14. La guerre et la médecine, la violence et la maladie, la mort venue de l'intérieur ou de l'extérieur: voilà des limites qui semblent absolues à notre existence d'aujourd'hui. Nous avons aussi peur des autres que de notre propre corps. Voilà pourquoi nous mettons notre confiance entre les mains des spécialistes et des scientifiques. Comme nous sommes devenus incapables de comprendre les signes de notre propre corps (douleur, maladies, toutes sortes de symptômes) la médecine est demeurée une des dernières sciences dont la légitimation est plus ou moins intacte. Presque chaque saut technologique (que ses conséquences soient ou non catastrophiques) a été justifié par la possibillités d'un usage médical (énergie nucléaire, ordinateurs, chimie, aéronautique, programmes spatiaux). La vie est posée comme une valeur absolue, indépendante de l'idéologie et de la culture. Même le régime politique le plus brutalement totalitaire marque un point s'il est capable d'augmenter la durée moyenne de vie. Aussi longtemps que nous ne serons pas capables de comprendre notre corps et de nous en préoccuper sur la base de notre propre identité culturelle, nous dépendrons de la dictature médicale, d'une classe de prêtres qui peut définir pratiquement tous les détails de notre vie. Parmi toutes les institutions, les hôpitaux sont les plus totalitaires et les plus hiérarchiques. Si la vie (dans son acception bio-médicale) est la principale valeur, nous devrons entretenir un immense complexe médical, des équipements de soins intensifs dans chaque maison, des banques d'organes artificiels, des machines pour prolonger la vie, etc. Ces efforts industriels risquent d'occuper toute notre énergie et tout notre temps, nous risquons de devenir les esclaves d'une survie optimale. La culture est aussi une manière de s'occuper de la mort. Pour construire des pyramides plutôt que des hôpitaux, les Égyptiens n'étaient pas tout simplement fous. Les cimetières, les mausolées pour les ancêtres, les enterrements ne sont pas que du gaspillage de matériel et d'énergie: ils sauvent des vies (contre l'industrie de la vie). Si nous ne sommes pas capables d'accepter la mort sous une forme ou une autre, nous continuerons à tuer et à être tués.