l'éclat

 

  Les Cahiers du judaïsme
TELECHARGER LE BULLETIN D'ABONNEMENT Les Cahiers du judaïsme, héritiers depuis 1998 des Nouveaux Cahiers créés en 1965 sous les auspices de l’Alliance israélite universelle,  se veulent un lieu de réflexions et de débats autour de la pensée juive, appréhendée dans toutes ses dimensions et ancrée dans une société ouverte où s'expriment des cultures multiples.

La revue s'inscrit dans le renouveau des études juives qui se manifeste depuis plusieurs années tant en France qu'à l'étranger.

Son ambition est d'accueillir les formes de créativité les plus diverses, d'attirer vers elle des historiens, anthropologues, sociologues, écrivains, peintres, poètes et musiciens, afin de constituer un lieu d'échanges, de rencontres et de discussions plurielles autour du judaïsme passé et présent.

À compter de ce numéro 25, Les Cahiers du judaïsme sont édités par les Éditions de l’éclat.


Revue publiée par l’Alliance israélite universelle et diffusée par les éditions de l'éclat

Directeur: Pierre Birnbaum

Responsable éditoriale:
Anne Grynberg

Comité de rédaction
Jean Baumgarten
Judith Kogel
Rosie Pinhas-Delpuech
Laurence Sigal

 

N° 25: La Rue juive

Les traces des Juifs s’inscrivent surtout, aussi bien en Diaspora qu’en Israël, dans des territoires urbains. Elles dessinent une géographie fluctuante qui révèle une présence, une Rue juive: «cour des Juifs» organisée autour de la synagogue, «carrière», quartier entier, Judenstadt, mais parfois aussi foisonnement urbain si dense qu’il constitue comme à Alger le territoire en un véritable kahal, ailleurs Juderia ou encore Ghetto. Reste que le temps, les expulsions, la Shoah, la modernité effacent la Rue juive, le silence s’instaure, troublé, au mieux, par quelques visiteurs en mal de mémoire.

Prix de l’abonnement 2009
(nos 25-26-27)
France: 48 euros
Étranger: 55 euros
Abonnement de soutien
à partir de 80 euros

Réglement par chèque
à l’ordre de:
Éditions de l’éclat
à adresser à:
Cahiers du judaïsme
C/° Éditions de l’éclat
4, avenue Hoche
F. 75008 Paris

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Les propositions d’articles et de comptes rendus sont à envoyer à la rédaction de la revue:

Cahiers du judaïsme
45 rue La Bruyère,
75009 Paris
tél 01 53 32 88 57
anne.grynberg@aiu.org

Les manuscrits non publiés
ne sont pas retournés.


Sommaire

Thème: La Rue juive


Charlotte Elisheva FONROBERT : Une cartographie symbolique : l’eruv en Diaspora
Benjamin RAVID : «Tous les ghettos étaient des quartiers juifs, mais les quartiers juifs n’étaient pas tous des ghettos » 
Éliane ROOS SCHUL  : Habitat juif en Alsace depuis le XVIIe siècle
Florence HEYMANN : Czernowitz, espaces juifs d’une ville palimpseste
Albert BENSOUSSAN : Alger la Juive
Colette FELLOUS : Avenue de Paris, à côté de la synagogue
Michal PELED-GINSBURG & Moshé RON : Les vases brisés : mémoire, identité et création dans l’univers de David Shahar
Tamar BERGER : Dionysos à Dizengoff

 Variations

Irven RESNICK : Le Dialogue contre les Juifs de Petrus Alfonsi et l’Histoire 
Marie AYNIÉ
 : Témoignages de Juifs dreyfusards
Bernard WASSERSTEIN : Trois hommes aux affinités plus grandes qu’il n’y paraît : Isaiah Berlin, Isaac Deutscher, Arthur Koestler et leur rapport à la judéité
Boris KAZINITZ : Récit d’un partisan

Read the english Abstracts.


Editorial

Les traces des Juifs s’inscrivent surtout, aussi bien en Diaspora qu’en Israël, dans des territoires urbains dont la pérennité se trouve fréquemment remise en question par des expulsions soudaines, des pogromes, des guerres ou encore des changements de statut politique. Ces traces dessinent une géographie fluctuante qui révèle à chaque fois une présence, une ‘rue juive’ dont la forme change selon les époques et les lieux. Ici, comme en Alsace, entre Strasbourg et Sélestat, quelques ‘cours des Juifs’ organisées autour de la synagogue; là, en Avignon, une ‘carrière’, ou encore, à Francfort, un quartier entier, une Judenstadt; à Vienne, un lieu symbolique, Leopoldstadt; à Czernowitz, une stadt qui conserve toute entière les accents du shtetl; et ailleurs, comme à Alger, un foisonnement urbain si dense qu’il constitue le territoire en un véritable kahal; ailleurs encore, en Espagne ou en Italie, tant de Juderia ou encore de Ghetto, traces incontestables de la présence juive urbaine à travers les siècles.
Ici les Juifs souhaitent un certain degré d’isolement pouvant aller jusqu’à l’enfermement protecteur contre les dangers externes; là, ils sont poussés sans ménagement dans quelques ruelles, expulsés de leurs lieux de résidence non vers l’extérieur mais à l’intérieur d’un espace souvent mal famé, retranchés du monde même s’ils maintiennent le plus souvent des rapports d’échange avec lui. Le ghetto a longtemps semblé symboliser la présence urbaine juive. En réalité, avant qu’il n’apparaisse comme une structure destinée à se répandre rapidement sous ce terme dans l’Europe du XVIe siècle, des mesures d’exclusion des Juifs sont déjà imposées, en 1267, au moment du concile de Breslau qui décide  que les Juifs «ne se mêleront pas aux chrétiens mais qu’ils devront avoir leurs habitations regroupées dans des parties séparées de la ville et ce de telle manière que le quartier des Juifs soit isolé des habitations chrétiennes par une barrière, un mur ou un fossé.»
La clôture des quartiers juifs s’accélère aux XIVe et XVe siècles, de Marseille à Nice, Aix ou Perpignan; en 1462, le transfert forcé des Juifs de Francfort en un quartier enclos mène à la constitution d’un territoire juif fermé parmi les plus célèbres. À Venise, au début du XVIe siècle, les autorités imposent un enfermement qualifié cette fois spécifiquement de ghetto, avant ceux de Vérone, Modène ou de Gênes, en tant que quartier séparé, fermé, où les Juifs sont obligés de résider. Partout, ces ‘rues juives’ s’organisent autour de synagogues, de lieux de culte qui structurent les réseaux de sociabilité: à Czernowitz, la Synagogengass tout comme à Tunis ou à Alger, l’espace juif était ainsi naturellement un espace religieux. Reste que le temps, les expulsions, la Shoah, la décolonisation mais aussi simplement la modernité transforment profondément la ville et poussent aussi à l’immigration en rejetant peu à peu dans le passé ces témoignages de la vie juive. Un peu partout à travers l’Europe, de Czernowitz à Francfort, de Cracovie à la Castille mais aussi, non loin, en Afrique du Nord, la ‘rue juive’ s’efface, on en perd les traces, le silence s’instaure, troublé, au mieux, par quelques visiteurs en mal de mémoire. Un «judaïsme de musée» remplace la ‘rue juive’ si animée autrefois. L’espace juif ne survit plus que dans la mémoire, l’imagination, la littérature. Même la rue des Prophètes, lieu autrefois élégant mais aussi essentiel de la vie juive de Jérusalem, se trouve délaissé à tel point que David Shahar, en retraçant sa transformation, confond délibérément différentes époques afin de reconstruire un monde disparu.

C’est la seule modernité et non l’histoire tragique récente qui altère cette Rue des Juifs et pousse au transfert vers d’autres quartiers, tel Rehavia, nombre de ses institutions juives les plus symboliques. De même, à Tel-Aviv, la modernité frappe aussi la ville, le Dizengoff Center fait figure de lieu anonyme, une «espèce d’emprisonnement volontaire» qui ne véhicule en rien la richesse de la Rue des Juifs d’autrefois. Là aussi, l’anonymat s’impose, les traces juives de vie urbaine s’effacent.

Demeure alors la reconstitution symbolique d’un espace urbain proprement juif à travers un marquage qui témoigne de l’existence, au cœur de la modernité, de la présence de l’eruv, ce «territoire shabbatique» conçu autrefois  par la Mishna. Jusqu’au sein des grandes métropoles contemporaines, de New York à Baltimore ou Boston, Washington et même Londres ou, en France, Strasbourg, la présence d’un eruv trace un espace juif, une Rue des Juifs d’un nouveau genre, ghetto virtuel en fonction d’un enfermement fictif qui légitime le déplacement des Juifs durant le shabbat. Résultant d’un accord avec les voisins, du paiement symbolique d’une somme destinée à louer ces traces provisoires matérialisées parfois par des câbles, l’eruv représente-t-il dorénavant, en dehors de quelques lieux où affluent les touristes, la seule forme visible de la Rue des Juifs? En dehors d’une ‘rue juive’  qui existe bel et bien en Israël tout comme dans certains îlots de New York, l’eruv rend public un espace privé et invente, ici ou là, un «territorialisme diasporique», pâle évocation de l’intense sociabilité urbaine juive d’autrefois.