand des luxes. L'énergie mange du temps et ce temps c'est justement celui dont on a besoin pour la production de l'énergie, pour son utilisation, pour sa domination et son contrôle. Moins d'énergie (externe), cela signifie plus de temps et d'énergie pour de nouveaux ou d'anciens plaisirs, faire l'amour plus souvent l'après-midi, plus de savoir-vivre, plus de raffinements et de contacts humains. Certes, nous aurons besoin de software pour pouvoir jouir – heureusement ce software existe, depuis des milliers d'années. Après 1492 la redécouverte du continent Loisiria sera le prochain grand pas de l'humanité. Les prophètes du sacrifice seront déçus: nous ne serons pas punis pour nos 'péchés' et nous entrerons sans remords dans le paradis de la réduction d'énergie.

Comme la consommation d'énergie à usage mécanique sera très faible, il y aura toujours assez d'énergie pour les travaux pénibles, pour l'agriculture et les machines. L'agriculture, par exemple, utilise 1 à 3 % des ressources énergétiques (c'est-à-dire l'agriculture actuelle, industrialisée et mécanisée). Il n'y aura pas de retour au travail pénible. [N.d.t. : merci.]