éditions de l'éclat, philosophie

ANTHOLOGIE DE L'ASSOCIATION
DES ASTRONAUTES AUTONOMES
QUITTER LA GRAVITÉ


 




Quelques camarades
de voyage (spatial)

Raido AAA

3
CRITIQUES
ET SPÉCULATIONS

 

 

Amazonie

 

AAA Guyana

Base spatiale libre de Guyane, août 2001.

1. Contexte de la situation française

Depuis son lancement, l'AAA aura mené une vaste opération de déstabilisation du monopole d'État sur la question spatiale. Alors que les désordres de décembre 1995 sur le territoire métropolitain français menaient le mouvement d'ensemble «anti-)lobalisation» vers de nouveaux rituels, d'anonymes astronautes autonomes prenaient conscience qu'ils l'étaient déjà potentiellement. À l'opposé de la démarche des militants des mouvements citoyens «anti-mondialisation» adhérant à une «association» à seule fin de rechercher un maître qui permette de s'insurger contre lui, les astronautes autonomes ont apporté leur contribution à la constitution d'un réseau planétaire visant à abolir le monopole d'État sur le voyage spatial comme moyen pouvant faciliter la construction communautaire de nos propres capsules spatiales. La création de groupes locaux de l'AAA en France (Paris, Nantes, Maubeuge, Nice, Brest, Roscoff, Montpellier, Quimper, Lorient) s'est d'abord développée spontanément, mais a fini par devenir secondaire et par ne plus être relayée structurellement par ses membres (faisant suite notamment à la ré-action salutaire de l'Anti-AAA Cosmos en 1997). L'ampleur du réseau devenue satisfaisante, les astronautes autonomes se sont donc concentrés sur la propagation d'un fantôme collectif non hiérarchique et ouvert. Avec ou sans adresse. Dès son lancement, la particularité de l'action de bon nombre de groupes ou individus a été de participer à la construction de ce réseau planétaire informel et hétérogène, en refusant toute forme de planification collective de l'initiative. Le plan quinquennal de l'AAA pouvant être à cet égard interprété comme dérision de l'agenda rigide qui régit les agences spatiales gouvernementales. L'AAA s'est manifesté en vérité selon une spontanéité erratique, se symbolisant dans la diffusion souterraine de ses idées et dans l'expérimentation de terrains de jeu spéculatifs (incluant celui de la métaphore). En prenant corps autour de cela et comme condition de son entière réalisation, la manière dont a été appréhendée l'AAA en France a rejoint la vision qu'elle a suscité en Italie, en Hollande et en Nouvelle Zélande, ne serait-ce que par le simple désir de ne pas respecter le plan.

2. Rappel de la situation guyanaise

Dépêche AFP, le 12 décembre 1996. Vigipirate à Kourou: le centre spatial sous haute surveillance, par envoyé spécial : Dominique Chabrol.

 

La mise en place du plan Vigipirate n'a pas modifié, à Kourou, le niveau d'alerte sécurité renforcée autour du Centre spatial de Guyane (CSG).

Les rondes ont été doublées à l'approche du CSG, à l'ouest de Cayenne, après l'attentat contre le RER du 3 décembre dernier. Menace niveau 1. Les portails sont systématiquement fermés et des «casses-vitesse» jaunes et noirs ont été dressés à l'entrée des installations militaires de l'aéroport de Rochambeau.

La montée en puissance du dispositif reste pourtant discrète. Le véritable tournant en matière de sécurité, dans ce périmètre hautement stratégique pour la France et l'Union Européenne, remonte à la vague d'attentats qui avaient ensanglanté Paris en septembre 1986. Les responsables de la sécurité du CSG ont alors tiré les enseignements de ces attentats pour dissuader toute action terroriste.

Sept mois plus tard, Jacques Chirac, alors Premier Ministre, dont le gouvernement a mis en place le dispositif anti-terroriste en métropole, visite le CSG. Il s'étonne de découvrir que la Route Nationale 1 passe à moins de deux kilomètres du pas-de-tir des fusées Ariane et n'est fermée à la circulation que quelques jours avant les lancements.

«C'est le grand tournant en matière de sécurité. À partir de là, on a vraiment pris en compte la protection extérieure du site», déclare le colonel Charles Beaudru, commandant des forces aériennes en Guyane.

Un système de détection radar est mis en place quelques mois plus tard. En 1988, une zone d'interdiction de vol est instaurée au-dessus du CSG et un escadron d'hélicoptères (EHOM 68 Guyane) créé un an plus tard: deux Fennec armés en permanence d'un canon et deux Pumas.

Quatre niveaux d'alerte :

Ces moyens aériens s'ajoutent au dispositif terrestre. Au total, plus de 1500 hommes sont actuellement chargés d'assurer la protection extérieure du site de Kourou: 800 à 900 légionnaires du troisième régiment étranger d'infanterie, 185 aviateurs et environ 600 gendarmes.

«La menace n'est pas seulement d'ordre militaire, note un officier supérieur. Il nous faut de plus en plus tenir compte de la dimension économique.»

Quatre niveaux d'alerte sont définis en fonction de la situation locale, de l'environnement international ou de la nature des clients satellites.

— N 1: situation normale.

— N 2/1: désordres dans le département sans actions violentes.

— N 2/2: troubles graves avec actions violentes.

— N 3: risques d'actions armées.

Lors des manifestations lycéennes de novembre dernier, les forces avaient été mises en alerte N 2/1. Le général Emile Sabathe commande l'ensemble des forces armées en Guyane: «La menace est diffuse, dit-il. En cas d'agitation sociale, la tentation est forte d'aller manifester à Kourou ou de bloquer l'accès au CSG, pour se faire entendre.»

Reste une épine dans le dispositif que les militaires voudraient voir retirer. L'aéro-club civil de Kourou, installé avant l'instauration de la zone d'interdiction de vol, a été maintenu à une dizaine de kilomètres des pas-de-tir.

Quatre avions de tourisme, dûment répertoriés, y sont actuellement stationnés.

«On aimerait bien le voir déplacé», confie un officier. Mais les loisirs sont rares en Guyane et les utilisateurs de l'aéro-club font de la résistance.

Le prochain lancement d'Ariane est programmé début 97.

 

Cayenne a connu à nouveau des agitations indépendantistes en novembre 2000. Si nous revenons sur le cas de la base spatiale de Kourou dans cet exemple de 1996, c'est qu'il permet d'étudier avec attention à la fois l'application du plan vigipirate et l'alternative radicale qu'a offert le mode insurrectionnel pour mettre fin au monopole gouvernemental sur le voyage spatial. Certains astronautes autonomes ont été jusqu'à suggérer qu'il fallait organiser des opérations de type «tout-pour-l'échec-du-tir», incluant piratages, sabotages, prises en otages d'éléments techniques et humains divers, voir détournements ou intrusion en tant que passagers clandestins... Ceci y compris pendant le pré-lancement à J -30 et dans la période de l'entre-deux tirs. Il faut considérer ces questions avec sérieux.

Région hautement stratégique, la Guyane française représente une surface qui équivaut environ à un sixième de la France, essentiellement de la jungle, pour un peu plus de 150 000 habitants. Un cinquième des emplois est fourni par le centre spatial de Kourou, leader mondial pour le lancement de satellites (malgré les ratés d'Ariane 5 en 1996 et 2001), avec 50% du marché. Il est nécessaire de rappeler que la situation sanitaire guyanaise reste difficile: le bindonville de Kourou et la fameuse couche huileuse qui se dépose à la surface des citernes à chaque pluie suivant un tir; vigipirate renforcé et les situations d'exercices de guerre avec le Surinam autour du Maroni; alcoolisme, crack, viols, réglements de compte entre orpailleurs, déréglement ethnique, inégalités sociales, rmi, enseignement, etc. Heureusement il y a la forêt...(association Le Pou d'Agouti). En novembre 1996, la Guyane avait connu une situation de crise. Il y eut quatre nuits d'agitation lycéenne. L'Union des Travailleurs Guyanais était en grève, y compris au CNES, ce qui n'a pas empêché le lancement de deux satellites de télécommunications de la Ligue Arabe et de la Birmanie par la fusée Ariane 4. Depuis cette période, les mouvements indépendantistes continuent de mener des actions, mais sans liens directs avec des organisations exclusivement écologistes.

Aujourd'hui, le Centre Spatial Guyanais ouvre son pas-de-tir au lanceur russe Soyouz avec, en perspective, des vols habités et une collaboration qui fera potentiellement de l'Amazonie le meilleur site de lancement de par sa position géographique. Néanmoins, les initiatives telles que celles menées par le consortium Sea Launch, qui a déjà sept lancements réussis à son actif à partir d'une plate-forme pétrolière dans le Pacifique, sont amenées à se développer. Qui plus est, il ne fait pas de doute que d'ici la fin de la décennie, les lancements se feront par le moyen de lanceurs réutilisables, ce qui rendra les tirs dix à quinze fois moins coûteux.

Même si l'AAA a été concernée par l'utilisation de technologies du nucléaire dans les programmes d'État, elle ne sera jamais entrée dans une stratégie de rapports de forces concertés (pacifistes ou non) sur les pas-de-tirs qui pourrait ressembler à celle d'organisations écologiques comme Greenpeace. Les astronautes autonomes auront été durement avertis ces dernières années par les implications prises dans les combats contre les «nécrotechnologies». Il est vrai que des membres du réseau AAA, suite aux événements guyanais de décembre 1996, ont encouragé les actions insurrectionnelles à Kourou, non pas dans une démarche concertée, c'est-à-dire ne donnant suite à aucune action revendiquée, mais ayant pu être interprétée comme une démarche symbolique de «guerre psychologique» (psychic warfare). Les actions «politiques» de l'AAA se sont plutôt déployées selon une «performance globale» et un branle-bas-de-combat psychico-informationnel. Mais pas seulement

3. Consolidation et poussée finale

L'AAA aura délibérément expérimenté l'ellipse au passage de chaque phase de son plan pour l'établissement d'un réseau planétaire. La phase de consolidation de l'AAA, engagée à partir de 1998, aura conduit à une mise à l'épreuve consciente des limites de psychic warfare et de belligérance, avant la poussée finale vers la première dissolution. Ici, quelques exemples:

— Réclamez la rue: derrière la contribution Reclaim the stars présentée par la East-London AAA à la Conférence Intergalactique à Bologne en 1998, l'AAA et la London Psychogeographical Association (LPA) auront marché ensemble sur les traces de Giordano Bruno à Londres. La LPA s'est dissoute avec d'autres comités psychogéographiques anglais et américains pour rejoindre le mouvement Reclaim the streets ;

— See you in space : l'AAA aura participé en juin 1999 aux dix-huit jours de blocage des centres financiers de Londres à l'initiative de Reclaim the streets, en organisant notamment durant son Festival SPACE 1999 une protestation contre la militarisation de l'espace devant le siège de la compagnie Lockheed Martin ;

— Aotearoa : l'AAA aura organisé à partir de Hamilton en Nouvelle-Zélande des lâchés de montgolfières au-dessus du Pacifique comme actes de protestation contre les essais militaires du programme NMD (National Missile Defense) de la Nasa dans les îles Marshall;

— Stop Star Wars : de par sa contribution au Global Network Against Weapons and Nuclear Power in Space <www.space4peace.org>, l'AAA a amplement démontré que ses objectifs n'étaient pas uniquement orientés par la question du «monopole»;

— Poussée finale : les fractures lors de la poussée finale sur les questions de la rigidité du Plan Quinquennal et de la visibilité comme piège, ont montré que la complexité consciente du programme initial avait effectivement abouti à la constitution d'un réseau planétaire et non hiérarchique et que celui-ci prenait le caractère spectral que lui avait prédit ce programme initial, confirmant ainsi que l'AAA est bien un fantôme collectif que n'importe qui peut adopter;

— Dissolution de l'AAA: l'extension de 333 jours du Plan Quinquennal, du 23 avril 2000 au 21 mars 2001, aura exploré la diversité pataphysique des trajectoires à venir de l'astronautique autonome;

— Spectralité et visibilité de l'AAA: lors du rassemblement contre le sommet du G8 à Gênes, de simples représentants locaux de l'astronautique autonome, témoins des événements, avec pour seule visibilité leurs tee-shirts AAA 333, ont été matraqués et emprisonnés lors de la répression sanglante et aveugle d'émeutes qu'ils ont décrit comme une véritable logique d'apartheid sous couvert du maintien à distance des épouvantails du Capital-Planète. En concevant un programme spatial évolutif l'AAA a, dès sa phase de lancement, réclamé la rupture avec la bivalence caractéristique de ce conflit fantôme.

Les objectifs premiers de l'AAA – à savoir constituer un réseau de groupes et d'individus se consacrant au développement de leur propre programme spatial loin des intérêts militaires, scientifiques ou commerciaux – ont été atteints. Une multitude d'interprétations ont émergé. Aujourd'hui, pour toutes les raisons qui viennent d'être évoquées et pour assurer la pérennité de son opposition «non visible», une association n'est plus nécessaire. Le spectre de l'AAA hantera les développements à venir dans le conflit pour l'armement géo-économique.

4. La base spatiale libre

Les expositions World-Information.org et Digital Deviance ont été l'occasion pour l'AAA de présenter un travail d'archives (ce livre y participe) et d'évoquer avec le collectif américain Critical Art Ensemble les questions relatives au transgénique et à la culture du mort-vivant. Dans ces discussions, nous aurons évoquer le lancement d'une bactérie dans l'espace qui aura ouvert un terrain de jeu spéculatif brûlant autour des questions d'héritage et de panspermie. La base spatiale libre documentera ce débat en devenir.

 

GUYANA, Base Spatiale Libre

 

tLa base spatiale libre a été installée de juin à septembre 2001 à Grenoble, au Centre National d'Art Contemporain, Le Magasin, dans le cadre de l'exposition collective «Digital Deviance»)

 

La base spatiale libre de Guyane a été lancée en juin 2000 à l'initiative d'astronautes autonomes désireux de projeter plus en avant leurs activités, développées en fantôme collectif durant cinq années. L'Association des Astronautes Autonomes aura constaté l'élargissement exponentiel de son réseau en France, Italie, Grande-Bretagne, Argentine, Autriche, Slovénie, Russie, Hollande, Danemark, Norvège, Australie, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, Guyane, etc. Les groupes de l'AAA autour du globe expérimentent  e noe nouvelles formes d'interactions psycho-sociales, prototypes pour une architecture de base de communautés en gravité zéro. Les conditions d'émergence de la base «Guyana» sont passées par une confrontation critique sur la question du manque d'autonomie des pratiques activistes.

La base spatiale libre est un espace virtuel non situé pour présenter des perspectives d'exploration spatiale indépendante. Un site de lancement d'astronautes autonomes. Une base d'archives, mais aussi l'occasion de mettre l'accent dans nos travaux sur les initiatives collectives pouvant présenter au plus grand nombre l'exploration spatiale indépendante sous un jour inédit.

La base spatiale libre «Guyana» célébrera la libération des contraintes scientifiques, militaires ou commerciales, dans les questions relatives à l'astronautique autonome.

La base spatiale libre est mobile et peut s'installer temporairement partout dans le monde. Elle voyagera avec le temps.

Les motivations politiques pour mener virtuellement une base libre de Guyane s'expliquent par la volonté de se situer en dehors de tout projet colonisateur. La base spatiale de Kourou en Guyane Française est un véritable point stratégique dans la politique spatiale européenne et n'est pourtant qu'un petit bout de territoire isolé en Amazonie, un territoire colonisé en Amérique du Sud. Après l'époque des bagnes, c'est aujourd'hui une présence militaire permanente, une débauche de dépenses spatiales, une politique de contrôle de l'immigration ainsi qu'une ruée vers l'or, contrastant avec une population parfois en situation de pauvreté. La base spatiale libre de Guyane représente l'aspect imaginaire que peut susciter l'Amazonie si elle était libérée de tout colonialisme. Dans les présentations de la base Guyana le travail des astronautes autonomes consistera donc à:

— associer/dissocier subtilement tout contenu colonisateur terrestre et spatial;

— développer un langage clair et articulé sur líexploration spatiale;

— encourager le lancement de programmes spatiaux indépendants;

— résister à la culture du «mort-vivant» dans toutes ses implications.

L'Amazonie est notre propulseur.

Notre objectif ultime: décoloniser le territoire planétaire. Ce qui nous rassemble: l'organisation de notre voyage spatial sans contraintes scientifiques, militaires ou commerciales, et l'exploration de l'art et de la vie libérés de la gravité.

 

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