éditions de l'éclat, philosophie

ANTHOLOGIE DE L'ASSOCIATION
DES ASTRONAUTES AUTONOMES
QUITTER LA GRAVITÉ


Éléments épars
d'astronautique autonome
pour une propédeutique à l'exploration indépendante de l'Espace

Riccardo Balli, AAA 333

I
LA GUERRE DE L'INFORMATION

 

 

 

 

1.

Dans un monde où un tiers de la population mondiale – ce même tiers qui a inventé la justice sociale – consomme plus de 80 % des ressources de la planète, alors qu'un deuxième tiers doit se contenter de subsister, et un dernier tiers meurt de faim, il apparaît de plus en plus clairement qu'il existe:

1) un complot du soi-disant «Premier Monde» dans le but de maintenir l'austérité économique, de manière à empêcher le prolétariat de construire lui-même ses propres capsules spatiales pour quitter la planète;

2) une volonté de la part des agences aérospatiales de transformer l'Espace en un immense lieu soumis aux lois du profit.

De ces prémisses, il apparaît que l'évacuation planétaire devient une nouvelle étape inévitable d'un point de vue politique, social et économique !!! Quitter la planète comme acte politique radical, quitter la planète comme court-circuit radical des dynamiques politico-économiques dominantes dans les sociétés contemporaines, quitter la planète comme soupape exprimant un dégoût désormais devenu ontologique à l'égard de tout ce qui existe, quitter la planète comme réponse à l'hypocrite démocratie à la gomme des organisations politiques internationales, quitter la planète comme mise en discussion de l'existant, quitter la planète comme contribution à l'extinction de la civilisation, quitter la planète comme insurrection finale, quitter la planète comme seule et ultime perspective politique possible… Ensuite, nous aurons le temps de penser à un stade ultérieur de cette évolution: la formation dans l'Espace de communautés qui soient en mesure de faire l'expérience d'une nouvelle (dés)organisation sociale, politique, économique, psychologique et culturelle. Il s'agit d'expérimenter quelles nouvelles relations sociales peuvent alors émerger de la formation de communautés dans l'Espace, quels nouveaux modes de vie, attitudes, styles, modes, mentalités, relations interpersonnelles, sexuelles, psychologiques, et également quels nouveaux concepts en matière d'art, de littérature, de musique en situation de gravité zéro surgiront alors. Quel sens cela aurait-il en effet d'aller dans l'Espace pour dupliquer la (dés)organisation en vigueur dans le monde dans lequel nous vivons?

 

2.

L'AAA est une organisation absolument ouverte et horizontale, qui n'a pas de problème de recrutement, dans la mesure où tout le monde est invité à se laisser impliquer et, en faisant la jonction, à faire partie d'un groupe AAA existant ou à former son propre groupe. Grâce à sa structure en réseau polycentrique et anti-hiérarchique de cellules indépendantes et en expansion permanente, l'AAA a dépassé radicalement les formes bureaucratiques et pyramidales de gestion du pouvoir adoptées par toutes les agences aérospatiales étatiques ou militaires. Les astronautes autonomes ont inventé une mythologie ouverte, un projet d'interactivité complexe, dont chacun peut faire partie.

 

3.

La science occidentale a été avant tout une science de l'effet et une science dans laquelle quantité de l'effet et effet de la quantité ont été magnifiquement équivalents. Le fameux «réalisme scientifique» a été le mécanisme politique autoritaire à travers lequel les puissances économiques et les lobbies gestionnaires de pouvoir se sont imposés en se servant d'une clique d'experts consentants et bien payés. La gravité est le symbole même de la science occidentale, de cet ensemble de pseudo-principes et de normes fallacieuses. La loi de la gravité est avant tout une loi sociale inventée – et non pas découverte – au dix-septième siècle, au début de la modernité et qui, à notre époque, s'identifie avec la gravité bureaucratique et la gravité atomique de la science de la NASA et des autres agences aérospatiales d'État.

Sans la gravité, il ne peut y avoir un dessous et un dessus. Et donc non plus de droite et de gauche, de vrai et de faux. Libéré de l'esclavage gravitationnel, l'homme chevauchera la dialectique élémentaire du vrai-faux imposée par les processus de contrôle et par les dispositifs de sécurité, il échappera à l'hégémonie symbolique, à l'industrie culturelle de l'entretien, au cercle vicieux du travail forcé et salarié et au consumérisme imposé, en échappant à la «réalité» de la vie de tous les jours, aux mornes plaines de la logique binaire et du monde tridimensionnel. Les possibilités se développeront de manière vertigineuse… (L'AAA entend subvertir la science des constantes fixes et des lois absolues par une science des solutions imaginaires et une science de l'absurde.)

 

4.

Il n'est certes pas difficile de repérer des collusions pratiques et factuelles entre la loi de la gravité et la sphère de l'économie. D'après l'AAA, il y a un lien philogénétique entre le «mythe» de la gravité et celui du marché. En effet, le concept de gravité est profondément isomorphique par rapport au mythe paléo et néo-libéral du marché: tous deux sont fondés sur des concepts d'attraction et de poids. En physique, la notion de poids dérive de l'interaction entre le coefficient d'attraction et un quid interne à chaque corps et qui ne peut être modifié, la masse. La masse est littéralement «la quantité de matière» et donc la garantie d'achetabilité et d'échangeabilité universelles. Tout corps doit avoir une masse propre, tout corps doit être sa propre masse pour être sujet à l'attraction du marché.

La compression monotone d'un nombre potentiellement infini de valeurs vers un monothéisme de la valeur d'échange doit être considérée comme une stratégie réductionniste typique fondée sur la notion de poids. Le marché capitaliste a outrepassé les limites imposées par la gravité en s'alimentant des sacrifices des corps-poids: en ce sens nous le définissons comme «Gravicapital». Le «Gravicapital» fait en sorte de contrôler la vie à travers la création de dimensions numériques tels que le temps et le poids. Au moment où le temps est créé et organisé à travers les montres, le poids est le résultat d'une synergie entre une structure théorique (1/2 Mg) et un appareillage technique de machines à horloge (balance, etc.). À travers ces appareils, le Gravicapital a imposé son propre système d'équivalence généralisée, dont la devise est: «In weight we trust.»[«Au poids, nous croyons!»]

Le système gravicapitaliste agit en transformant chaque sujet en un Petit Corps (P.C.) qui doit passivement tomber dans divers champs d'attraction. Il faut également noter que la loi d'attraction est exponentielle: plus un Petit Corps (P.C.) est proche d'un Grand Corps (G.C.) – corporation, multinationale de l'information, géant des nouvelles technologies – plus il sera attiré rapidement puis englouti par lui. En ce sens, l'expression «libre marché» résonne plutôt comme un commentaire ironique sur la manière dont les P.C. sont attirés puis engloutis par les G.C., qui de leur côté deviennent ainsi de plus en plus grands.

Il est impossible de ne pas assimiler la notion de poids à celle de «pesanteur». La pesanteur de la bureaucratie, la pesanteur en milieu éducatif et en milieu technologique. Les agences aérospatiales d'État sont peut-être le meilleur exemple de ce dernier modèle de pesanteur: elles n'existent en effet qu'à la seule et unique fin de reproduire ce Gravicapital. Contre elles, l'exploration indépendante et autonome de l'Espace semble être le meilleur moyen de produire des nouveaux univers de valeurs, qui ne peuvent pas être réduits à l'équivalence généralisée du Gravicapital. En ce sens, l'AAA veut démystifier la foi en la gravité et invite tout un chacun à renoncer à y croire.

5.

zero tolerance for nasa!!!

 

6.

Le branle-bas de combat psychico-informationnel adopté par l'AAA contre la nasa et plus généralement contre toutes les agences aérospatiales d'État doit être interprêté comme une revendication politique radicale à l'accès à la technologie à 360 degrés. En effet, à travers les innombrables attaques psychiques contre la nasa lancées par l'AAA suivant des lignes d'énergie tellurique et auprès de sites à haute valeur psychogéographique préalablement choisis, est défini un état de belligérance psychique qui part en effet du cadre restreint des technologies aérospatiales – cadre par ailleurs exemplaire de monopole de la part de l'État et des militaires sur la technologie – pour s'étendre ensuite transversalement à la sphère plus large du technologique (réseaux télématiques, biotechnologies, systèmes de grande envergure informatique, CB modifiés génétiquement, etc.). Derrière l'idée provocatrice, ou, disons, sciencefictionnesque de l'exploration indépendante de l'Espace qui ferait de nous des astronautes autonomes, se cache aussi, à un niveau métaphorique, ce qui est la bataille politique fondamentale dans les sociétés contemporaines, à savoir celle de l'accès radicalement démocratique à la technologie.

La belligérance psychique est une attitude caractéristique de tout astronaute autonome qui exprime l'opposition radicale de l'AAA contre le monopole étatique et militaire et du système médiatico-informatif qu'il reflète sur les technologies. Illustrant le terrorisme psychique, les astronautes autonomes ont réalisé de célèbres attaques subversives contre l'info-sphère dominante: l'élément clé de la stratégie de l'AAA consiste à envahir tout contexte médiatique pour y infiltrer sa propagande et y instiller le germe de la belligérance psychique. L'AAA est bien consciente que cette attitude apparemment présencialiste l'expose à des risques de forte banalisation et de ridicule de la part du pouvoir médiatique, mais convaincue de la nécessité de sortir des liens aveugles de la contre-culture et lassée de prêcher des convertis, elle a développé une série de techniques de la belligérance transmédiatique dans le but d'exploiter la logique spectaculaire caractéristique du système informatif comme rampe de lancement de ses propres invasions des médias. Nous laisserons les vendus à la solde de la nasa et les obscurs sinistrosés de l'Underground se repaître du fumet de nos razzias !

 

7.

Tout programme étatique d'exploration de l'Espace est avant tout un spectacle, un projet de propagande sur lequel le pouvoir politico-économique investit des milliards pour célébrer ses propres «magnifiques et progressives destinées» !

 

8.

L'utopie spatiale de l'AAA est asymptotique, elle est un non-lieu à partir duquel on peut seulement dé-lirer. Elle est radicalement différente des utopies de fuite propres à la pensée eschatologique-chrétienne et à celles de la pensée bourgeoise qui les «réfléchissent» – la conquête de l'Espace, autant de formes de perpétuation des rapports symboliques et matériels dans des contextes extra-territoriaux. Autant de questions de Foi et/ou de Raison.

Pour les Astronautes autonomes l'Espace est un horizon stratégique qui sert à orienter les déplacements dans le cours de la lutte, à instaurer un régime de subversion délibérée qui, avant tout autre chose, abolisse ce monde.

L'Espace sert à l'AAA comme propulseur, comme megabooster pour la construction d'événements, en relation multiple avec d'autres événements, disposés sur des plans différents, de portée différente, de différente amplitude chronologique, à différents effets.

L'AAA n'a pas un «centre», ce qui lui assure un devenir multiple et une certaine inconstance et précarité de langage. D'ailleurs l'histoire «effective» se distingue de son simulacre défraîchi (l'Histoire Officielle) du fait qu'elle ne se fonde justement sur aucune constante. L'AAA est «effective» dans la mesure où elle introduit le discontinu dans son être propre, qu'elle démultiplie son corps et l'oppose à lui-même. Ce qui implique que les positions des différents groupes autonomes peuvent – et, dans une certaine mesure, doivent – être en dissonance les unes par rapport aux autres.

Il est suffisamment clair que l'exploration autonome de l'Espace présuppose – pour sa réalisation – la subversion des appareils de capture symboliques et matériels avec lesquels le Capital-Terre (visage matériel du Gravicapitalisme) maintient dans son orbite l'univers tout entier.

Le pouvoir se maintient parce qu'il ne pèse pas seulement comme une puissance négationniste, mais parce que, dans les faits, il traverse les corps, fournit des objets, procure du plaisir, constitue du savoir, produit des discours: c'est un réseau productif d'événements qui traverse tout le corps social. Par rapport à lui il faudrait aller dans plusieurs directions à la fois non pas tant pour récupérer un piètre concept de «vérité» que pour expérimenter comment se produisent des effets de réalité à l'intérieur de discours qui ne sont ni vrais ni faux, mais substantiellement amphibies.

La critique de la gestion spectaculaire des explorations spatiales, le dévoilement de la supercherie Lune, font partie de cette stratégie qui agit par soustraction.

Il faut briser ce qui permettait le jeu consolatoire des reconnaissances. Détruire l'idée bourgeoise d'Espace.

Notre méthode est l'extermination de toutes les hypothèses et la violence symbolique. Le reste n'est que rideaux de fumées et black propagande.

Nous ne sommes pas intéressés à aller dans l'Espace pour être une avant-garde de la révolution qui vient: l'AAA entend instaurer une science-fiction du présent qui soit avant tout un instrument de conflictualité et un agonisme radical.

 

9.

L'A.A.A. a une approche de la technologie visant à enquêter sur la manière dont fonctionne une technologie donnée et ayant accès à un telle technologie. Il ne fait pas de doute que très vite les coûts des technologies nécessaires pour construire des capsules spatiales s'écrouleront vertigineusement et que de nouvelles technologies se développeront qui rendront les missiles à propulsion actuels absolument vétustes et dépassés.

L'AAA représente le seul programme d'exploration de l'Espace dans lequel les problématiques technologiques sont absolument secondaires par rapport à la question des nouveaux scénarios socio-économico-politico-sexuels qui se développeront dans la formation de communautés autonomes dans l'Espace. (L'imagination apparaît comme centrale dans le projet d'exploration indépendante de l'Espace de l'AAA.)

 

10.

L'AAA ne doit pas être interprétée comme une métaphore. Quand, en tant qu'astronautes autonomes, nous projetons de construire nous-mêmes des capsules spatiales, nous voulons exactement dire ce que nous disons. Même s'il doit être bien clair que l'AAA part dans plusieurs directions à la fois et que son plan est articulé sur des niveaux multiples. Des niveaux qui comprennent en outre l'auto-construction de capsules spatiales, une revendication politique radicale d'accès à la technologie dans les sociétés contemporaines et aussi la blague.

 

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