éditions de l'éclat, philosophie

ANTHOLOGIE DE L'ASSOCIATION
DES ASTRONAUTES AUTONOMES
QUITTER LA GRAVITÉ


 




L'agir elliptique

Christophe Cauchy, AAA Paris Sud
(1995-2000)

1
LA GUERRE DE
L'INFORMATION

 






Faisant fi des querelles médiatico-scientifiques concernant la recherche spatiale, l'AAA se propose de développer un programme d'autonomisation du champ d'activité spatial dont chaque cerveau humain est potentiellement porteur.

Notre souci est de montrer aux futurs explorateurs de l'hyper-espace l'intérêt de capacités cognitives elliptiques. Cette conception elliptique de l'action fait référence à un ensemble de notions complexes, à un système didactique fondé sur l'épanouissement individuel et symbolique des futurs astronautes autonomes. Dans les débats crépusculaires entre savants, la limite des variations culturelles légitimées n'est jamais posée. Le sens de l'activité au regard des lois de l'Univers est tout simplement écarté. C'est cet arbitraire culturel que nous combattons et tentons de dépasser. L'action elliptique ne vise pas la vérité objectivisée, son ambition est de poser la question des conditions sociales capables d'exclure les possibilités d'une action logique, et cela au profit d'une action elliptique.

L'action elliptique (ou à ellipse) se définit comme une action qui ne peut atteindre son effet propre (ou a-logique) que si se trouve subjectivement méconnue sa vérité objective d'imposition d'un processus instrumentalisé, sérialisé. Chaque programme spatial autonome possède en son sein l'essence de son autonomisation ! Nous sommes ainsi amenés à développer un ensemble de systèmes complexes, auto-régulés, de subjectivisation des pratiques objectives de vies dans l'hyper-espace.

Parce que le terme d'arbitraire culturel caractérise les programmes institutionnalisés (NASA, ASE), notre objectif est de dépasser la relation originaire permettant l'imposition arbitraire et l'arbitraire des contenus imposés de ces pseudo-programmes spatiaux.

Ainsi, l'agir non-violent au sens symbolique est un postulat incontournable de l'Agir Elliptique (i.e. un ensemble de représentations spontanées et spontanéistes de l'action elliptique) et s'oppose à la violence symbolique exercée par une quelconque théorie générale de l'Espace. Notre projet s'oppose donc au contenu unidimensionnel et rationalisé du futur capitalisme spatial.

Le potentiel de libération que porte en elle l'exploration spatiale indépendante se fonde sur le caractère pluridimensionnel (condition n°2 de l'action elliptique) de l'Agir Elliptique. Cette portée potentiellement émancipatrice fait table rase de toutes les valeurs et fins rationnelles d'un point de vue bureaucratique. Notre champ de réflexion porte sur la mise en évidence d'hyper-espaces autonomes composés de systèmes non-hiérarchisés d'actions elliptiques. L'Agir Elliptique n'est pas le fruit de la Raison – notion quasi religieuse sur laquelle s'est édifiée la rationalisation sélective et partielle des programmes spatiaux bidons.

Notre conception de l'Espace et du Temps doit désormais s'inclure réflexivement dans le champ de sa propre action. Ainsi sont créées les conditions fondamentales des possibilités d'autonomisation de l'activité spatiale indépendante.

Pratiques spatiales et agir elliptique

Après avoir posé les principes de l'Agir Elliptique (et de l'action elliptique), nous souhaitons discuter des fondements d'une exploration spatiale indépendante.

D'un point de vue technique, l'existence de conditions subjectives d'autonomisation des pratiques de l'Espace n'est plus à démontrer. De nombreuses expériences voient le jour et confirment le bien-fondé de notre démarche.

Cependant, bien des questions demeurent en suspens. En vue de premiers contacts entre les pionniers du voyage spatial indépendant, l'instauration d'un processus de communication bilatéral suppose le dépassement de nombreuses conditions et significations de la liberté créatrice de chacun d'entre nous.

La contribution spécifique de chaque astronaute à l'exercice des pratiques spatiales passe par l'extériorisation puis le rejet des rapports de force qu'implique la reconnaissance par l'autre de notre légitimité. Mais cette légitimité peut difficilement se soustraire à l'arbitraire culturel qui l'objectivise. Elle n'est qu'une forme relative, portée par des revendications et actions non elliptiques.

De fait, elle permet surtout d'exprimer directement ou à travers différents éléments de médiation, les intérêts matériels et symboliques de ses représentants. Il s'ensuit l'imposition d'un modèle culturel correspondant à une forme particulière de la structure du champ social. Réduire le rapport de communication avec l'autre à cet arbitraire culturel conduit à transformer l'information en domination. Or, le sens profond de l'agir elliptique est, au contraire, de transformer l'information en formation.

Les programmes spatiaux institutionnels ne se réalisent qu'en tant que systèmes de production d'un marché de pratiques économiques et symboliques bien définies. Ce type de pratiques exclut toute possibilité d'information elliptique (voir les développements des théories de l'information). Ceci équivaut tout simplement à rejeter le principe de réception différentielle de l'agir elliptique (condition n°4).

C'est parce qu'elle est dépourvue de valeur sur un plan économique et symbolique que notre action ne vise pas à imposer sa légitimité. Au contraire, en tant que donnée ontologique, elle ne peut dès lors que s'auto-exclure des modes de production dominés par une action rationnelle.

S'il ne faut pas nier l'effet entropique de l'action elliptique, les ellipses et illusions, qui lui sont attachées, favorisent l'entente dans le malentendu et la reconnaissance dans le sous-jacent, le non-dit. L'émission et la compréhension d'un message elliptique ne peuvent être déduites des caractéristiques intrinsèques de celui-ci. Ce n'est pas une délégation tacite d'une information plus large, mais la traduction spontanée d'un agir hautement subjectif.

S'opposant à l'hétérorégulation de pratiques spatiales sérialisées, le réseau AAA travaille et développe les conditions d'autonomisation de voyages spatiaux. Pour cela nous devons appréhender la richesse de pratiques, d'opinions et de représentations qui peuvent être contradictoires, divergentes. Car ce n'est pas tant dans l'oubli des choix déterminés que de leur détermination que se reproduisent les propriétés intrinsèques des dispositions du sujet à l'égard de ce qu'il considère comme sujet/objet d'étude. Matériellement ou symboliquement, l'objet devient produit légitime. Ce processus, qui vise à réduire les propriétés de l'autre-objet aux propriétés que lui confèrent les dispositions (ou propriétés intrinsèques) du sujet communiquant, montre l'incapacité de scientifiques – à la solde d'États spatiaux-colonisateurs – à prendre conscience des faiblesses de leurs recherches.

Incapables de penser l'Univers comme un espace à gravité zéro, ils s'obstinent à vouloir démontrer le bien-fondé d'une exploration rationnelle (et mercantile) de celui-ci. Méconnaissant les dimensions elliptiques de la galaxie, ils se préparent à un saccage en règle de celle-ci en menaçant sa dynamique propre. Le voyage spatio-temporel doit être autonome et indépendant parce que l'Espace lui-même se déploie dans toute son autonomie et sa complexité. En ce sens, il ne peut et ne doit être soumis à une quelconque organisation préétablie qui le réduirait à un Espace vide de sens.

Le pire est encore à venir!

Non seulement, l'homme moderne est incapable de sortir du monde unidimensionnel auquel il reste «cloué» – loi de la gravitation oblige? – mais il est surtout ignorant quant au sens de sa liberté.

La démarche à ellipse peut et doit être perçue comme une trahison: trahison du modèle libéral-communautariste; idéal qui vise à enrichir l'homme de toutes sortes de caractéristiques civilisatrices: le jugement moral, la raison, l'appropriation privée, la culpabilité… Le caractère sacré de l'individu et de son droit à disposer de lui-même seraient-ils inaliénables? N'hésitons plus. L'espace autonome n'a que faire de questions aussi perverses qu'inutiles. L'agir elliptique ne se perçoit pas comme une mise en commun d'idées fondées sur des références et des contingences préétablies.

Au contraire, la Galaxie, mystérieuse autant qu'insondable, nous offre la possibilité de nous affranchir des systèmes de pensée humanisants (anthropiques, pourrions-nous écrire). Le bien-être individuel est-il compatible avec une quelconque construction sociale? Qu'importe! Ce que nous visons n'est nullement réductible au problème d'instauration d'un système de coopération entre individus dont chacun espère tirer un bénéfice substantiel, confortant l'idée d'une liberté chèrement négociée et gagnée. Le monde n'est pas l'Espace, il n'en est pas une déformation, mais bien une divergence. L'agir constitutif d'un espace autonome ne peut se fonder sur des critères moraux ou des normes de comportement, fruits d'un mode de pensée rationnel. Le bien-être individuel, tel qu'il est posé et tel qu'il peut exister, est avant tout la traduction d'un rapport instrumental entre l'homme et ce qui l'entoure.

L'illusion d'être compris et l'illusion de comprendre se renforcent mutuellement, elles n'impliquent cependant pas la compréhension de cette illusion. Ceci est pourtant un élément constitutif de l'Agir Elliptique (condition n°5) et, par là, de l'autonomisation d'espaces elliptiques. La légitimité statutaire de l'Homme est illusoire, elle n'est rien d'autre. La raison est une façon de perpétuer dans ce qui est acquis une certaine manière d'user de cet acquis tout en exprimant elle-même les principes d'une relation objectivisée entre celui qui acquiert et un ensemble de caractéristiques sociales ou spatiales à acquérir!

Pour nous, astronautes autonomes, l'illusion est une parabole sur laquelle nous nourrissons notre autonomie. Le caractère subjectif de notre action définit sa virtualité elliptique. Expérience, sens et essence sont intimement liés dans un univers en expansion. Le rapport au Cosmos est indivisible de la pratique de l'Espace. En effet, l'action elliptique est perçue (et non conçue) comme le produit de l'intériorisation des conditions subjectives d'existence dans l'Espace qui naissent d'interrelations entre un objet doté d'une rationalité divergente, aliénante (le voyageur en devenir) et un ensemble de dispositions de l'Univers en interactions perpétuelles. Comment rendre caduque l'idée que celui qui agit doit se référer, même à son insu, à des sous-ensembles de déterminations objectivisant l'espace dans lequel il se déploie?

Autonomie elliptique

Notre perception de l'Espace est marquée par des cycles de différenciation constitutifs de pulsions elliptiques (condition n°17). Esthétiquement, nous intégrons l'univers du rêve; un rêve conçu comme une suite d'ellipses divergentes et qui fourmille de perspectives créatrices et autorégulées. En effet, saisir l'Espace dans sa mise en forme elliptique permet de subjectiviser les formes discontinues, inattendues du voyage spatial indépendant. Il n'est pas aisé de se donner à soi-même ses propres lois spatio-temporelles car, l'autonomisation du voyage spatial implique l'auto-création, donc le dépassement de multiples combinaisons d'éléments préexistants. Prendre le cours de l'Univers à partir de son terme ultime concevable pour inventer les formes et significations de l'imaginaire spatial, voilà la source d'où peut émerger l'autonomie de nos trajectoires elliptiques.

Rien de ce qui est vivant n'est exhaustivement, systématiquement réductible à des formes spatiales instrumentalisées. La signification imaginaire du capitalisme est un parasite qui dévore l'Espace autant que la planète; un prédateur anéantissant toute virtualité elliptique. Opposons à cette aliénation ensembliste identitaire l'auto-organisation et l'auto-détermination de nos besoins ressentis. Car un voyage autonome ne peut se réaliser s'il s'inscrit dans la matérialité objective de ce qu'il crée (négation de la production), au risque d'être le continuum d'une construction rationnelle méthodique de l'Espace. L'insouciance du projet AAA garantit son autonomie; elle disjoint les cycles anthropiques en conférant à l'agir elliptique son genre vernaculaire.

Tout champ, en tant que produit social, engendre l'intérêt qui est la condition de son fonctionnement. C'est-à-dire, entre autres choses, que l'autonomie du voyage spatial ne peut résulter d'une disposition à investir un champ objectivement perçu; la raison ne fonctionnant que pour autant qu'elle produit d'abord la croyance dans la valeur de ce qu'elle produit. Ainsi, l'une des manifestations essentielles de l'hétéronomie est la dépossession des conditions de structuration/ subjectivisation d'un espace autonome au profit d'un espace hiérarchisé par la signification imaginaire capitaliste. L'illusion de l'espace elliptique traduit le véritable enjeu de nos luttes. Sa virtualité n'est pas et ne sera jamais l'artefact d'une démarche consciente et explicite, ni l'instrument d'une domination symbolique. En ce sens, les astronautes autonomes ne peuvent s'émanciper qu'au travers d'un espace engendré par la compréhension de sa propre création.

L'agir elliptique dans un espace ludique 

Participer à l'abondance passionnelle qu'est le voyage spatial indépendant suppose une expérimentation délibérément anarchique de la vie quotidienne. L'aspect dialectique et cosmique de l'esprit doit permettre à l'astronaute autonome d'incliner le possible vers des formes souhaitables, d'amener le sérieux vers le futile…

La nature paradoxale de notre vie se recouvre de sa presque impossibilité à s'émanciper de la domination réelle et symbolique d'artefacts sans cesse plus élaborés (productions «artificielles» au sens où elles sont la manifestation d'une illusoire domination de l'homme sur la Nature). À travers ce renversement d'un quotidien astucieusement aménagé mais périssable, il ne s'agit plus que de participer au spectacle dégradé de biens culturels mis à la portée des exploités pour leur mystification propre. Nous nous produisons comme nous produisons les marchandises qui matérialisent notre asservissement.

De fait, l'agir elliptique serait intimement lié à notre capacité à changer l'infinie variété des moments elliptiques; mais il ne peut être vécu qu'en tant qu'enchaînements de «moments» qui tendent à intensifier la jouissance permanente d'une vie primitivement spatiale (condition n°23). La perception du temps n'est plus autre chose pour l'homme qu'une succession de phénomènes – exercice objectivé d'une création ludique d'instants marchands – qu'il peut observer ou ressentir. Le prétendu espace de civilisation devient ainsi un ordre de coexistence de ces mêmes phénomènes dans le temps, préfigurant par là un devenir communautariste.

Néanmoins, l'inclinaison vers des espaces elliptiques de jouissance ne sera possible que sous la forme d'une transgression de cet espace-temps «fragmenté», puis enfermé dans une contradiction absolue.

Spontanément, l'agir elliptique crée des «bulles» d'espace-temps qui se régénèrent sans cesse, comme des galaxies dans un gigantesque champ scalaire: «énergie du vide» devenue univers multiples. Cette métamorphose elliptique n'acquiert de sens qu'en deho°s du champ de l'idéologie virtuelle (vidéologie) capitaliste qui, en réduisant notre vie sociale à l'état de denrée, ne nous offre plus en spectacle que notre propre abandon.

Comme une étendue sans commencement ni fin, l'Agir Elliptique traduit la nécessité fondamentale de briser l'inconscience et la mystification d'une société aliénée, incapable d'inventer un quotidien libéré.

Notre but demeure l'abondance de l'imprévu.

 

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