7. «... Ils peuvent être doux ou brutaux, passifs-contemplatifs ou actifs-extravertis», p. 94.

Les BOLOs ne sont pas d'abord des systèmes de survie écologiques, car, s'il ne s'agissait vraiment que de survivre, pourquoi se donner tant de peine? Les BOLOs sont un cadre pour le développement de toutes sortes de styles de vie, de philosophies, de traditions et de passions. BOLO'BOLO n'est pas un style de vie en soi, mais simplement un système flexible de limites (biologiques, techniques, énergétiques, etc.). Pour la détermination de ces limites, la pensée écologique et alternative peut être utile, mais elle ne devrait jamais être utilisé pour déterminer le contenu des différents styles de vie. (Le fascisme avait, lui aussi, ses éléments biologiques et idéologiques...) Au cœur du BOLO'BOLO il y a NIMA (l'identité culturelle) et non la survie. Pour cette même raison, le NIMA ne peut pas être défini par le BOLO'BOLO, il ne peut qu'être vécu directement. On ne propose pas d'identité particulière 'alternative' (menu santé, chaussures indiennes, habits de laine, mythologie bio, etc.).

La fonction cruciale que revêt l'identité culturelle est illustrée par le destin des peuples colonisés. Leur misère actuelle n'a pas commencé par une exploitation matérielle mais par la destruction plus ou moins planifiée de leurs traditions et religions par les missionnaires chrétiens. Même dans les conditions actuelles, beaucoup de ces nations pourraient se trouver plus à l'aise, mais elles ne savent plus comment et pourquoi elles devraient améliorer leur sort. La démoralisation est plus profonde que l'exploitation économique. (Les nations industrielles, elles aussi, ont été démoralisées de la même manière, mais il y a plus longtemps et cela fait maintenant partie de leur culture standard.) Dans les îles Samoa occidentales, il n'y a pas de famine, presque pas de maladies et la charge de travail est faible. (Ceci est principalement dû à la douceur du climat et à la diète monotone: taro, fruits et cochons.) Samoa compte parmi les 33 pays les plus pauvres du monde. On y trouve le taux de suicide le plus élevé du monde. La plupart des suicidés sont des jeunes et ces suicides ne sont pas dûs à la seule misère (même si on ne peut pas nier que la misère existe), mais à la démoralisation et au manque de perspectives. Les missionnaires chrétiens ont détruit les vieilles religions, traditions, danses, fêtes, etc. Les îles sont pleines d'églises et d'alcooliques. Le paradis a été détruit bien avant l'arrivée de Margaret Mead. Malgré certaines conceptions du marxisme vulgaire, la 'culture' est plus importante que la 'survie matérielle' et la hiérarchie entre les besoins de base et les autres besoins n'est pas si évidente que ça. Elle fait partie de l''ethnocentrisme' occidental. La nourriture ne se réduit pas aux calories, la gastronomie n'est pas un luxe, la maison n'est pas qu'un abri et les habits ne sont pas qu'une protection thermique du corps. Il n'y a pas de raison d'être intrigué si l'on voit des gens qui meurent de faim se battant pour leur religion, leur honneur, leur langue ou d'autres 'bizarreries' avant de demander un salaire minimum garanti. Il est vrai que ces motivations culturelles ont été manipulées par des cliques politiques, mais ceci est vrai aussi pour les luttes économiques 'raisonnables'. Il s'agit de tenir compte aussi de cette réalité.

D'où peut venir le NIMA? Il est certainement faux de ne chercher d'identité culturelle que dans les anciennes traditions populaires. La connaissance et la redécouverte de telles traditions est très utile et peut être une source d'inspiration, mais une 'tradition' peut aussi naître aujourd'hui. Pourquoi ne pas inventer de nouveaux mythes, langages, formes de vie commune, d'habitations, d'habillement, etc.? La tradition de l'un peut devenir l'utopie de l'autre. L'invention des identités culturelles a été commercialisée et neutralisée sous forme de modes, cultes, sectes, 'vagues' et styles. Le développement des sectes montre que beaucoup de gens sentent le besoin d'une vie guidée par un acquis idéologique bien défini. Ce désir qui est perverti dans les sectes est celui d'une unité entre les idées et la vie, un nouveau 'totalitarisme' (ora et labora). Ainsi on peut définir BOLO'BOLO comme une sorte de 'totalitarisme' pluraliste. Surtout depuis les années 60, on peut dire qu'une période d'invention culturelle a commencé dans beaucoup de pays, en particulier les pays industrialisés: les traditions orientales, égyptiennes, folk, magiques, alchimistes et autres ont revécu. On a commencé à expérimenter des styles de vie utopiques ou traditionalistes. Après avoir été déçus par la 'richesse matérielle' des sociétés industrielles, beaucoup de gens retournent à la richesse culturelle.

Comme le NIMA est le cœur du BOLO, il n'y a pas de lois ou même de règles à son propos. Pour la même raison, une réglementation générale des conditions de travail dans les BOLOs n'est pas possible. La réglementation du temps de travail a toujours été la pièce maîtresse des constructions utopiques. Thomas More (1516) garantit 6 heures par jour, Weitling 3 heures par jour, Callenbach 20 heures par semaine, André Gorz (Les chemins du Paradis, l'agonie du Capital, Galilée, 1983) propose une vie de travail de 20.000 heures. En tenant compte des recherches de Marshall Sahlins (Âge de Pierre, Âge d'Abondance, Gallimard, 1976), la journée de travail de deux ou trois heures est en train de gagner la course. Le problème devrait être de savoir qui nous contraindra à cette journée de travail minimum et comment. De tels règlements postulent un État central ou des organismes du même genre pour contrôler et punir. Comme il n'y a pas d'État dans le BOLO'BOLO, il ne peut pas y avoir de règlement (même laxiste) à ce sujet. C'est le contexte culturel qui définit ce qui est considéré comme travail (=effort) dans un certain BOLO et ce qui est perçu comme loisir (= plaisir) pour autant qu'il soit nécessaire de faire une distinction. Faire la cuisine, par exemple, peut être un rituel important dans un BOLO et même une passion alors que, dans un autre BOLO, ce n'est qu'une fastidieuse nécessité. La musique aussi peut être considérée comme très importante dans l'un alors que, dans un autre, elle n'est considérée que comme un bruit gênant, et ainsi de suite. Personne ne peut savoir si la semaine de travail d'un BOLO est de 70 ou de 15 heures. Il n'y a pas de style de vie obligatoire, pas de comptabilité générale du travail et des loisirs, mais seulement un flux plus ou moins libre de passions, de perversions, d'aberrations, etc.

Le KENE représente ce que Gorz entend par «travail hétéronome». À la différence de Gorz, le «secteur hétéronome» est entièrement soumis au «secteur autonome» qui est aussi largement «autonome» vis-à-vis du premier. Les BOLOs ont un pouvoir de contrôle basé sur leur autarcie, un pouvoir que l'individu isolé de Gorz ne pourrait jamais exercer sur l'État anonyme hétéronome...